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trahi par fon parent, preffé par les armes françaises, dénué de toute reffource, aima mieux fe remettre dans les mains de Louis XII, qu'il crut généreux, que dans celles du roi catholique, qui le traitait avec tant de perfidie. Il demande aux Français un passeport pour fortir de fon royaume. Il vient en France avec cinq galères, & là il reçoit une penfion du roi de cent vingt mille livres de notre monnaie d'aujourd'hui. Etrange deftinée pour un fouverain!

Louis XII avait donc tout à la fois un duc de Milan prifonnier, un roi de Naples fuivant fa cour & fon penfionnaire. La république de Gènes était une de fes provinces. Le royaume peu chargé d'impôts était un des plus floriffans de la terre. Il lui manquait feulement l'induftrie du commerce & la gloire des beaux arts, qui étaient, comme nous le verrons, le partage de l'Italie.

CHAPITRE CX I

Attentats de la famille d'Alexandre VI & de Céfar de Borgia. Suite des affaires de Louis XII avec Ferdinand le catholique. Mort du pape.

ALEXANDRE VI fefait alors en petit ce que Louis XII

exécutait en grand. Il conquérait les fiefs de la Romagne par les mains de fon fils. Tout était deftiné à l'agrandiffement de ce fils; mais il n'en jouit guère. Il travaillait fans y penfer pour le domaine eccléfiaftique.

Il n'y eut ni violence ni artifice, ni grandeur de courage, ni fcélérateffe que Céfar Borgia ne mît en ufage. Il employa pour envahir huit ou dix petites villes, & pour fe défaire de quelques petits feigneurs, plus d'art que les Alexandres, les Gengis, les Tamerlans, les Mahomets n'en mirent à fubjuguer une grande partie de la terre. On vendit des indulgences pour avoir une armée. Le cardinal Bembo affure que dans les feuls domaines de Venife on en vendit pour près de feize cents marcs d'or. On impofa le dixième fur tous les revenus eccléfiaftiques, fous prétexte d'une guerre contre les Turcs : & il ne s'agiffait que d'une petite guerre aux portes de Rome.

Sacriléges & meurtres.

D'abord on faifit les places des Colonna & des Savelli auprès de Rome. Borgia emporta par force & par adreffe Forli, Faenza, Rimini, Imola, Piombino; & dans ces conquêtes, la perfidie, l'affaffinat, l'empoifonnement font une partie de fes armes. Il demande au nom du pape des troupes & de l'artillerie au duc d'Urbin. Il s'en fert contre le duc d'Urbin même, & lui ravit fon duché. Il attire dans une conférence le feigneur de la ville de Camerino; il le fait étrangler avec fes deux fils. Il engage par les plus grands fermens le duc de Gravina, Oliverotto, Pagolo Vitelli, & un autre, à venir traiter avec lui auprès de Sinigaglia. L'embufcade était préparée. Il fait maffacrer impitoyablement Vitelli & Oliverotto. Pourrait-on penfer que Vitelli en expirant fuppliât Excès de fon affaffin d'obtenir pour lui auprès du père une indulgence à l'article de la mort ? c'est pourtant ce que difent les contemporains. Rien ne montre mieux la faibleffe humaine & le pouvoir de

pape

fon

fuperftition.

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Excès de

d'infamie.

l'opinion. Si Céfar Borgia fût mort avant Alexandre VI du poifon qu'on prétend qu'ils préparèrent à des cardinaux & qu'ils bûrent l'un & l'autre, il ne faudrait pas s'étonner que Borgia en mourant eût demandé une indulgence plénière au pontife fon père.

Alexandre VI dans le même temps fe faififfait des cruauté & amis de ces infortunés, & les fefait étrangler au château St Ange. Guicciardino croit que le feigneur de Farneza, nommé Aftor, jeune homme d'une grande beauté, livré au bâtard du pape, fut forcé de fervir à fes plaifirs, & envoyé enfuite avec fon frère naturel au pape, qui les fit périr tous deux par la corde. Le roi de France, père de fon peuple, & honnête homme chez lui, favorifait en Italie ces crimes qu'il aurait puni dans fon royaume. Il s'en rendait le complice; il abandonnait au pape ces victimes, pour être fecondé par lui dans fa conquête de Naples. Ce qu'on appelle la politique, l'intérêt d'Etat, le rendit injufte en faveur d'Alexandre VI. Quelle politique, quel intérêt d'Etat, de feconder les atrocités d'un fcélérat qui le trahit bientôt après ! Et comment les hommes font gouvernés! Un pape, & fon bâtard qu'on avait vu archevêque, fouillaient l'Italie de tous les crimes; un roi de France, qu'on a nommé père du peuple, les fecondait; & les nations hébétées demeuraient dans le filence.

La deftinée des Français, qui était de conquérir Naples, était auffi d'en être chaffés. Ferdinand le catholique ou le perfide, qui avait trompé le dernier roi de Naples fon parent, ne fut pas plus fidelle à Louis XII. Il fut bientôt d'accord avec Alexandre VI pour ôter au roi de France fon partage.

Français

battus.

Gonfalve de Cordoue, qui mérita fi bien le titre de grand capitaine, & non de vertueux, lui qui difait que la toile d'honneur doit être groffièrement tiffue, trompa d'abord les Français, & enfuite les vainquit. Il me femble qu'il y a eu fouvent dans les généraux français beaucoup plus de ce courage que l'honneur inspire que de cet art néceffaire dans les grandes affaires. Le duc de Nemours, defcendant de Clovis, commandait les Français ; il appela Gonfalve en duel. Gonfalve répondit en battant plufieurs fois fon armée, & furtout à Cérignola dans la Pouille où Nemours fut tué avec quatre mille français. Il ne périt, dit-on, 1503. que neuf efpagnols dans cette bataille; preuve évidente que Gonfalve avait choifi un pofte avantageux, que Nemours avait manqué de prudence, & qu'il n'avait que des troupes découragées. En vain le fameux chevalier Bayard foutint feul fur un pont étroit l'effort de deux cents ennemis qui l'attaquaient: cet effort de valeur fut glorieux & inutile. On le comparait à Horatius Cocles, mais il ne combattait pas pour des Romains.

Ce fut dans cette guerre qu'on trouva une nouvelle manière d'exterminer les hommes. Pierre de Navarre, foldat de fortune & grand général espagnol, inventa les mines, dont les Français éprouvèrent les premiers effets.

pagne,

La France cependant était alors fi puiffante que Louis XII put mettre à la fois trois armées en cam& une flotte en mer. De ces trois armées, l'une fut deftinée pour Naples, les deux autres pour le Rouffillon & pour Fontarabie. Mais aucune de ces armées ne fit des progrès, & celle de Naples fut

Mines

inventées.

1503.

Mort d'Alexandre

VI.

bientôt entièrement diffipée, tant on oppofa une mauvaise conduite à celle du grand capitaine. Enfin Louis XII perdit fa part du royaume de Naples fans

retour.

Bientôt après, l'Italie fut délivrée d'Alexandre VI & de fon fils. Tous les historiens fe plaisent à transmettre à la postérité que ce pape mourut du poifon qu'il avait destiné dans un feftin à plufieurs cardinaux, trépas digne en effet de fa vie; mais le fait eft bien peu vraisemblable. On prétend que dans un befoin preffant d'argent, il voulut hériter de ces cardinaux; mais il eft prouvé que Cefar Borgia emporta cent mille ducats d'or du tréfor de fon père après fa mort: le befoin n'était donc pas réel. D'ailleurs, comment fe méprit-on à cette bouteille de vin empoisonnée, qui, dit-on, donna la mort au pape,& mit fon fils au bord du tombeau? Des hommes qui ont une fi longue expérience du crime ne laiffent pas lieu à une telle méprise. On ne cite perfonne qui en ait fait l'aveu; il paraît donc bien difficile qu'on en fùt informé. Si quand le pape mourut, cette caufe de fa mort avait été fue, elle l'eût été par ceux-là même qu'on avait voulu empoifonner. Ils n'euffent point laiffé un tel crime impuni ; ils n'euffent point fouffert que Borgia s'emparât paifiblement des trésors de fon père. Le peuple qui hait souvent fes maîtres & quia de tels maîtres en exécration, tenu dans l'esclavage fous Alexandre, eût éclaté à fa mort il eût troublé la pompe funèbre de ce monftre; il eût déchiré fon abominable fils. Enfin le journal de la maifon de Borgia porte que le pape âgé de foixante & douze ans fut attaqué d'une fièvre

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