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CHAPITRE CXIII.

De la ligue de Cambrai, & quelle en fut la fuite. Du pape Jules II, &c.

Le pape Jules II, né à Savone, domaine de Gènes, LE E

voyait avec indignation fa patrie fous le joug de la France. Un effort que fit Gènes en ce temps-là, pour recouvrer fon ancienne liberté, avait été puni par Louis XII avec plus de fafte que de rigueur. Il était entré dans la ville l'épée nue à la main ; il avait fait brûler en fa préfence tous les priviléges de la ville; enfuite ayant fait dreffer fon trône dans la grande place fur un échafaud fuperbe, il fit venir les Génois au pied de l'échafaud, qui entendirent leur sentence genoux. Il ne les condamna qu'à une amende de cent mille écus d'or, & bâtit une citadelle qu'il appela la bride de Gènes.

à

Le pape qui, comme tous fes prédéceffeurs, aurait voulu chaffer tous les étrangers d'Italie, cherchait à renvoyer les Français au-delà des Alpes; mais il voulait d'abord que les Vénitiens s'uniffent avec lui, & commençaffent par lui remettre beaucoup de villes que l'Eglife réclamait. La plupart de ces villes avaient été arrachées à leurs poffeffeurs par le duc de Valentinois, Cefar Borgia; & les Vénitiens, toujours attentifs à leurs intérêts, s'étaient emparés immédiatement après la mort d'Alexandre VI de Rimini, de Faënza, de beaucoup de terres dans la Romagne, dans le Ferrarois & dans le duché d'Urbin.

accabler

les

Ils voulurent retenir leurs conquêtes. Jules II fe Jules II veut fervit alors contre Venife des Français mêmes Venitiens par contre lefquels il eût voulu l'armer. Ce ne fut pas les Français. affez des Français; il fit entrer toute l'Europe dans

la ligue.

tre Venise.

Il n'y avait guère de fouverain qui ne pût Tous les redemander quelque territoire à cette république. princes conL'empereur Maximilien avait des prétentions illimitées comme empereur: un fait très-intéreffant qui n'a pas été connu à l'abbé Dubos dans fon excellente hiftoire de la ligue de Cambrai, un fait qui nous paraît aujourd'hui très-extraordinaire, & qui pourtant ne l'était pas aux yeux de la chancellerie allemande, c'est que l'empereur Maximilien avait cité déjà le doge Loredano & tout le fénat de Venise à comparaître devant lui, & à demander pardon de n'avoir pas fouffert qu'il paffat par leur territoire avec des troupes, pour aller fe faire couronner empereur à Rome. Le sénat n'ayant point obéi à ses sommations, la chambre impériale le condamna par contumace & le mit au ban de l'empire.

Il est donc évident qu'on regardait à Vienne les Vénitiens comme des vaffaux rebelles, & que jamais la cour impériale ne fe départit de fes prétentions fur prefque toute l'Europe. S'il eût été auffi aifé de prendre Venife que de la condamner, cette république la plus ancienne & la plus floriffante de la terre n'existerait plus. Le droit le plus facré des hommes, la liberté, ce droit plus ancien que tous les empires, ne ferait qu'une rébellion. C'est-là un étrange droit public!

D'ailleurs Vérone, Vicence, Padoue, la Marche

1508.

Trévifane, le Frioul, étaient à la bienféance de l'empereur. Le roi d'Arragon Ferdinand le catholique pouvait reprendre quelques villes maritimes dans le royaume de Naples, qu'il avait engagées aux Vénitiens. C'était une manière prompte de s'acquitter. Le roi de Hongrie avait des prétentions fur une partie de la Dalmatie. Le duc de Savoie pouvait auffi revendiquer l'île de Chypre, parce qu'il était allié de la maifon de Chypre qui n'existait plus. Les Florentins, en qualité de voifins, avaient auffi des droits.

Prefque tous les potentats, ennemis les uns des autres, fufpendirent leurs querelles pour s'unir enfemble à Cambrai contre Venife. Le Turc, fon ennemi naturel, & qui était alors en paix avec elle, fut le feul qui n'accéda pas à ce traité. Jamais tant de rois ne s'étaient ligués contre l'ancienne Rome. Venise était auffi riche qu'eux tous ensemble. Elle fe confia dans cette reffource, & furtout dans la défunion qui fe mit bientôt entre tant d'alliés. Il ne tenait qu'à elle d'appaiser Jules II, principal auteur de la ligue; mais elle dédaigna de demander grâce, & ofa attendre l'orage. C'eft peut-être la feule fois qu'elle ait été téméraire.

Les excommunications, plus méprifées chez les Vénitiens qu'ailleurs, furent la déclaration du pape. Louis XII envoya un héraut d'armes annoncer la guerre au doge. Il redemandait le Crémonois, qu'il avait cédé lui-même aux Vénitiens, quand ils l'avaient aidé à prendre le Milanais. Il revendiquait le Breffan, Bergame & d'autres terres.

Cette rapidité de fortune qui avait accompagné

les Français dans les commencemens de toutes leurs expéditions, ne se démentit pas. Louis XII à Louis XII la tête de fon armée détruifit les forces vénitiennes la grandeur ne fert qu'à à la célébre journée d'Agnadel près de la rivière du pape. d'Adda. Alors chacun des prétendans fe jeta fur 1509. fon partage. Jules II s'empara de toute la Romagne. Ainfi les papes, qui devaient, dit-on, à un empereur de France leurs premiers domaines, durent le refte aux armes de Louis XII. Ils furent alors en poffeffion de prefque tout le pays qu'ils occupent aujourd hui.

Les troupes de l'empereur, s'avançant cependant dans le Frioul, s'emparèrent de Triefte, qui eft refté à la maison d'Autriche. Les troupes d'Espagne occupèrent ce que Venise avait en Calabre. Il n'y eut pas jusqu'au duc de Ferrare & au marquis de Mantoue, autrefois général au fervice des Vénitiens, qui ne faififfent leur proie. Venise paffa de la témérité à la confternation. Elle abandonna elle-même fes villes de terre ferme, & leur remit non-feulement les fermens de fidélité, mais l'argent qu'elles devaient à l'Etat ; & réduite à fes lagunes, elle implora la miféricorde de l'empereur Maximilien, qui fe voyant heureux fut inflexible.

Le fénat excommunié par le pape & opprimé par tant de princes n'eut alors d'autre parti à prendre que de fe jeter entre les bras du Turc. Il députa Louis Raimond en qualité d'ambaffadeur vers Bajazet ; mais l'empereur Maximilien ayant échoué au fiége de Padoue, les Vénitiens reprirent courage & contre-mandèrent leur ambaffadeur. Au lieu de devenir tributaires de la porte ottomane, ils confentirent

1

Jules

Il veut
chaffer les

Français qui
l'ont fervi.

à demander pardon au pape Jules II, auquel ils envoyèrent fix nobles. Le pape leur impofa des pénitences comme s'il avait fait la guerre par ordre de DIEU, & comme fi DIEU avait ordonné aux Vénitiens de ne pas fe défendre.

Jules II ayant rempli fon premier projet d'agrandir Rome fur les ruines de Venife fongea au fecond; c'était de chaffer les Barbares d'Italie.

Louis XII était retourné en France, prenant toujours, ainfi que Charles VIII, moins de mesures pour conferver qu'il n'avait eu de promptitude à conquérir. Le pape pardonna aux Vénitiens qui, revenus de leur première terreur, réfiftaient aux armes impériales.

Enfin il fe ligua avec cette même république contre ces mêmes Français, après l'avoir opprimée par eux. Il voulait détruire en Italie tous les étran gers les uns par les autres, exterminer le reste alors languiffant de l'autorité allemande, & faire de l'Italie un corps puiffant dont le fouverain pontife ferait le chef. Il n'épargna dans ces deffeins ni négociations ni argent ni peines. Il fit lui-même la guerre; il alla à la tranchée; il affronta la mort. Nos hiftoriens blâment fon ambition & fon opiniâtreté; il fallait auffi rendre juftice à fon courage & à fes grandes vues. C'était un mauvais prêtre, mais un prince auffi eftimable qu'aucun de fon temps.

Une nouvelle faute de Louis XII feconda les deffeins de Jules II. Le premier avait une économie qui eft une vertu dans le gouvernement ordinaire d'un Etat paisible, & un vice dans les grandes affaires.

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