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dans le cours de cette vie, tu flottes au milieu des orages et des tempêtes plutôt que tu ne marches sur la terre, ne détourne pas les yeux de cette lumière, si tu ne veux pas être englouti par les flots soulevés. Si le souffle des tentations s'élève, si tu cours vers les écueils des tribulations, lève les yeux vers cette étoile, invoque Marie. Si la colère, ou l'avarice, ou les séductions de la chair, font chavirer ta frêle nacelle, lève les yeux vers Marie. Si le souvenir de crimes honteux, si les remords de ta conscience, si la crainte du jugement t'entraînent vers le gouffre de la tristesse, vers l'abîme du désespoir, songe à Marie : dans les périls, dans les angoisses, dans le doute, songe à Marie, invoque Marie; qu'elle soit toujours sur tes lèvres, toujours dans ton cœur; à ce prix, tu auras l'appui de ses prières, l'exemple de ses vertus. En la suivant, tu ne dévies pas; en l'implorant, tu espères; en y pensant, tu évites l'erreur. Si elle te tient la main, tu ne peux tomber; si elle te protége, tu n'as rien à craindre; si elle te guide, point de fatigue, et sa faveur te conduit au but, et tu éprouves en toi-même avec quelle justice il est écrit: Et le nom de la vierge était Marie. »

L'éloquence académique, qui appartient exclusivement à la France et qui se rattache au genre démonstratif, pourrait nous fournir de nombreux exemples de l'art de terminer avec convenance et mesure des discours dans lesquels la passion vient plutôt de l'esprit que du cœur, et où l'intelligence s'anime par les inspirations du bon goût, qui a aussi sa religion, c'est-à-dire l'amour désintéressé du beau et du vrai. Nous n'avons rien de mieux à faire que de transcrire ici les dernières pages de l'Éloge de Montaigne, brillant début d'un écrivain qui, par une heureuse innovation, devait porter l'éloquence dans la chaire du professeur, comme prélude aux succès de la tribune politique. Nous y trouverons, sous une forme ingénieuse et vive, selon le précepte de Cicéron, une récapitulation qui résume le sujet, et une péroraison qui se rapporte à la situation personnelle de l'orateur :

(( Montaigne, te croyais-tu destiné à tant de gloire, et n'en serais-tu pas étonné? Tu ne parlais que de toi, tu ne voulais peindre que toi; cependant tu fus notre historien. Tu retraças, non les formes incertaines et passagères de la société, mais l'homme tel qu'il est toujours et partout. Tes peintures ne sont pas vieilles après trois siècles; et ces copies si fidèles et si vives, toujours en présence de l'original qui n'a pas changé, conservant toute leur vérité, n'ont rien perdu de leur éclat, et paraissent même embellies par l'épreuve du temps. Ta naïve indulgence, ta franchise et ta bonhomie, ont cessé depuis longtemps d'être en usage: elles ne cesseront jamais de plaire, et tout le raffinement d'un siècle civilisé ne servira qu'à les rendre plus curieuses et plus piquantes. Tes remarques sur le cœur humain pénètrent trop avant pour devenir jamais inutiles. Malgré tant de nouvelles recherches et de nouveaux écrits, elles seront toujours aussi neuves que profondes.

<< Pardonne-moi d'avoir essayé l'analyse de ton génie, sans autre titre que d'aimer tes ouvrages. Ah! la jeunesse n'est pas faite pour apprécier dignement les leçons de l'expérience, et n'a pas le droit de parler du cœur humain qu'elle ne connaît pas. J'ai senti cet obstacle: plus d'une fois j'ai voulu briser ma plume, me défiant de mes idées, et craignant de ne pas assez entendre les choses que je prétendais louer. La supériorité de ta raison m'effrayait, ô Montaigne ! Je désespérais de pouvoir atteindre si haut. Ta simplicité, ton aimable naturel m'ont rendu la confiance et le courage : j'ai pensé que toi-même, si tu pouvais supporter un panégyrique, tu ne te plaindrais pas d'y trouver plus de bonne foi que d'éloquence, plus de candeur que de talent. >>

ÉLOCUTION.

XV.

De l'élocution.

Lorsque les matériaux d'un sujet ont été trouvés, choisis et disposés, il reste à les produire dans les œuvres littéraires, ce dernier travail est l'élocution. L'élocution est donc la production de la pensée par la parole.

Le poëte qui a dit :

Des couleurs du sujet je teindrai mon langage,

a heureusement exprimé la loi fondamentale de l'élocution.

Du style.

Le style n'est pas l'élocution elle-même, il en est la physionomie: il résulte de l'ordre et du mouvement des idées, du choix et du tour des expressions. Le style vraiment digne de ce nom n'exprime pas seulement, il peint et grave la pensée.

« Les ouvrages bien écrits, dit Buffon, seront les seuls qui passeront à la postérité. La quantité des connaissances, la singularité des faits, la nouveauté même des découvertes, ne sont pas de sûrs garants de l'immortalité; si les ouvrages qui les contiennent ne roulent que sur de petits objets, s'ils sont écrits sans goût, sans noblesse et sans génie, ils périront, parce que les connaissances, les faits et les découvertes s'enlèvent aisément, se transportent et gagnent même à être mises en œuvre par des mains plus habiles. Ces choses sont hors de l'homme : le style est l'homme même. »

1. Delille.

Ce mot tant cité et quelquefois altéré de Buffon : « Le style est l'homme même, » veut dire qu'il manifeste la nature propre de l'intelligence qui le produit. La pensée est, pour ainsi dire, générale et impersonnelle, elle relève de l'humanité; le style relève de l'homme seul et l'exprime.

La physionomie de la pensée est le signe et la mesure de l'intelligence: la même idée est ou vulgaire ou noble, selon la vulgarité ou la noblesse de l'esprit qui la met en œuvre. L'intelligence est comme le moule de la pensée; elle est l'ouvrière qui rehausse ou qui déprécie la matière qu'elle a

reçue.

La beauté du style est le privilége des grands esprits; mais les intelligences supérieures elles-mêmes ne jouissent pas de ce privilége à titre gratuit. L'exercice du travail et l'application du goût en sont la condition et la garantie. On peut corrompre les plus beaux dons de la nature par la négligence et par les caprices déréglés. Les titres du style sont la convenance et la pureté du langage; or on ne peut arriver à la convenance qu'en méditant profondément son sujet, et en attendant, avant de produire, que le fond de la pensée en ait déterminé la forme; on n'atteint la pureté que si on respecte les traditions dans l'emploi des mots consacrés, et les procédés légitimes dans le remaniement et le rajeunissement des parties du langage qui ont faibli ou qui se sont flétries.

Les langues sont dans un perpétuel travail d'enfantement pour répondre aux besoins de la pensée: elles ne se fixent. définitivement que dans leurs caractères généraux, et non dans leur vocabulaire, qui s'épuise s'il ne s'alimente.

Les moyens de recrutement pour le langage sont d'abord la reprise des mots et des tournures délaissés par caprice et par oubli. L'étude des vieux auteurs, qui sont de grands écrivains, révélera des richesses enfouies. Lisez Amyot,

BOIL.

1.

2.

Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse.
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.

BOIL.

Montaigne, Rabelais, Villon, Marot, et vous retrouverez des mots et des tournures antiques qui exprimeront merveilleusement des pensers nouveaux. Prenez ces vieux auteurs non pas comme modèles, mais comme mines et carrières; vous retremperez ainsi la langue sans faire de pastiches; le pastiche est l'écueil de l'archaïsme.

Les langues étrangères peuvent aussi, mais avec mesure, nous faire quelques restitutions, et les anciennes des prêts

nouveaux.

Mais le recrutement de la langue littéraire se fera surtout par la langue populaire, et par les langues spéciales des arts et de la science1: car dans la langue vulgaire, comme dans ces idiomes spéciaux des artistes et des savants, les mots naissent des besoins de la pensée active en plein exercice, et reçoivent une empreinte vivante de la vie même de l'intelligence.

Il y a encore un art dont l'emploi n'est pas la moindre ressource du langage; c'est de rajeunir les mots, et de les renouveler, pour ainsi dire, par des alliances imprévues 2.

C'est faute de connaître ces riches ressources, c'est par ignorance et paresse que des écrivains accusent l'indigence de la langue, et qu'ils lui prêtent la fausse richesse de leurs barbarismes.

Eh quoi! pourrait-on leur dire : vous avez sous la main de vieux auteurs qui abondent en expessions pittoresques, en tournures hardies; vous avez la source non tarie des langues anciennes, qui ont beaucoup donné à la vôtre et qui ne demandent pas mieux que de l'enrichir encore; vous avez près de vous ce grand nomenclateur qui a reçu d'Adam

1. Voici ce que dit Montaigne à ce sujet : « En nostre langage, je trouvc assez d'estoffe, mais un peu faulte de façon, car il n'est rien qu'on ne feist du jargon de nos chasses et de nostre guerre, qui est un généreux terrein à emprunter; et les formes de parler, comme les herbes, s'amendent et fortifient en les transplantant. » Ess., liv. III, chap. 5. Notum si callida verbum Hor.

2.

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Reddiderit junctura novum.

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