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de sections qui envoient des députés à Paris pour savoir des nouvelles de la santé de Robespierre. Ailleurs encore, c'est une société-mère qui le conjure de joindre à ses efforts les rares talens que la divinité lui a départis, pour consolider le grand œuvre de la régénération française. Partout, même prostitution d'encens, de vœux et d'hommages. Par-tout, chacun est prêt à verser son sang pour sauver les jours de Maximilien. Qu'importe la convention, qu'importe la république, que Robespierre vive, vive Robespierre! voilà le vœu général, le cri de ralliement de toutes les so ciétés, ou du moins de presque toutes les sociétés populaires,

B

Du sein de ces hommages collectifs s'élève encore le nuage formé par la vapeur de l'encens des particuliers. Ici, c'est l'incorruptible Robespierre qui couvre le berceau de la république de l'égide de son éloquence. Là, le vertueux Robespierre esc surnommé le ferme appui et la colonne inébranlable de la république.

Ailleurs, tant la flatterie est stupide, on n'a fait connoissance qu'avec ses ta

lens, on veut faire connoissance avec ses vertus. Ailleurs encore, après avoir porté son éloquence aux cieux, on le qualifie d'homme eminemment sensible, hymain et bienfaisant.

Vient ensuite un original âgé de quatrevingt-sept ans, qui se glorifie d'avoir vécų assez longuement pour ayoir vu dans Robespierre le Messie annoncé par lEter nel pour réformer toutes choses. Un autre barbon, aussi imbécille que le premier, croyant faire un compliment au tyran, lui annonce qu'il a une ressemblance, par le physique, avec le bienfaiteur de l'humanité et qu'il s'en réjouit tous les jours. D'autres lui demandent la permission de donner le prénom de Robespierre à leurs enfans, comme autrefois on leur donnoit le nom d'un saint; enfin, pour terminer une nomenclature qui dureroit éternellement si nous, rapportions la milième partie des niaiseries insipides dont on berçoit ce grand homme, nous finirons par citer la dernière phrase d'une lettre qui lui étoit écrite par un fanatique d'Amiens. « Robespierre, tu ne refuseras pas à un de tes plus vrais amis le

plaisir de te voir, de te contempler ; ah! procures-moi cet avantage. Je veux rassasier mon cœur et mes yeux de tes traits z et mon ame électrisée de toutes tes vertus, rapportera chez moi une étincelle de ce feu dont tu embrâses tous les républicains. Tes écrits le respirent, je m'en nourris, mais permets moi de te voir »,

Voilà pourtant, voilà quelle étoit l'influence du tyran; voilà quelle force armée, quelle masse imposante il pouvoit mouvoir à son gré. Il eut peur, et la France fut sauvée, Plus il approchoit du moment décisif, plus il se faisoit horreur à lui-même, plus il trembloit que son projet n'échouâr i s'il n'eût pas craint la mort, il la donnoit à tous. En matière de conspiration, il ne faut pas délibérer pour réussir. Robespierre parla, il devoit agir. Ses discours, ceux du paralitique Couthon à qui la nature avoit prescrit de végéter sur une chaise ou dans un lit, quelques mouvemens d'amour-propre que le tyran n'avoit pas su dissimuler, tout vint éveiller à la fois la jalousie de ses collègues du comité quị, de soutiens qu'ils étoient d'une puissance

commune à tous, devinrent ennemis jurés, d'une puissance qui n'étoit plus que personnelle à Robespierre.

Ce qui acheva de le perdre, ce fut la terreur qu'il avoit portée dans les ames et qui retomba sur la sienne; juste châtiment des tyrans! son caractère sombre, prenoit chaque jour une teinte plus lagubre; ses yeux petits et ternes se rougirent de taches sanglantes. Son teint se mélangea de la liveur de l'envieux et de la pâleur du criminel; l'assassin de la patrie ne rêva plus qu'assassinats. Son sommeil étoit celui de Néron; son réveil, celui de Néron encore. Il n'eût point eu assez des douze palais de Cromwel pour échapper à lui-même, pour échapper à cette furie invisible qui le poursuivoit sans relâche et qui sous ses fouets sanglans, faisoit tournoyer son cœur féroce. Ceux qui l'approchoient le glaçoient d'effioi, les gardes dont il se faisoit escorter he le rassuroient point; et comme tous les écrits qui lui étoient adressés ne renfermoient pas des louanges, mais quelquefois des avis ou des injures, il frissonnoit en décachetang ses lettres.

Insensible pour les voluptés qu'il avoit d'abord savourées avec ivresse, sourd aux louanges uniformes de ses courtisans, effrayé de sa solitude au milieu d'un nombreux cortége, ses pensées ne lui offroient, qu'un hideux avenir. Ne voyant plus autour de lui que des morts ou des mourans > n'entendant que le cri des victimes, que la voix souterraine des tombeaux qui l'appeloit, et croyant sentir déjà, comme le taureau qui va tomber à l'autel, le coup de hache qui l'attend, Robespierre ne respire plus, ne s'agite plus que pour repousser ce coup; furieux, il erre, ainsi qu'une bacchante frappée du thyrse, au milieu des complices de ses crimes, il les empoisonne de ses fureurs; dans son lit, à la tribune de la convention, à celle des Jacobins par-tout il ne voit que des spectres livides qui lui présentent un poignard, qui agitent des serpens autour de lui; par-tout effrayé, haletant sous le poids du remords, il s'écrie: On veut m'assassiner, j'épuiserai la coupe de Socrate, j'abandonne mes jours.... et cet abandon de la vie, n'est dans la bouche du lâche, qu'un regret de

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