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Mais, ô Dieux! qu'est-ce que je vois?
Que de prodiges à la fois!
Quelle merveilleuse structure!
Je me trompe, ou l'art envieux
Semble vouloir en ces beaux lieux
Le disputer à la nature.

N'est-ce point un enchantement
Qui m'impose agréablement?
L'onde s'élève par étage,

Montant par cent tuyaux divers,
Et se faisant avec courage

Un nouveau chemin dans les airs,
S'empresse d'aller rendre hommage
Au plus grand roi de l'univers.
Je la vois se précipiter,

Ici, du haut d'une éminence,
Puis se répandre et serpenter
Dans ce charmant lieu de plaisance,
Où Louis trouve tant d'attraits.
Là, redoublant sa violence,
Elle entre en des conduits secrets,
D'où vers le ciel elle s'élance,
Et contribuant quelquefois
Au plaisir du meilleur des rois,
Elle en fait à toute la France.

Les connaisseurs dans le genre de pensées nobles et délicates, ont remarqué avec raison celle de l'empereur Titus, dans la tragédie de ce nom par M. Racine. Il aimait la reine Bérénice, mais il sentait bien qu'il ne pouvait l'épouser sans déplaire aux Romains. Parmi toutes les raisons qu'il allègue pour lui faire comprendre qu'il faut qu'ils se séparent, il lui parle ainsi :

Je sais tous les tourmens où ce dessein me livre ;
Je sens bien que sans vous je ne saurais plus vivre,
Que mon cœur de moi-même est prêt à s'éloigner
Mais il ne s'agit plus de vivre : il faut régner.

Il y a une délicatesse infinie dans ce dernier vers, et tout homme de goût comprend le sens de ces mots : Il ne s'agit plus de vivre.

Voici comme un échantillon d'une pensée naturelle, c'est-à-dire d'une pensée dont la force du sentiment fait

tout le prix, où la nature toute pure se fait sentir sous l'apparence des expressions les plus simples; c'est un petit dialogue entre un passant et une tourterelle.

LE PASSANT.

Que fais-tu dans ce bois, plaintive tourterelle?

LA TOURTERELLE.

Je gémis, j'ai perdu ma compagne fidèle.

LE PASSANT.

Ne crains-tu point que l'oiseleur
Ne te fasse mourir comme elle?

LA TOURTERELLE.

Si ce n'est lui ce sera ma douleur.

Isition

3879

Il y a beaucoup de finesse dans le tour que prend M. de la Motte pour louer feu M. le duc d'Orléans, alors régent du royaume. Il lui parle ainsi dans une épître dédicatoire :

Je rappelle ton premier âge,
Quand nous faisions l'apprentissage,
Moi d'auteur, et toi de héros :

Phébus me souriait, et j'arrangeais des mots :
Mars, au grand art de vaincre, instruisait ton courage :
Et leurs élèves nous faisions,

Moi des discours, toi des actions.

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On sent que cette comparaison du poëte au prince, loin de choquer, tourne tout entière à la gloire du héros puisque le poëte affecte de faire sentir l'extrême disproportion du talent de l'un à celui de l'autre : Moi des discours, toi des actions.

Épitaphe du maréchal de Rantzau.

Le maréchal de Rantzau avait reçu tant de blessures à la guerre, qu'il en était tout mutilé; il avait perdu

un bras, une jambe, une oreille. Après sa mort, il parut une épitaphe à ce sujet qui est fort estimée pour le caractère de sublimité qui y règne. L'auteur s'adresse au tombeau de ce célèbre général.

Du corps du grand Rantzau tu n'as qu'une des parts,
L'autre moitié resta dans les plaines de Mars:
Son sang fut en cent lieux le prix de la victoire,
Il dispersa partout ses membres et sa gloire.
Tout abattu qu'il fut, il demeura vainqueur;
Et Mars ne lui laissa rien d'entier que le cœur.

CHAPITRE III.

Des sentimens.

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La matière dont nous allons parler a un rapport immédiat avec la précédente; car avoir de grands sentimens, c'est penser noblement; mais comme le terme de penser, à proprement parler, s'entend des productions de l'esprit, et que celui des sentimens s'entend des. affections du cœur nous avons cru devoir séparer ces deux objets. Nous allons donc considérer les pensées relativement aux différentes impressions de notre ame et dans l'ordre des sentimens, mais des sentimens que l'esprit a su rendre souvent avec beaucoup de délicatesse. On sait, comme nous l'avons déjà remarqué, qu'outre la délicatesse dans les pensées qui vient purement de l'esprit, il y en a une qui vient des sentimens et où l'affection a plus de part que l'intelligence; ainsi nous n'envisageons ici les pensées que comme les expressions des grands sentimens dont nous nous sommes proposés de donner des exemples. Telles sont les pensées qui expriment le sentiment d'une noble ambition, d'une gloire bien placée, d'une tendresse vive, même d'une haine forte; et en général de toutes celles qui peignent quelque grande agitation de l'ame. Le sentiment fait tout l'effet dans ces sortes de pensées; il en est l'objet principal et dominant : le tour que le poëte a pris pour le rendre, n'en est que l'accessoire; ce n'est pas de ce côté-là qu'on doit arrêter son esprit, car souvent les sentimens sont exprimés en deux ou trois mots fort simples par eux-mêmes. On en verra des exemples dans le genre sublime.

A l'égard de l'utilité dont ces sortes d'exemples peuvent être aux jeunes gens, on peut dire en un sens des sentimens ce qu'on a dit de l'étude, savoir, qu'ils nourrissent et fortifient l'esprit par les sublimes vérités qu'ils lui présentent. Les grands sentimens nous élèvent audessus de nous-mêmes; ils multiplient nos idées, et les rendent plus variées et plus vives; ils nous déploient, pour ainsi dire, toute l'ame des grands hommes de l'antiquité; nous y voyons comment ils pensaient, et sur quel ton, s'il est permis de s'exprimer ainsi, leurs entretiens étaient montés. On est ravi d'entendre des discours pleins de cette grandeur et de cette noblesse romaine, qui, selon la remarque d'un homme célèbre (1), ne se trouve presque plus que dans les livres. Or, comme il arrive qu'on prend le sentiment de ceux avec qui on vit ordinairement, il est vrai de dire que les jeunes gens ne peuvent que profiter de ces sortes d'exemples qu'on leur met sous les yeux. Ils s'accoutument par-là à sentir le beau et à goûter des maximes de sagesse. Ils peuvent prendre de ces grands hommes cette noblesse, cette grandeur d'ame, cet amour de la justice et du bien public qui éclate dans tous leurs discours. En un mot, c'est une vérité incontestable que les grands sentimens élèvent l'ame et nourrissent le courage. En écoutant le langage des princes et des grands hommes, en lisant tous les traits sentencieux qui partaient de leur bouche, on prend insensiblement du goût pour la vertu, et il se fait sur l'esprit une impression sensible qui tourne au profit des mœurs. La pente aux vices se corrige par l'exemple des vertus.

Sentimens dignes des rois.

Le poëte fait parler l'empereur Titus dans le morceau suivant :

Je ne prends point pour juge une cour idolâtre,
Paulin, je me propose un plus ample théâtre;

(1) M. Rollin.

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