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Dans chaque prison, il se faisoit alors des commandes d'hommes pour le tribunal, comme s'il se fût agi d'envoyer des troupeaux à la boucherie.

A ces funestes tableaux combien d'autres pourrions-nous joindre encore, si, après avoir tracé l'intérieur des prisons, il ne nous restoit à suivre les victimes aux supplices divers qui les attendent. Ce que nous avons dit des prisons, pourroit déjà suffire pour faire à jamais exécrer la mémoire de tant de monstres qui, dans ces tems désastreux, y jetoient pêle-mêle, parent, ami, bienfaiteur, pupille, créancier, quiconque osoir contredire leur rage insensée, ou traverser leurs projets sanguinaires. Tout dire en une pareille matière seroit impossible; les volumes se multiplieroient sans l'épuiser. Quels spectacles affreux ne trouverions-nous pas dans la plupart des prisons qui couvroient, à cette époque, le sol de la France? il n'étoit si petite commune qui ne comptât la sienne. Mais quels souvenirs s'éveillent aux seuls noms de Commune - Affranchie, auparavant Lyon ; d'Orange, de Nantes, d'Ar

ras, &c.....! Essaierons-nous de peindre
les prisons de la première de ces com-
-munes? Dirons-
-nous combien l'aspect seul
de la prison dite de Roanne est horrible?
Adossée à des rues obscures, l'intérieur en
est méphytique et mal-sain. L'entrée ouvre
sur une petite place, et annonce un lieu de
peine et de terreur. Dans l'intérieur, par-
tout des voûtes sombres, des cachots; par-
tout des portes étroites et épaisses roulent
sur des gonds énormes; par tout retentit
le bruit de larges cadenats et de quadruples
verroux les brouillards voisins de la Saone
couvrent en hiver une cour serrée, qu'au-
cun air ne rafraîchit en été. Architectes du
despotisme et de la tyrannie, si désormais
encore vous êtes chargés d'édifier des pri-
sons, d'y inhumer des êtres vivans, allez
visiter Roanne et y consulter ce modèle.

Peindrons-nous la grande salle où quelquefois l'on étoit renvoyé après un preinier interrogatoire, pour être interrogé de nou. veau? Au moins deux cents prisonniers res◄ piroient l'extrême infection de ce lieu. Cette pièce vaste et ornée, qui servoit à la réunion des citoyens heureux, à l'appareil

des

riant des fêtes publiques, ne féunissoit plus que des infortunés ayant le spectacle de toutes les calamités humaines; les uns malades, les autres solitaires et abandonnés. Ce lieu, dévasté par le boulet et la bombe, en offroit par-tout les profondes traces : les murailes étoient dégradées, leurs pierres brisées, emportées. Le plafond étoit hor-' rible à voir tout le plâtre en étoit tombé : la charpente avoit cédé en divers endroits; la bombe y avoit fait de vastes trouées: on éprouvoit un involontaire effroi en voyant suspendus au dessus de soi, d'énormes madriers qui menaçoient de leur chûte, de fortes pièces de bois qui paraissoient ne plus tenir au comble. Le jour, on s'atten doit au jugement de mort, la nuit, à être écrasé.

Dirons nous comment on étoit perdu si l'on tournoit à droite, en descendant de l'escalier qui mène du tribunal aux caves? Soudain une porte s'ouvroit et se refermoit: là se trouvoit un long et sombre corridor qui passoit sous la grande cour. A peine le guichetier avoit-il introduit le condamné, que plusieurs hommes s'en

approchoient et le dépouilloient inhumainement de tout ce qu'il avoit de plus précieux. Vouloit - il résister? on le frappoit. Cherchoit-il à adoucir ces cerbères ? ils étoient impitoyables. On ne rougissoit pas` de lui prodiguer des injures. Vas, scélérat, lui disoit-on, demain tu ne diras mot, tu danseras la carmagnole. Une seconde porte étoit gardée par des sentinelles ayant la bayonnette au bout du fusil : ils la présentoient à quiconque vouloit sortir, Cette porte étoit celle de la cave dite mau

vaise.

Dans le tems des premières exécutions, lorsqu'on fusilloit, sur la place, en face de cet horrible lieu, les balles y pénétroient de toutes parts, faisoient voler des éclats de pierre, et changeant de direction par la résistance, réfléchissoient leurs coups, et venoiert blesser les prisonniers. Ils ne pouvoient plus se plaindre, leur sang n'étoit bon qu'à être versé mais un guichetier ayant eu le bras cassé, on cessa alors de fusiller devant les soupiraux de cette cave, et

on plaça fixement dans les Brotteaux le

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Telles et aussi, horribles étoient les prisons d'Arras, où le féroce Lebon exerçoit son affreux proconsular. A Nantes, les maisons d'arrêt étoient tellement encombrées, que cinq à six détenus, et par la suite une trentaine, mouroient par jour dans chaque salle, et les cadavres y restoient abandonnés pendant plus de trentesix heures. La corruption fut si contagieuse, qu'elle s'étendit au dehors, et plusieurs factionnaires en perdirent la vie. Quarante malheureux dévoués à la consentient seuls à essayer de les nettoyer, pour racheter leur vie au prix de ces dangers; mais plusieurs y périrent sur-lechamp, et le peu qui survécut fut indignement fusillé par ordre de Carrier,

mort

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Quel spectacle à Orange! La prison n'est qu'une cour peu spacieuse : au bout est un tas de paille remplie d'ordures, Plus de deux cents personnes, la pâleur de la mort sur le visage, l'ame abîmée de désespoir, attendent-là le moment fatal qui doit. les arracher à la vie : ils n'ont point d'autre asyle que cette misérable cour, pour le jour ni pour la nuit; dans ce réduit obscur, ils

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