Page images
PDF
EPUB

moment. Suivons en attendant le plan que nous nous sommes formé; nous marchons dans le labyrinthe de la mort. Guidés jusqu'à présent par les cris des victimes, bientôt nous les suivrons aux traces de leur sang. Après les prisons dont nous venons de parler, les plus considérables étoient St.Lazare, Sainte-Pélagie, les Magdelonnettes, les Carmes, la Bourbe, &c..... En toutes, même inhumanité dans les concierges ou dans les guichetiers, par-tout de sombres et puans cachots, des fers des chiens, de la vermine, du pain souvent gâté, de l'eau corrompue par le méphitisme des vases, des baquets remplis d'excrémens, des jours sans distractions, des nuirs sans sommeil, des figures atroces, des menaces, des cris de mort, un concert non interrompu de plaintes, des sanglots de tout ce qui respire dans ces affreux séjours, voilà les prisons de Paris, et celles de plusieurs départemens, Rien n'égale le despotisme des administrateurs chargés de la surveillance de ces maisons, Touché des souffrances de quatre-vingt députés étendus

1

dans les corridors, sur les escaliers de la prison des Magdelonnettes, un concierge ose demander à un administrateur, du logement pour ces représentans du peuple ; il n'y a qu'à les mettre aux pailleux, répond-il froidement, c'est assez bon pour des députés. Pourquoi, dit un jour un détenu à un autre administrateur, le vinaigre, qui est si nécessaire dans cette maison, n'y peut-il entrer, quand la loi ne le défend point? Si la loi ne le défend pas, moi je le défens, répond il du ton le plus brusque.

[ocr errors]

Semblables à ces avares que la vue de l'or rend plus avides, tous les bourreaux qui torturoient la France à cette époque, devenoient plus cruels à la vue du sang qu'ils faisoient couler. Des loix toutes plus atroces les unes que les autres, achevoient d'étouffer leurs remords, en ouvrant le champ le plus vaste à leur férocité. Bientôt elles leur paroissent insuffisantes. Les motifs ordinaires des actes d'accusation sont épuisés; une multitude innombrable de victimes pppose à leur rage une innocence que respecte l'iniquité même des loix d'après les

quelles on les juge. Que restoit-il à faire aux juges-bourreaux? renouveler les mas❤ sacres de septembre, exciter des soulèvemens dans les prisons, effrayer le peuple sur les dangers de ces conspirations, et faire périr dans un seul jour tant de victimes sous la mitraille des canons, sous les poignards, les piques, les bâtons d'une po pulace effrénée, et que la première goutte de sang enhardit à le verser par torrens, S'ils n'en vinrent pas à-bout, voici du moins comme ils le tentèrent.

[ocr errors]

On ne s'occupa plus que des moyens de créer des prétextes à la rébellion, par des vexations de tourgenre. L'enlèvement dẹ toutes sommes au-dessus de 50 livres, fut des premièrs mis en usage. Les administrateurs de police, à qui on laissoit le détail de l'exécution, s'acquittèrent, au gré de leurs maî tres, de cette opération. On fouilloit dans les malles, les paillasses, les coins, les réduits, et jusqu'aux habillemens, Cette mesures'étendit même jusqu'aux députés captifs; ce-. pendant on n'ignoroit pas qu'ils recevoient tous les mois leurs indemnités, par ordre de la convention nationale,

[ocr errors]
[ocr errors]

Cette mesure ne produisant pas le mé .contentement qu'on en attendoit, on en employoit une seconde ; on enlevoit les rasoirs, couteaux, canifs; on poussa cette exécration au point, à l'égard des femmes, de leur enlever jusqu'aux aiguilles, les pri vant ainsi du seul passe-tems utile qui leur restoit dans leur captivité (1). Dans tous ces momens de crise, il n'étoit pas permis de recevoir,ni de renvoyer, soit linge, soit provisions, de manière que la majeure partie de ce qui étoit envoyé se trouvoit égaré. On vouloit, disoit-on, priver les prisonniers de tout ce qui eût pu devenir une arme

(1) Ce brigandage en termes de geole, s'appellait rapiater. Les femmes offroient à la brutalité des' geoliers tout ce qui pouvoit éveiller leurs féroces desirs et leurs dégoûtans propos. Les plus jeunes étoient déshabillées, fouillées : la cupidité satisfaite, la lubricité s'éveilloit et ces infortunées, les yeux baissés, tremblantes, éplorées, devant ces bandits, ne pouvoient cacher à leurs yeux étonnés ce que la pudeur même dérobe à l'amour trop heureux. La vertu étoit alors à l'ordre du jour et la multitude célébroit l'Etre suprême, Robespierre et la guillotine.

dangereuse entre leurs mains, et on leur enlevoit, bagues, boutons de manche, boucles à jarretières, à col et de souliers montres, tabatières, &c... Pour donner plus d'alarmes, on choisissoit le milieu de la nuit, tems où le bruit des verroux devient plus effrayant, par les sursauts qu'il

Occasionne.

Succède enfin la table commune, plus connue sous le nom de gamelle, institution précieuse en elle même, si elle n'eût pas été abandonnée à des hommes avides qui spéculofent pour empoisonner ou faire mourir de faim les citoyens qu'ils devoient nourrir.

Comme le nombre étoit infiniment supérieur à l'espace, on avoit divisé les repas en trois tems, distribués à tour de rôle parmi tout les détenus. Ceux qui étoient du deuxième ou troisième tems, prenoient sous le bras tout l'attirail nécessaire, se tenoient debout derrière les premiers, àpeu-près comme les laquais de l'ancien régime, et bravant l'ardeur du soleil, ils attendoient patiemment qu'on leur cédât la place. L'amalgame des tables étoit sin

« PreviousContinue »