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force dans la verve, que le travail ne procure pas même à ceux qui ne sont pas nés pour ce genre de poëme ; de-là aussi la décadence du goût; de-là un genre de pièces pitoyables, qui s'enracina d'autant plus parmi nous, que sous le règne de la terreur il ne fur plus permis de jouer que des drames patriotiques de-là aussi la dispersion, la désunion des grands talens, qui jusqu'alors voient été réunis sur le théâtre Français. Plusieurs des acteurs, gagnés par les sollicitations des entrepreneurs de spectacles nouveaux, abandonnèrent leurs confrères: au lieu de bien jouer la comédie dans un seul endroit, par le moyen de cette désunion on la joua mal par-tout, attendu qu'il ne pouvoit plus exister d'ensemble; et ce qui acheva de désorganiser, d'anéantir la scène française, ce fut l'incarcération de la partie des. Comédiens Français qui étoit restée unie, et continuoit de jouer dans Fancien local qui lui étoit affecté.

On reprocha à ces artistes d'être des royalistes, on les jeta dans les maisons de réclusion, comme suspects, et pour avoir joué une comédie du citoyen François

de-Neufchâteau, intitulée Paméla. Cette Paméla, fille vertueuse, étoit noble, et l'on ne vouloit pas qu'on représentât un、 noble avec des vertus. L'auteur changeá sa pièce, fit Paméla roturière, mais il étoit trop tard, on vouloit incarcérer les Comé diens Français ; ils le furent et l'auteur de Pamela avec eux. Un autre motif de leur incarcération, et beaucoup plus puissant sans doute que celui que nous venons de rapporter, fut la représentation d'une autre pièce intitulée : l'Ami des Loix et dont il a été déjà parlé dans un des volumes précédents. Dans cette pièce, jouée plusieurs mois avant celle de Paméla avant que la terreur fût à l'ordre du jour, il y avoit aussi un rôle très-beau, joué par un personnage noble et trois rôles affreux mis dans la bouche de roturiers; dans ces trois derniers rôles, le public avoit fait des allusions, et avoit cru y reconnoître Marat, Robespierre et Danton. A l'époque où elle fut représentée, ces trois hommes, quoique prépondérans dans les mouvemens politiques, n'avoient point encore assez de puissance pour faire incar

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cérer les acteurs; mais une fois le règne de Robespierre er de ses satellites établi, ils n'oublièrent point l'injure qui paroissoit leur avoir été faite, et la perte des Comédiens Français fut jurée. Joignez à cela, qu'à cette époque désastreuse, les entrepreneurs des nouveaux spectacles qui s'érigeoient, n'étoient sans doute pas fâchés de voir la ruine d'un spectacle où il y avoit plus de mérite dans les leurs, et qui, que une fois renversé, faisoit refluer chez eux des specle talent attiroit ailleurs.

tateurs que

Puisque nous en sommes sur l'article des théâtres, nous allons placer ici quelques réflexions qui nous paroissent judicieuses. Le genre dramatique, étant celui de tous auquel on s'adonnoit le plus en France, et tous les auteurs étant concentrés dans la capitale, où l'art les fixoit naturellement, il n'est pas douteux qu'il n'y eût trop peu d'un seul théâtre Français dans Paris. Depuis cinquante ans particulièrement, les comédiens, au moyen de ce qu'il n'y avoit que ce seul spectacle dramatique, étant surs de gagner beaucoup d'argent, sans se donner beaucoup de i

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peine, travaillant fort peu, montoient très rarement des nouveautés, et tranchant du grand seigneur, parce que la richesse donne de l'importance et de la fatuité, recevoient souvent des auteurs avec un air de dédain aussi ridicule que déplacé; les comédiennes sur-tout qui avoient quelques talens, étoient aussi impertinentes que décriées dans leurs mœurs; il falloit des souplesses, des bassesses même, pour parvenir à leur faire jouer un rôle auquel un auteur, qui sentoit la dignité de son être, ne se soucioit pas de s'avilir; dès lors il falloit se résoudre à la dure nécessité de n'être pas joué ou de ne l'être de long-tems; d'un autre côté, un acteur qui avoit quelque talent, et beaucoup d'argent, ayant sa subsistance assurée, ne cherchoir point à se perfectionner : il y avoit donc une nécessité d'établir deux théâtres dramatiques, tant pour l'avantage des auteurs que pour la perfection de l'art en luimême, à qui la rivalité dés artistes n'eût pas manqué de donner un nouveau relief. Mais au lieu d'établir deux théâtres ri

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vaux, on tomba dans un excès opposé on souffrir qu'il s'en érigeât mille, et l'on n'en eut pas un bon.

Sous le rapport des pièces patriotiques, nous convenons que dans un gouvernement qui naît à la liberté, il est peu de véhicule aussi puissant que celui que procure la représentation d'un ouvrage où l'amour de la patrie et les sentimens qu'il fait naître sont exprimés avec chaleur ; l'étincelle électrique se communique à tous les spectateurs, l'enthousiasme éclate et produit une fermentation dont le levain précieux reste dans l'ame de celui qui a été témoin de l'action et de l'effervessence qu'elle a produite; dans un gouvernement libre, et qui est enfin assis sur des bases solides ; il est encore bon d'entretenir le peuple de ses droits, de maintenir sa haine contre les tyrans et ceux qui voudroient attenter à sa liberté, mais il ne faut pas pour cela, comme sous le règne de la terreur, bannir de la scène tous les chefs-d'œuvre dramatiques, parce qu'il y est question de 1ois, et encourager les plus dégoûtantes rapsodies, parce qu'il yes

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