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son privilége, le peuple, qui crée sous l'inspiration du bon sens et de la nécessité, le peuple que Malherbe prenait pour arbitre, comme Molière consultait sa servante avec succès, et vous allez vous créer un idiome à part, entendu et goûté seulement de quelques adeptes, et pour frapper les yeux vous cherchez dans les rêves de votre imagination des métaphores étranges, et vous dénaturez, vous tourmentez, vous galvanisez ce beau langage qu'il faut seulement entretenir et vivifier par l'habile et discret emploi des ressources qui vous sont offertes !

Ces tours de force, ces étrangetés, cette parure extravagante, accusent deux choses, l'ignorance de la tradition, le défaut d'étude et d'observation, et surtout la production prématurée de la pensée. Je dis avec assurance que si on cherche le nouveau dans l'étrange, que si on pare son style de fleurs artificielles, que si on raffine sur les mots et sur les figures, que si on frappe fort au lieu de frapper juste, que si on substitue le fracas à l'harmonie, et l'enluminure à la couleur, c'est qu'on produit avant terme, c'est qu'on n'attend pas le point de maturité qui donne aux œuvres de l'esprit le parfum, la couleur et la durée.

Qualités essentielles du style.

Le style doit être approprié à la nature du sujet ; mais, sur quelque matière qu'on écrive, le langage devra être pur, clair, précis, naturel, noble, varié et convenable. Ce sont là les qualités essentielles du style.

La pureté consiste dans l'emploi des mots consacrés par l'usage ou légitimés par l'analogie, et dans l'observation des règles de la syntaxe grammaticale. Le défaut contraire à la pureté est l'incorrection, qui a un double principe, le barbarisme et le solécisme, c'est-à-dire les mots étrangers à la langue et les locutions vicieuses. Ces deux chefs ont de nombreuses dépendances, mais le nombre ne saurait les. autoriser :

Mon esprit n'admet pas un pompeux barbarisme,
Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme.

La propriété du langage, c'est-à-dire l'emploi des mots dans leur véritable acception, est une troisième condition de la pureté du style, ou plutôt on peut considérer l'impropriété des termes comme une variété du barbarisme, puisque les mots ne font partie du vocabulaire qu'avec un sens déterminé; pris à contre-sens, ils deviennent étrangers et par conséquent barbares. Pour arriver à la propriété dans l'expression, c'est-à-dire au mot unique qui exprime la pensée le mieux possible, il faut d'abord se rendre exactement compte de son idée et ne se tenir pour satisfait qu'après en avoir trouvé l'image fidèle. « Parmi toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une, dit La Bruyère, qui soit la bonne : on ne la rencontre pas toujours en parlant ou en écrivant. Il est vrai néanmoins qu'elle existe, que tout ce qui ne l'est point est faible et ne satisfait point un homme d'esprit qui veut se faire entendre. » Le même écrivain ajoute qu'on éprouve, lorsque cette expression souvent si lente à se présenter est

enfin venue à l'esprit, « qu'elle est celle qui était la plus simple, la plus naturelle et qui semble devoir se présenter d'abord et sans effort. » Ces lignes si judicieuses, ce principe qu'on ne doit jamais perdre de vue si on veut écrire pour la postérité, portent condamnation contre bien des ouvrages qui nous éblouissent et qui passeront.

Le purisme, qui tient de la superstition et qui engendre l'intolérance en matière de langage, est né des scrupules exagérés de pureté. J. J. Rousseau a donné à ces casuistes du pédantisme une leçon judicieuse, qu'il ne faut pas cependant prendre à la lettre, lorsqu'il a dit : « Toutes les fois qu'à l'aide d'un solécisme je pourrai me faire mieux entendre, ne pensez pas que j'hésite1. »

Montaigne, ce grand maître dans l'art d'écrire, semble de son côté amnistier le barbarisme : « C'est, dit-il, aux paroles à servir et à suivre, et que le gascon y arrive si le français n'y peut aller. » Mais qu'on ne s'y méprenne pas; ces deux boutades d'écrivains renommés n'ont de portée que contre le purisme, et ne sauraient autoriser aucune infraction à la loi que Boileau a si bien promulguée.

Surtout qu'en vos écrits la langue révérée

Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.

La clarté est la transparence du langage qui doit laisser voir les idées sous les mots. Tout ce qui est vrai peut devenir clair, et gagne en force ce qu'il reçoit en lumière. « Ce n'est pas assez, dit Quintilien, que l'auditeur puisse nous entendre, il faut qu'il ne puisse en aucune manière ne pas nous entendre. » La clarté tient à l'enchaînement des idées, au choix des expressions et à la disposition des membres de la phrase.

1. Delille suit ce sentiment et félicite le causeur aimable qui, dans la conversation,

Quelquefois à la langue, en dépit du purisme,

Ose faire présent d'un heureux solécisme,

Scandale du grammairien.

Le défaut opposé à la clarté est l'obscurité, qui naît de la confusion des idées, de l'affectation du langage et de la complication de la période. « Est-ce un si grand mal, dit La Bruyère, d'être entendu quand on parle et de parler comme tout le monde ? »

Si ton esprit veut cacher

Les belles choses qu'il pense,
Dis-moi qui peut t'empêcher

De te servir du silence? MAYNARD.

Observons cependant que la clarté est une qualité relative, et que bon nombre d'écrivains accusés d'obscurité seraient fondés à demander à ceux qui ne les comprennent pas : « A qui la faute? >>

Fontenelle, dans sa réponse au cardinal Dubois, qui venait de prendre place à l'Académie française, avait dit : « Vous communiquez sans réserve à notre jeune monarque les connaissances qui le mettront un jour en état de gouverner par lui-même vous travaillez de tout votre pouvoir à vous rendre inutile. » Un critique bienveillant corrigea la phrase de Fontenelle dans l'intention de la rendre intelligible, et il substitua utile à inutile. Fontenelle n'était pas obscur, mais le critique était obtus; il n'avait pas saisi la finesse de la pensée de l'orateur, et il lui prêtait généreusement de son crù une outrageuse banalité. En général, il suffit d'être fin ou profond pour paraître obscur à certains esprits..

L'obscurité est le vice ou le déguisement de la faiblesse, le malheur des esprits mal faits ou la ressource des charlatans; la clarté est la vertu des esprits droits et sincères; dans sa perfection, elle produit la netteté que Vauvenargues a si bien définie : le vernis des maîtres.

La précision consiste à ne rien dire qui soit superflu, en disant tout ce qui est nécessaire à la clarté et à l'élégance du langage. Lorsque le style est arrivé à la précision, on n'y peut rien ajouter sans l'affaiblir, on n'en peut rien retrancher sans l'obscurcir. Il ne faut pas confondre la précision et la

concision la précision dessine exactement la pensée, la concision tranche dans le vif; l'une dit tout, l'autre laisse à deviner ou à désirer. La précision ne se concilie avec aucun des vices de la pensée ni du langage; la concision, voisine de l'obscurité, n'exclut pas toujours la prolixité. On peut être avare de mots et prodigue de détails surabondants. Tacite est précis, Perse est concis; Sénèque est concis et prolixe, car il écourte l'expression et il délaye la pensée. L'abondance de Cicéron s'éloigne souvent de la précision; la précision de Cicéron n'enlève rien à la clarté; Bossuet ne cesse jamais d'être précis, même lorsqu'il est magnifique.

La précision est le rapport exact de la pensée et des mots : le vice opposé à cette qualité, ou la diffusion, multiplie les paroles sans rien ajouter à la pensée; le vers suivant de Voltaire la caractérise heureusement :

Un déluge de mots sur un désert d'idées.

2

« Le naturel, dit M. Andrieux 1, est la vérité des expressions, des images, des sentiments, mais une vérité parfaite, et qui paraît n'avoir coûté à l'écrivain aucune peine, aucun effort; la moindre affectation détruit,ce naturel si précieux : dès qu'une expression recherchée, une image forcée, un sentiment exagéré se présente, le charme est détruit. »

Le désir de toujours briller, le soin, comme disait Rivarol, de faire un sort à chaque mot, à chaque phrase, est ce qu'il y a de plus contraire au naturel. Il y a des auteurs qui se tourmentent

du scrupule insensé

De ne penser jamais ce qu'un autre a pensé.

Ceux-là n'atteindront jamais le naturel, pas plus que les dédaigneux dont parle Le Sage, qui se croiraient déshonorés s'ils disaient comme le vulgaire : « Les intermèdes embellissent la comédie, » et qui trouvent mieux de dire : « Les intermèdes font beauté. » Le plus sûr moyen d'écrire natu

1. Leçons professées à l'école polytechnique.

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