Page images
PDF
EPUB

faitement avec ce vandalisme : guerre aux châteaux, paix aux chaumières. Ce n'est pas que cette maxime n'offre d'abord une idée philantropique; rien de plus juste que de poursuivre le crime opulent et de protéger la pauvreté laborieuse; mais comme il peut se trouver un citoyen vertueux dans un palais, ainsi qu'un scélérat dans une cabane, il ne falloit pas généraliser la chose dans un tems où l'on prenoit tout à la lettre, dès qu'il s'agissoit de faire le mal. Cette maxime une fois mise en avant, fut un ordre sacré pour tous les anarchistes : quiconque habitoit un château ou une maison de belle apparence, étoit sûr d'être déclaré suspect, et les proconsuls, qui firent tant de mal dans les départemens, quand ils prononçoient sur le sort d'un détenu, faisoient toujours précéder leur arrêt de cette question: est-il riche ? et en cela on peut dire qu'ils ne faisoient que se conformer aux ordres secrets qui leur étoient donnés par le comité de salut public dont ils tenoient leurs missions.

A l'époque où les académies furent suppri mées, les maisons d'instruction publique et

:

les colléges, tant de la capitale que des provinces, commençoient déjà à être déserts; l'insubordination avoir éclaté parmi les élèves dans plusieurs de ces établissemens, dès le principe de la révolution ; les germes d'indépendance avoient pénétré jusques dans ces lieux jadis recommandables par la plus sévère discipline; mais bientôt les collèges, dans chacun desquels on comptoir naguère quatre à cinq cents écoliers, ne renfermèrent au plus que trente à quarante élèves sous le régime de la terreur particulièrement, ils étoient absolument abandonnés, soit parce que tous ou presque tous les instituteurs étoient en fuite ou incarcérés, attendu que, dans les provinces, c'étoit des ecclésiastiques qui étoient à la tête de l'instruction publique ; soit parce que beaucoup de parens n'avoient plus les moyens suffisans de procurer de l'éducation à leurs enfans; soit enfin parce que, dans ces jours désastreux, les pères et mères ne songeant qu'à mettre leurs jours en sûreté, étoient plus occupés des moyens de conserver leur existence, que de ceux de proturer de l'instruction

[ocr errors]

ces malheureux enfans: une autre raison encore qui fit déserter les écoles, c'est que les dernières classes, telles que la rhétorique et la philosophie, auxquelles on ne parvenoit guère qu'à l'âge de dix-huit ans et plus, ne pouvoient pas être fréquentées, puisque les jeunes gens depuis dix-huit jusqu'à vingt-cinq ans, étoient forcés de porter les armes pour la défense de la républi que, qui avoit, à cette époque, toutes les puissances de l'Europe à combattre ; enfin, l'on peut dire que l'instruction publique fut entièrement abandonnée pour un tems, et que les vœux des scélérats qui vouloient asservir la France par l'effusion du sang et l'extinction des lumières, furent entière. ment remplis pour un moment.

Nous disons pour un moment, parce que le règne horrible da cannibale Robespierre et de ses satellites ne fut pas de longue durée ; encore bien qu'à lui seul il ait embrassé plus de monstruosités que tous les règnes réunis des tyrans connus : cependant, malgré que cette lacune dans la continuité de l'instruction publique n'ait pas été très-prolongée, elle n'a pas laissé

que de faire aux sciences et aux arts un mal qui ne se réparera que difficilement.

Si le bon goût perdoit d'un côté, la stupidité gagnoit infiniment de l'autre. Les bons écrivains qui, à l'aurore de la révolution, avoient embrassé la cause de la liberté et l'avoient soutenue de leur plume et de leurs talens, n'osoient plus écrire, parce qu'ils ne pouvoient rien imaginer qui fût assez atroce pour être à la hauteur des principes du jour ; ils cherchoient d'ailleurs à se faire ignorer, loin de se mettre en évidence d'un autre côté, ce n'est pas lorsque le sang coule de toutes parts, que le bronze résonne, que les rivières charient des cadavres, et que la nuit éclaire de nombreux incendies, qu'un homme de génie peut se livrer aux rêveries de son imagination. Les arts sont enfans du repos, de la paix, de l'aisance; la frayeur comme la misère, étouffe le germe des talens. Mais si les auteurs d'un mérite reconnu étoient glacés par la crainte ou jetés dans les cachors, on voyoit en revanche paroître sur la scène française une foule de plats auteurs, dont les productions monstrueuses

étoient le produit de l'ineptie la plus crasse, et de la démagogie la plus délirante.

Plusieurs raisons concourcient à faire naître une foule de ces ouvrages ridicules, la multiplicité des théâtres, et un décret portant qu'il ne seroit plus représenté que des pièces républicaines. Il n'y avoit pas assez long-tems que l'on avoit passé du gouvernement monarchique à l'état républicain, pour que, dans cet intervalle, on cût eu le tems de faire beaucoup de pièces, et sur tout beaucoup de bonnes pièces patriotiques, et en assez grand nombre pour alimenter tous les théâtres. Décréter qu'on ne joueroit plus que des pièces patriotiques, c'étoit inviter tous les écrivassiers, car on ne commande pas au génie, de mettre la main à la plume, pour barbouiller des scènes dramatiques adaptées à la manie du jour. Aussi les théâtres ne chommèrent-ils point de ces nouveaux chefs-d'œuvre ; il n'y eur pas de jour sous le règne de la terreur, où l'on ne vit paroître sur la scène de nouvelles productions, dans lesquelles on avilissoit, on biûloit les prêtres, les grands, les riches, les rois, les modérés ;

« PreviousContinue »