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mangent et satisfont aux besoins de la nature. Cependant de nouveaux prisonniers y arrivent encore, hommes et femmes tous tant qu'ils sont, on les refoule indistinctement sur les malheureux qui y sont déjà entassés : il ne reste plus même à chacun une place pour s'appuyer sur une muraille dégoûtante. Ce n'est qu'en se pressant et en se gênant, qu'on parvient à étendre par terre une femme malade qui n'a pas la force de se soutenir.

Rien ne pouvoit contribuer plus rapidement au systême de dépopulation, si conforme aux vues du comité de salut public, que l'égorgement des femmes et des enfans. N'épargnez pas les femmes, disoient ces monstres à leurs agens, elles engendreroient trop, si on les laissoit vivre. Les enfans à la mamelle ne trouvent point de grace auprès de ces bourreaux : en vain les mères, au moment de périr, demandent à genoux qu'on épargne ces innocentes victimes. Bah! s'écrient les dignes échos de la morale de Carrier ce sont des louveteaux qu'il faut étouffer. Qu'ils sont épouvantables les maîtres qui trouvent des pro

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sélytes en enseignant de pareilles leçons! Voulous-nous en connoître quelquesuns? Jetons nos regards sur le tribunal révolutionnaire de Paris. Parmi les jurés se trouve un fabricateur de faux assignats ;' plusieurs sont flétris de la justice. Les juges y prononcent et répètent le mot de feu de file, qui veut dire que tous les accusés présens doivent être condamnés sans exception, et sans qu'il soit besoin d'entendre leur justification on s'y joue impudemment et sans pudeur, de la vie des hommes. La canaille des huissiers, des sous-greffiers et de tous les subalternes, composée d'anciens recors ou de misérables qui savent à peine lire, se déchaîne contre l'existence des citoyens. Dans leur griffonnage barbare, ceux mêmes qu'ils assassinent, ils les insultent d'une manière atroce. Une femme reçoit un acte d'accusation sur lequel est écrit: tête à guillotiner sans rémission. Souvent un malheureux reçoit un acte destiné à une autre personne, alors l'huissier se contente de substituer son nom à celui qu'il efface plusieurs fois, en buvant avec les guichetiers, ils en fabriquent tout-à

coup, et de gaieté de cœur. Des femmes entendent dicter leurs accusations au milieu des tis. Joignons celle-là à son mari, crient-ils en s'enivrant, et la victime est immolée.

A Lyon siége une commission temporaire, source de l'autorité dans tout le département du Rhône. Marino, parisien, peintre de porcelaine, homme dur, farouche, et mêlant le lourd sarcasme à l'atrocité, en est le président.

C'est la commission temporaire qui dirige à son gré le glaive exterminateur. Instruite en secret, dit-on, du plan politique adopté par le gouvernement, elle fait servir l'existence ou le trépas de la génération présente à ses vues. Le tribunal révolutionnaire n'est que son bras: cinq membres le composent; un d'entre eux est un ouvrier en soie. Dans la salle où ils siégent, ils ne sont entourés que d'hommes à moustaches, d'égorgeurs, de ces hommes qui font un trafic de dénoncer leurs propriétaires, leurs marchands, leurs créanciers, leurs bienfaiteurs un simple signal est l'énoncé de l'opinion des juges: souvent ce signal va→

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rie. Les juges touchent leur hache, pour désigner la guillotine ; ils portent la main au front, en condamnant à la fusillade ; ils étendent les bras sur la table, pour accorder la liberté mais trop souvent ces signes sont équivoques, mal aperçus, et diverses victimes paient de leurs têtes la funeste erfeur.

Un ex-Génovefin, un ex-procureur, deux ex-Oratoriens, un meunier, un ancien laquais, un chirurgien, le fils d'un valet de casernes, un perruquier, un excapucin, un misérable vuidangeur, composent le tribunal révolutionnaire d'Arras : tout couverts d'armes meurtrières, leur aspect seul inspire l'effroi : la maxime qui retentit dans leur bouche, c'est que la révolution est un coup de foudre, et qu'il faut frapper. Juges et jurés ne suivent d'autres loix que les caprices du sanguinaire Lebon, qui toujours armé d'un long sabre, n'ouvre jamais la bouche que pour insulter aux victimes et prononcer des arrêts de mort,

A Nantes, Carrier expédie l'ordre d'enlever de l'entrepôt une quantité de détenus, parmi lesquels on comptoit beaucoup de

femmes enceintes et plusieurs enfans en bas âge. Le président et l'accusateur public du tribunal criminel, qui pourtant avoient déjà prononcé une multitude d'arrêts de mort, se transportent dans cette maison d'arrêt, pour s'opposer à une extraction si

contraire aux loix.

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Instruit de l'opposition des membres du tribunal, Carrier les fait mander le lendemain. « C'est donc toi, s'écrie-t-il au président dès qu'il l'aperçoit, vieux coquin, qui t'oppose à mes ordres? Tu dis que tu veux juger; eh bien ! juges donc; et si dans deux heures l'entrepôt n'est pas vuide, je te fais fusiller, ainsi que ton tribunal ». Le vieillard se retire interdit, tremblant; il arrive chez lui, ne se connoissant plus: on l'interroge; il répond qu'il est un homme perdu. Il se met au lit, la fièvre le saisit; au bout de quarante - huit heures il expire.

C'est bien alors que la mort parut être la seule et véritable souveraine en France. Transformés en bourreaux, les membres des tribunaux criminels sont les exécuteurs de ses loix. Les voit-on frémir à l'aspect

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