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S'il était rare qu'on érigeât un monument dans Rome à des gens ainfi traités, il n'était pas moins rare qu'un grand-prêtre fe chargeât de l'infcription, & même que ce prêtre romain leur fît une épitaphe grecque. Mais ce qui eft encore plus rare, c'est qu'on prétende que ce mot biotanates fignifie les fept fuppliciés. Biotanates eft un mot forgé qu'on ne trouve dans aucun auteur; & ce ne peut être que par un jeu de mots qu'on lui donne cette fignification, en abusant du mot thenon. Il n'y a guère de fable plus mal conftruite. Les légendaires ont fu mentir, mais ils n'ont jamais fu

mentir avec art.

Le favant la Crofe, bibliothécaire du roi de Pruffe Frederic le grand, disait : Je ne fais pas fi Ruinart eft fincère, mais j'ai peur qu'il ne foit imbécille.

2o. Sainte Félicité & encore fept enfans.

C'EST de Surius qu'eft tirée cette légende. Ce Surius eft un peu décrié pour fes abfurdités. C'eft un moine du feizième siècle qui raconte les martyres du second, comme s'il avait été présent.

Il prétend que ce méchant homme, ce tyran MarcAurèle Antonin Pie ordonna au préfet de Rome de faire le procès à Ste Félicité, de la faire mourir elle & fes fept enfans, parce qu'il courait un bruit qu'elle était chrétienne.

Le préfet tint fon tribunal au champ de Mars, lequel pourtant ne fervait alors qu'à la revue des troupes; & la première chofe que fit le préfet, ce fut de lui faire donner un foufflet en pleine affemblée.

Les

Les longs difcours du magiftrat & des accufés font dignes de l'hiftorien. Il finit par faire mourir les fept frères dans des fupplices différens, comme les enfans de Se Symphorofe. Ce n'eft qu'un double emploi. Mais pour S" Félicité il la laiffe là & n'en dit pas un mot.

3°. Saint Polycarpe.

Eufebe raconte que St Polycarpe ayant connu en fonge qu'il ferait brûlé dans trois jours, en avertit fes amis. Le légendaire ajoute que le lieutenant de police de Smyrne, nommé Hérode, le fit prendre par fes archers, qu'il fut livré aux bêtes dans l'amphithéâtre, que le ciel s'entr'ouvrit, & qu'une voix céleste lui cria: Bon courage, Polycarpe; que l'heure de lâcher les lions fur l'amphithéâtre étant paffée, on alla prendre dans toutes les maifons du bois pour le brûler; que le faint s'adressa au Dieu des archanges, (quoique le mot d'archange ne fût point encore connu) qu'alors les flammes s'arrangèrent autour de lui en arc de triomphe fans le toucher; que fon corps avait l'odeur d'un pain cuit; mais qu'ayant résisté au feu, il ne put fe défendre d'un coup de fabre; que fon fang éteignit le bûcher, & qu'il en fortit une colombe qui s'envola droit au ciel. On ne fait pas précisément dans quelle planète.

4°. De faint Ptolomée.

Nous fuivons l'ordre de dom Ruinart; mais nous ne voulons point révoquer en doute le martyre de St Ptolomée qui eft tiré de l'apologétique de S'Juflin.

Nous pourrions former quelques difficultés fur la femme accufée par fon mari d'être chrétienne, & qui Dictionn. philofoph. Tome VI.

C

le prévint en lui donnant le libelle de divorce. Nous pourrions demander pourquoi, dans cette histoire, il n'eft plus queftion de cette femme? Nous pourrions faire voir qu'il n'était pas permis aux femmes du temps de Marc-Aurèle de demander à répudier leurs maris, que cette permiffion ne leur fut donnée que fous l'empereur Julien, & que l'hiftoire tant répétée de cette chrétienne qui répudia fon mari, (tandis qu'aucune païenne n'avait ofé en venir là) pourrait bien n'être qu'une fable; mais nous ne voulons point élever de difputes épineufes. Pour peu qu'il y ait de vraisemblance dans la compilation de dom Ruinart, nous refpectons trop le fujet qu'il traite pour faire des objections.

Nous n'en ferons point fur la lettre des Eglifes de Vienne & de Lyon, quoiqu'il y ait encore bien des obfcurités mais on nous pardonnera de défendre la mémoire du grand Marc-Aurèle outragée dans la vie de faint Symphorien de la ville d'Autun, qui était probablement parent de Ste Symphorofe.

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5°. De faint Symphorien d'Autun.

LA légende, dont on ignore l'auteur, commence ainfi L'empereur Marc-Aurèle venait d'exciter une effroyable tempête contre l'Eglife, & fes édits fou,, droyans attaquaient de tous côtés la religion de JESUS-CHRIST, lorfque St Symphorien vivait dans ,, Autun dans tout l'éclat que peut donner une haute ,, naiffance & une rare vertu. Il était d'une famille ,, chrétienne, & l'une des plus confidérables de la "ville, &c.,

Jamais Marc-Aurèle ne donna d'édit fanglant contre les chrétiens. C'eft une calomnie très-condamnable. Tillemont lui-même avoue que ce fut le meilleur prince qu'aient jamais eu les Romains, que fon règne fut un fiècle d'or, & qu'il vérifia ce qu'il difait fouvent d'après Platon, que les peuples ne feraient heureux que quand les rois feraient philofophes.

De tous les empereurs ce fut celui qui promulgua les meilleures lois; il protégea tous les fages & ne perfécuta aucun chrétien, dont il avait un grand nombre à fon fervice.

Le légendaire raconte que St Symphorien ayant refufé d'adorer Cybele, le juge de la ville demanda : Qui eft cet homme-là? Or il eft impoffible que le juge d'Autun n'eût pas connu l'homme le plus confidérable d'Autun.

On le fait déclarer par la fentence coupable de lèfe-majefté divine & humaine. Jamais les Romains n'ont employé cette formule, & cela feul ôterait toute créance au prétendu martyre d'Autun.

Pour mieux repouffer la calomnie contre la mémoire facrée de Marc-Aurèle, mettons fous les yeux le discours de Meliton, évêque de Sarde, à ce meilleur des empereurs, rapporté mot à mot par Eufebe.

" (a) La fuite continuelle des heureux fuccès qui ,, font arrivés à l'empire, fans que fa félicité ait été

troublée par aucune difgrace, depuis que notre "religion qui était née avec lui s'eft augmentée dans "fon fein, eft une preuve évidente qu'elle contribue ›› notablement à sa grandeur & à fa gloire. Il n'y a "eu entre les empereurs que Néron & Domitien, (a) Eufebe, page 187, traduction de Cousin in-4°

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qui, étant trompés par certains impofteurs, ont ,, répandu contre nous des calomnies, qui ont trouvé felon la coutume quelque créance parmi le peuple. Mais vos très-pieux prédéceffeurs ont corrigé l'ignorance de ce peuple, & ont réprimé par ,, des édits publics la hardieffe de ceux qui entreprendraient de nous faire aucun mauvais traitement. " Adrien, votre aïeul, a écrit en notre faveur à Fundanus gouverneur d'Afie, & à plufieurs autres. ,, L'empereur votre père, dans le temps que vous , partagiez avec lui les foins du gouvernement, a " écrit aux habitans de Lariffe, de Theffalonique, ,, d'Athènes, & enfin à tous les peuples de la Grèce, " pour réprimer les féditions & les tumultes qui ,, avaient été excités contre nous. "

Ce paffage d'un évêque très-pieux, très-fage & très-véridique, fuffit pour confondre à jamais tous les menfonges des légendaires, qu'on peut regarder comme la bibliothèque bleue du chriftianifme.

6°. D'une autre fainte Félicité, & fainte Perpétue.

S'IL était queftion de contredire la légende de Félicité & de Perpétue, il ne ferait pas difficile de faire voir combien elle est suspecte. On ne connaît ces martyres de Carthage que par un écrit fans date de l'églife de Salzbourg. Or il y a loin de cette partie de la Bavière à la Goulette. On ne nous dit pas fous quel empereur cette Félicité & cette Perpétue reçurent la couronne du dernier fupplice. Les vifions prodigieufes dont cette hiftoire eft remplie ne décèlent pas un hiftorien bien fage. Une échelle toute d'or

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