Page images
PDF
EPUB

On rattache au genre épique le poëme héroïque, sorte d'épopée historique sans mélange de fiction, telle que la Pharsale de Lucain.

La forme épique admet des aventures moins imposantes et des héros moins sérieux le poëme d'Arioste, le Roland furieux, est le plus brillant modèle de ce genre d'épopée badine dans laquelle la variété voile et paraît briser l'unité.

Le poëme héroï-comique est aussi une dépendance de l'épopée. L'art, dans ces compositions, consiste à employer toutes les grandes machines de l'épopée à la conduite d'une action sans importance réelle, dans laquelle figurent des personnages vulgaires. Cet artifice, qui semble donner des proportions héroïques aux faits et aux acteurs, n'étant pris au sérieux ni par le poëte ni par le lecteur, délasse agréablement l'esprit et provoque le rire par des contrastes piquants, par des rapprochements inattendus. Le Lutrin est le chef-d'œuvre du genre héroï-comique. Jamais la poésie noble n'a été mêlée à un plus spirituel badinage.

Le mauvais goût a introduit pendant quelque temps, sous les auspices de Scarron, un genre qui ne se distingue pas extérieurement de l'épopée ; c'est le poëme burlesque, qui la parodie. Ce misérable jeu d'esprit est le contre-pied du poëme héroï-comique. Tandis que celui-ci, par une raillerie ingénieuse, élève ce qui est vulgaire par nature dans les régions héroïques, le burlesque, par le travestissement des mœurs et du langage, fait descendre les dieux et les héros au niveau de la populace. Pour que ce genre soit supportable, et en

1. L'art de Scarron consiste à prendre dans le vulgaire les traits analogues à ceux des divinités et des héros du poëme. Son procédé diffère de la parodie en ce qu'il conserve à ses personnages leur rang et leur condition, en abaissant leur langage et leurs mœurs. Avec un peu de bonne volonté et de malice, le pieux Enée, si souvent en pleurs et en oraisons, devient facilement, sans être méconnaissable, un Nicaise bigot et larmoyant; Jupiter, en querelle avec sa femme, n'est plus qu'un mari brutal, et Junon une ménagère acariâtre; Cassandre la prophétesse, une discuse de bonne aventure, auteur d'almanachs; de Vénus à une courtisane, il n'y a que la distance de l'Olympe à la terre; le séjour et l'origine diffèrent, non la moralité. Le débonnaire Priam

core ne l'est-il pas longtemps, même à cette condition, il faut que la transformation des caractères et des sentiments nobles en figures et en passions vulgaires soit opérée de telle sorte que la ressemblance subsiste sous le travestissement, et que le rapport soit sensible dans le contraste.

Du genre dramatique.

Le poëme dramatique est la reproduction directe d'une action feinte ou réelle, à l'aide de personnages agissant et parlant selon la vérité ou la vraisemblance. La nature de l'action représentée partage ce genre en deux espèces distinctes, la tragédie et la comédie 1.

Le but du poëme dramatique est d'émouvoir par la pitié et la terreur ou d'amuser par le ridicule; dans l'un et l'autre cas, il doit instruire, soit par le spectacle des grandes catastrophes qui mettent en évidence la force et les misères de l'humanité, soit par la peinture des défauts et des vices qu'il faut éviter. Une action qui ne contiendrait pas, soit directement, soit indirectement, une leçon morale, pècherait contre une des règles fondamentales de l'art.

De la tragédie.

L'effet moral de la tragédie doit être, selon Aristote, de purger la terreur et la pitié par ces émotions elles-mêmes. Pour bien comprendre ce précepte, dont le sens a été souvent controversé sans être bien éclairci, il faut se pénétrer

n'est pas plus malaisé à convertir en bonhomme crédule et curieux : par le même procédé, le beau Paris n'est plus qu'un jeune premier de comédie. Ess. d'Hist. littéraire, p. 281.

1. On sait que la tragédie (tpάyos, ¿on) signifie chant du bouc, et comédie (xwun, won) chant du village. Ces deux genres ont pris naissance dans les fêtes de Bacchus. La tragédie est sortie du chant dithyrambique, où le plus habile recevait un bouc pour prix de sa victoire [du plus habile chantre un bouc était le prix. BOIL.]. La comédie se rattache aux farces populaires qu'improvisait, dans ses courses à travers la campagne, le cortège de Bacchus.

de l'esprit général des institutions de la Grèce, où les jeux publics faisaient partie de l'éducation nationale. Il est incontestable que, dans la vie réelle, la terreur et la pitié sont des principes de faiblesse, et que, lorsque ces sentiments nous saisissent à l'improviste, ils détendent les ressorts de l'âme. L'effet d'un spectacle qui excite ces émotions, sans en faire des mobiles d'action, est de laisser à l'âme toute sa liberté après les avoir éprouvées, et par conséquent de l'habituer à ne les considérer que comme de simples émotions. Les cœurs formés à cette école seront donc maîtres de leurs mouvements, et s'il leur arrive, dans la pratique, d'ètre remués, pour leur propre compte, par les catastrophes que le théâtre leur a montrées sous des noms étrangers, ils seront préservés des conséquences de l'attendrissement et de l'effroi; car la terreur et la pitié, purgées par cet apprentissage, n'auront plus assez d'empire pour dominer la volonté.

L'action de la tragédie est une, comme celle de l'épopée ; mais, moins étendue, elle admet moins d'épisodes 1. Il est inutile d'ajouter que, vraie ou fausse, elle doit être vraisemblable. L'unité d'action subsiste dans la variété des incidents et des épisodes, lorsque toutes les parties dont elle se compose convergent vers un centre unique. Ce point central est ordinairement la destinée d'un personnage sur lequel se porte plus spécialement l'intérêt du spectateur. Lorsque l'intérêt se divise, ce partage détruit l'unité d'impression, qui est le but de l'unité d'action et que quelques critiques ont donnée comme la seule règle inviolable.

Outre l'unité d'action, la tragédie, du moins chez les Grecs, est soumise aux unités de lieu et de temps. Cette double règle s'est introduite naturellement dans le théâtre grec, où la présence continue du chœur ne permettait ni de déplacer la scène ni de donner à l'action plus de durée qu'à

1. Le mot épisode s'applique aussi, chez les Grecs, aux parties de l'action dramatique placées entre les chants du chœur.

la représentation elle-même. Cette nécessité est moins sensible dans les pièces modernes; car la division par actes permet de supposer que le cours du temps s'est accéléré dans les entr'actes, et dispose le spectateur à accepter la présence d'une scène nouvelle. C'est pour cela que le temps et l'espace nous sont moins sévèrement mesurés, et qu'on accorde sans difficulté au poëte toute l'enceinte d'une ville et même au delà, et toute la durée d'un jour. Mais il ne faut pas conclure de la complaisance du spectateur à se prêter à cette fiction, qu'on doive mettre sa tolérance à une plus forte épreuve; sans doute il acceptera, sans réclamer, une série de tableaux unis par l'intérêt, quoique séparés par la distance et la durée, puisqu'il voyage sans se déplacer, qu'il n'a pas à tuer le temps qu'on suppose écoulé, et qu'après tout il suit les phases diverses d'une action vers le dénouement de laquelle il se hâte; mais la question n'est pas là : elle est dans la perfection de l'œuvre, et il nous paraît incontestable qu'une action sans solution de continuité, circonscrite dans des limites vraisemblables de lieu et de durée, est une condition favorable à la suprême beauté de l'ensemble.

La division de l'action en cinq parties distinctes paraît la plus convenable, sans être obligatoire. Elle se prête merveilleusement aux alternatives de crainte et d'espérance qui doivent marquer les développements successifs de la fable. Un argument puissant en faveur de cette division, c'est qu'elle s'est produite naturellement dans la plupart des pièces de Sophocle et d'Euripide, quoique ces poëtes, qui ignoraient qu'on dût plus tard l'ériger en loi, n'aient pas songé à y soumettre leurs ouvrages. Les courts intervalles de l'action

1. La division en actes paraît d'origine latine. Horace est le premier critique qui en ait fait une condition de succès :

Neve minor, neu sit quinto productior actu
Fabula quæ posci vult et spectata reponi.

Ari poét.

étaient remplis, ehez les Grecs, par les chants du chœur, qui suspendaient l'intérêt dramatique par le charme de la poésie lyrique. Les deux genres se trouvaient ainsi réunis dans un seul ouvrage 1.

On entend par fable le développement de l'action; les parties essentielles de l'action sont l'exposition, le nœud et le dénoûment. L'exposition fait connaître le sujet et pressentir les obstacles; le nœud se forme des incidents qui s'opposent à l'accomplissement de l'action; le dénoûment lève ou consomme les difficultés de l'intrigue par une issue favorable ou par une catastrophe. Les révolutions opérées dans la situation du principal personnage prennent le nom de péripéties.

2

Ce que nous avons dit plus haut des mœurs de l'épopée s'applique également aux mœurs de la tragédie.

La tragédie lyrique, originaire d'Italie, acclimatée en France sous le règne de Louis XIV, a beaucoup plus de liberté que la tragédie proprement dite; dans ce genre, destiné surtout à charmer les yeux et les oreilles, la poésie est subordonnée à la musique, et l'action à la décoration. Le besoin d'une harmonie continue condamne la langue à de nombreux sacrifices sous le rapport de l'énergie, de la variété, et même de la propriété de l'expression. L'action, qui doit amener sur les yeux du spectateur toutes les magnificences de l'art. et de la nature, est forcée de prendre du temps et de l'espace et de se jouer des unités secondaires de lieu et de temps. On conçoit la sévérité de Boileau contre un spectacle qui se

1. L'importance du chœur, dans le théâtre grec, s'explique par l'origine même de la tragédie. Née du dithyrambe dans les fêtes de Bacchus, elle se glissa modestement dans les intervalles des chants du chœur lyrique, par l'introduction d'un acteur unique qui interrompait les strophes chantées en racontant quelque aventure héroïque. Eschyle fit paraître un second acteur et créa le dialogue. Ces progrès successifs de l'action et du dialogue dramatique réduisirent le rôle du chœur, qui finit par n'être plus que le témoin et le juge moral de l'action.

2. Page 10.

« PreviousContinue »