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bordée de lances & d'épées, un dragon au haut de l'échelle, un grand jardin auprès du dragon, des brebis dont un vieillard tirait le lait, un réservoir plein d'eau, un flacon d'eau dont on buvait fans que l'eau diminuât; Ste Perpétue fe battant toute nue contre un vilain égyptien, de beaux jeunes gens tout nus qui prenaient fon parti; elle-même enfin devenue homme & athlete très-vigoureux; ce font là, ce me femble, des imaginations qui ne devraient pas entrer dans un ouvrage refpectable.

II y a encore une réflexion très-importante à faire; c'eft que le flyle de tous ces récits de martyres arrivés dans des temps fi différens, eft par-tout femblable, par-tout également puéril & ampoulé. Vous retrouvez les mêmes tours, les mêmes phrases dans l'hiftoire d'un martyre fous Donatien, & d'un autre fous Galérius. Ce font les mêmes épithètes, les mêmes exagérations. Pour peu qu'on fe connaisse en style, on voit qu'une même main les a tous rédigés.

Je ne prétends point ici faire un livre contre dom Ruinart; & en refpectant toujours, en admirant, en invoquant les vrais martyrs avec la fainte Eglife, je me bornerai à faire fentir, par un ou deux exemples frappans, combien il eft dangereux de mêler ce qui n'eft que ridicule avec ce qu'on doit vénérer.

7°. De St Théodote de la ville d'Ancire, & des Sept vierges, écrit par Nilus témoin oculaire, tiré de Bollandus.

PLUSIEURS critiques, auffi éminens en fagesse qu'en vraie piété, nous ont déjà fait connaître que la

légende de S Théodote le cabaretier eft une profanation & une efpèce d'impiété, qui aurait dû être fupprimée. Voici l'hiftoire de Théodote. Nous emploierons fouvent les propres paroles des Actes fincères recueillis par dom Ruinart.

Son métier de cabaretier lui fourniffait les moyens d'exercer fes fonctions épifcopales. Cabaret illuflre, confacré à la piété & non à la débauche... ... Tantôt Théodote était médecin, tantôt il fournissait de bons morceaux aux fidelles. On vit un cabaret être aux chrétiens ce que l'arche de Noé fut à ceux que DIEU voulut fauver du déluge. (b)

Ce cabaretier Théodote fe promenant près du fleuve Halis avec fes convives vers un bourg voifin de la ville d'Ancire, un gazon frais & mollet leur préfentait un lit délicieux; une fource qui fortait à quelques pas de là au pied d'un rocher, & qui par une route couronnée de fleurs venait fe rendre auprès d'eux pour les défaltérer, leur offrait une eau claire & pure. Des arbres fruitiers mêlés d'arbres fauvages leur fournissaient de l'ombre & des fruits, & une bande de favans roffignols, que des cigales relevaient de temps en temps, y formaient un charmant concert &c.

Le curé du lieu, nommé Fronton, étant arrivé, & le cabaretier ayant bu avec lui fur l'herbe, dont le verd naiffant était relevé par les nuances diverfes du divers coloris des fleurs, dit au curé: Ah, père, quel plaifir il y aurait à bâtir ici une chapelle! Oui, dit Fronton, mais il faut commencer par avoir des reliques. Allez, allez, reprit St Théodote, vous en aurez bientôt

(b) Ce qui eft en lettres italiques eft mot à mot dans les Actes fincères, tout le reste eft entièrement conforme. On l'a feulement abregé pour éviter l'ennui du ftyle declamatoire de ces actes.

fur ma parole, & voici mon anneau que je vous donne pour gage, bâtiffez vite la chapelle.

Le cabaretier avait le don de prophétie, & favait bien ce qu'il difait. Il s'en va à la ville d'Ancire, tandis que le curé Fronton fe met à bâtir. Il y trouve la perfécution la plus horrible, qui durait depuis trèslong-temps. Sept vierges chrétiennes, dont la plus jeune avait foixante & dix ans, venaient d'être condamnées, felon l'usage, à perdre leur pucelage par le ministère de tous les jeunes gens de la ville. La jeuneffe d'Ancire, qui avait probablement des affaires plus preffantes, ne s'empreffa pas d'exécuter la fentence. Il ne s'en trouva qu'un qui obéit à la justice. Il s'adreffa à Ste Thécufe, & la mena dans un cabinet avec une valeur étonnante. Thécufe fe jeta à fes genoux, & lui dit : Pour DIEU, mon fils, un peu de vergogne; voyez ces yeux éteints, cette chair demi-morte, ces rides pleines de craffe, que foixante & dix ans ont creufees fur mon front, ce vifage couleur de terre. .. quittez des pensées fi indignes d'un jeune homme comme vous, JESUS-CHRIST vous en conjure par ma bouche. Il vous le demande comme une grâce, & fi vous la lui accordez vous pouvez attendre tout de fa reconnaiffance. Ce difcours de la vieille & fon visage firent rentrer tout-à-coup l'exécuteur en lui-même. Les fept vierges ne furent point déflorées.

....

Le gouverneur irrité chercha un autre fupplice; il les fit initier fur le champ aux mystères de Diane & de Minerve. Il eft vrai qu'on avait inftitué de grandes fètes en l'honneur de ces divinités; mais on ne connaît point dans l'antiquité les myftères de Minerve & de Diane. S' Nil, intime ami du cabaretier Théodote, auteur de cette histoire merveilleuse, n'était pas au fait.

On mit, felon lui, les fept belles demoifelles toutes nues fur le char qui portait la grande Diane & la fage Minerve au bord d'un lac voifin. Le Thucydide St Nil paraît encore ici fort mal informé. Les prêtreffes étaient toujours couvertes d'un voile ; & jamais les magiftrats romains n'ont fait fervir la déesse de la chafteté & celle de la fageffe par des filles qui montraffent aux peuples leur devant & leur derrière.

St Nil ajoute que le char était précédé par deux chœurs de ménades qui portaient le thyrfe en main. S' Nil a pris ici les prêtreffes de Minerve pour celles de Bacchus. Iln'était pas verfé dans la liturgie d'Ancire.

Le cabaretier en entrant dans la ville vit ce funefte fpectacle, le gouverneur, les ménades, la charrette, Minerve, Diane & les fept pucelles. Il court fe mettre en oraifon dans une hutte avec un neveu de St Thécufe. Il prie le ciel que ces fept dames foient plutôt mortes que nues. Sa prière eft exaucée ; il apprend que les fept filles au lieu d'être déflorées ont été jetées dans le lac, une pierre au cou, par ordre du gouverneur. Leur virginité eft en fureté. A cette nouvelle le faint fe relevant de terre, & fe tenant fur les genoux, tourna fes yeux vers le ciel; & parmi les divers mouvemens d'amour, de joie & de reconnaissance qu'il reffentait, il dit: Je vous rends grâces, Seigneur, de ce que vous n'avez pas rejeté la prière de votre ferviteur.

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Il s'endormit, & pendant fon fommeil, Ste Thécufe la plus jeune des noyées lui apparut. Eh quoi! mon fils Théodote, lui dit-elle, vous dormez fans penfer à nous; avez-vous oublié fi tôt les foins que j'ai pris de votre jeuneffe? Ne fouffrez pas, mon cher Théodote, que nos corps foient mangés des poiffons. Allez au lac, mais gardez-vous d'un

traître.

Ce traître était le propre neveu de Se Thécufe. J'omets ici une foule d'aventures miraculeuses qui arrivèrent au cabaretier pour venir à la plus importante. Un cavalier célefte armé de toutes pièces, précédé d'un flambeau céleste, descend du haut de l'empyrée, conduit au lac le cabaretier au milieu des tempêtes, écarte tous les foldats qui gardaient le rivage, & donne le temps à Théodote de repêcher les fept vieilles & de

les enterrer.

Le neveu de Thécufe alla malheureusement tout dire. On faifit Théodote, on effaya en vain pendant trois jours tous les fupplices pour le faire mourir. On ne put en venir à bout qu'en lui tranchant la tête; opération à laquelle les faints ne réfiftent jamais.

Il reftait de l'enterrer. Son ami le curé Fronton, à qui Théodote en qualité de cabaretier avait donné deux outres remplies de bon vin, enivra les gardes & emporta le corps. Alors Théodote apparut en corps & en ame au curé: Hé bien, mon ami, lui dit-il, ne t'avais-je pas bien dit que tu aurais des reliques. pour ta chapelle ?

C'eft-là ce que rapporte St Nil, témoin oculaire, qui ne pouvait être ni trompé ni trompeur; c'eft-là ce que tranfcrit dom Ruinart comme un acte fincère. Or tout homme fenfé, tout chrétien fage lui demandera fi on s'y ferait pris autrement pour déshonorer la religion la plus fainte, la plus augufte de la terre, la tourner en ridicule.

&

pour

Je ne parlerai point des onze mille vierges, je ne difcuterai point la fable de la légion thébaine, compofée, dit l'auteur, de fix mille fix cents hommes, tous chrétiens venant d'Orient par le mont St Bernard,

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