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un terme à la fureur dévastatrice des brigands sanguinaires, qui disoient hautement qu'il ne falloit en France que du pain, du fer et des soldats, et qu'il étoit impolitique de conserver des gens qui savoient lire et écrire. Condorcet aussi, Champfort, Florian, Vicq-d'Azir, noms chers aux sciences et aux arts, hâtèrent le moment de leur mort, ne pouvant plus supporter les horreurs dont ils étoient les témoins et les victimes. Déjà plusieurs valets aussi atroces que leurs maîtres répétoient dans plusieurs sociétés populaires, qu'il falloit incendier les bibliothèques : les membres des comités révolutionnaires qui faisoient des visites domiciliaires, avoient grand soin de s'approprier ou de lacérer tous les livres qu'ils trouvoient chez les particuliers, ornés de fleurs-de-lys ou de portraits de quelques grands seigneurs, sous le prétexte que ces fleurs de lys étoient des signes de contre-révolution; et les individus qui avoient des livres ou des gravures entachés de ces ornemens, se hâtoient eux-mêmes de jeter au feu des ouvrages précieux, dans la crainte d'être déclarés

suspects et traînés en prison, si les inquisi teurs révolutionnaires les trouvoient.nantis de ces objets.

Des barbares mutilèrent sans pitié des chefs-d'œuvre de sculpture et de peinture, sans que l'on osât se permettre d'arrêter leurs mains sacrilèges. On fit, dans la cour des Gobelins, un autodafé des plus riches tapisseries de cette étonnante manufacture, par la seule raison qu'elles portoient le chiffre du roi et les armes de France. Des barbouilleurs dégradèrent les chefsd'œuvre qui décoroient les Invalides, et au lieu d'auréole ou de diadême qu'ils supprimèrent, ils affublèrent des empereurs ou des saints d'un large bonnet rouge. Pour parvenir efficacement à l'anéantissement des sciences ou des arts, on supprima toutes les académies; on les verra renaître dans un tems plus prospère, sous une autre dénomination; mais disons qu'à l'époque où l'on prononça leur suppression, elles étoient supprimées de fait, car la terreut avoit dispersé les savans qui les composoient, et cette terreur étoit si forte, que, loin de pouvoir s'occuper de sciences, on

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ne songeoit qu'à mettre ses jours en sûreté.

Jusqu'alors il y avoit eu en France trois académies célèbres par les gens à talens qui les avoient illustrées. L'académie française, qui devoit son établissement à Louis XIII, sous le règne duquel le cardinal de Richelieu la fit ériger en compagnie par lettrespatentes de 1635 (1). Cette société, com

(1) Il est vrai de dire cependant que l'acadé mie française étoit antérieure de quelques années aux lettres patentes qui lui furent accordées par Louis XIII, en 1629; quelques particuliers gens de lettres et de mérite, logés en divers endroits de Paris, ayant résolu de se voir un jour de la semaine chez l'un d'eux, pour conférer ensemble plus commodément furent les premiers qui donnèrent naissance à l'académie. D'abord, ils n'étoient que neuf, mais à ceux-là s'en joignirentd'autres, du nombre desquels étoient Desmarets et Boisrobert, qui ayant entretenu le cardinal de Richelieu de ce qui se passoit dans ces sortes d'assemblées, lui firent venir la pensée de les faire autoriser par le roi.

Les académies, dans leur ensemble, ne produisent point de ces grandes idées; de ces inventions ou découvertes capables de changer la

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posée des gens de lettres les plus distingués, a rendu de grands services à la langue.

face du monde ou d'un empire; ces vastes conceptions ne sont jamais que les enfans du génie ; mais comme toutes les vérités se tiennent, les accadémies font un grand bien, en ce qu'elles produisent une foule de petites vérités et de · connoissances partielles dont la masse fait une somme. La physique, les mathématiques, la médecine, l'histoire naturelle, tout cela semble n'avoir aucun rapport aux idées que le despotisme politique ou sacré, prétend conserver intactes; mais la lumière portée dans ces sciences, rejaillit toujours sur elles. La boussole a perfectionné la navigation, la navigation a étendu la géographie, et c'est absolument à la connoissance ét à l'observation d'une foule de peuples divers, à la connoissance entiere de toute la race humaine que nous devons la philosophie actuelle. Voilà comme les académies influent partout dès qu'elles sont composées d'hommes vraiment savans; mais le plus grand service que les sociétés littéraires pourroient rendre aujourd'hui aux lettres, aux sciences et aux arts seroit de faire des méthodes, et de tracer des routes qui épargneroient du travail, des erreurs, et conduiroient à la vérité par les voies les plus courtes et les plus sûres; car si l'impression a multiplié les bons ouvrages, elle

L'académie des sciences établie en 1666, par les soins de Colbert, avoit également rendu de grands services, en ce que n'adoptant aucun systême, elle publioit les découvertes et les tentatives nouvelles.

L'académie des inscriptions, qui s'occupoit des recherches sur les monumens de l'antiquité, avoit, particulièrement depuis quelques années, produit des mémoires très-instructifs.

Outre ces trois académies, il y en avoit

encore une autre, celle d'architecture et de peinture, qui n'étoit pas moins célèbre dans son genre que les précédentes. Toutes furent supprimées : on ne vouloit pas plus de peinture, d'architecture et de sculpture, que de sciences et de littérature: dès longtems on avoit mis en avant une maxime bien funeste en soi, et qui concordoit par

a aussi favorisé un nombre effroyable de mau vais traités sur différentes matières; de sorte qu'un homme qui veut s'appliquer à un genre particulier, l'approfondir et s'instruire, est obligé de payer à l'étude, un tribut de lectures inu tiles et souvent contraires à son objet.

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