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buvons. Vous jugez bien qu'une fi chere entrevue exige le récit de fes aventures. Ah! que les mers de ce païs-là font orageufes ! Il effuya une tempête horrible fur je ne fçais quelle côte, à vingt degrès de latitude, & à quarante-deux toifes de longitude.

ERASTE.

Sçais-tu bien que tu m'impatientes?
FRONTIN.

Il est enfin arrivé avec un Seigneur originaire de Lyon, (c'eft votre patrie, & celle de votre oncle,) d'environ foixante ans, (l'âge fe rapporte,) qui revient en France avec des biens immenfes : à ce trait-là, j'ai jugé néceffairement qu'il falloit que ce fût

votre oncle.

ERAST E.

Belle néceffité! & t'a-t-il dit le nom de ce Seigneur ?

FRONTIN.

Oui, & c'est le feul article qui m'ait dépaïfé, ce n'eft point Lifimon qu'il s'appelle. ERAST E.

Que diantre veux-tu donc dire? Si ce n'est pas Lifimon, ce n'eft point mon oncle. FRONT Í N.

Belle conféquence ! Vous qui faites des Romans, ne fçavez-vous pas qu'on change à propos de nom, pour préparer des évenemens extraordinaires?

ERAST E.

Comment s'appelle-t-il enfin ?
FRONTIN

Autant que je puis m'en fouvenir, c'eft un beau nom. Il finit en or. Mine d'or, Medor: aidez-moi un peu.

ERAST E.

Ne feroit-ce point Mondor?
FRONT IN.

Oui, lui-même. Je fçavois bien que je m'en reffouviendrois.

ERASTE..

Je le connois, Frontin:il vient tous les jours ici; je le crois même amoureux de Lucinde. FRONTIN.

Pefte! tant pis. Un rival riche est encore plus à craindre qu'un oncle.

ERAST E.

Lucinde n'a rien à défirer du côté de la fortune. Veuve depuis peu d'un mari vieux, jaloux & brutal, elle goûte trop le plaifir du veuvage pour s'engager une feconde fois contre fon inclination. Mais je me fuis perdu moi-même, pour avoir fuivi tes mauvais

confeils.

FRONTIN.

J'en donne pourtant de bons ordinairement. J'étois fans doute à jeun, quand je vous ai donné ceux-là.

ERAST E.

J'ai laiffé dans la chambre de Lucinde les

vers que j'ai faits pour elle; elle les a trouvés, & veut fçavoir abfolument de quelle part ils viennent. Elle s'imagine que quelqu'un nous a gagnés, Lifette ou moi, & nous a fait mille questions d'un air févere qui m'a déconcerté. J'ai pâli, j'ai rougi, j'ai changé vingt fois de vifage. Enfin, fuivant les apparences, nous allons, Lifette & moi, recevoir notre congé.

FRONTIN.

Tant mieux; car je ferois d'avis que vous quittaffiez le nom de l'Orange pour reprendre celui d'Erafte, & tenter enfuite l'aventure, fous un extérieur un peu plus décent.

ERAST E.

Elle me reconnoîtroit, Frontin, & ne me pardonneroit jamais la témérité de mon déguisement.

FRONTIN.

Eh! croyez-moi, les femmes ne font jamais fincérement fâchées des folies que l'amour nous fait faire pour elles. Mais, à propos, comment Lucinde a-t-elle trouvé votre dernier Roman, où vous avez fi bien décrit nos aventures & les fiennes ?

ERAST E.

Elle lit mes ouvrages fans fçavoir qu'ils font de moi, & femble même les lire avec plaifir. Elle les loue, & c'eft le feul fuffrage qui puiffe me flatter. Je me trouve le plus

heureux des hommes d'avoir un talent qui puiffe lui procurer quelque amusement. L'envie de lui plaire me rend tout'aifé : l'amour fait difparoître la gêne du travail, & m'inspire beaucoup mieux qu'Apollon.

FRONTIN.

Parbleu ! je n'ai pas de peine à le croire. Il m'infpire bien, moi qui vous parle. Je travaille depuis quelques jours à l'Hiftoire de ma vie. Vous y verrez des traits auffi fingu fiers, des tournures auffi extraordinaires une morale d'une nouveauté, d'une force... Mais, à propos, avez-vous fongé à gagner Lifette? Je vous avertis qu'il faut l'avoir pour confidente ou pour surveillante éternelle; & fi une fois elle s'apperçoit...

ERAST E.

Je n'ofe m'y réfoudre. Il y a deux jours que je cherche l'occafion de lui déclarer mon fecret, & quand je l'ai trouvée, je ne fçais quelle crainte me retient. Je la regarde, je foupire, & jen'ofe lui en dire davantage; car enfin, fi elle me découvre à fa maîtreffe

FRONTIN.

Ne craignez rien. Dites-lui que je fuis dans vos intérêts, & attendez tout de fon zele; elle m'aime, c'en eft affez pour vous être favorable. La voici : je retourne chez votre Imprimeur

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SCENE III.

ERASTE, LISETTE, FRONTIN.

A

FRONTIN, à Erafte.

Dieu, Camarade. (à Lifette.) Bon jour, mon petit cœur. Je voudrois pouvoir donner un moment d'audience à ton amour ; mais une affaire de la derniere considération m'appelle ailleurs. Adieu, ma Reine.

A

(Il fort.)

SCENE IV.

ERASTE, LISETTE.

LISETTE, à part.

Dieu, mon fat. Il fait bien de s'en aller. Sa présence commence à m'ennuyer, & je crois que je ne l'aime plus ; l'Orange vaut mieux que lui, & je crois ne lui être pas différente.

ERAST E.

in

Vous parlez feule, Mademoifelle Lifette?

LISETTE.

Je faifois une petite réflexion où yous aviez quelque part.

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