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rir; mais je trouvois dans l'appauvrissement de mon sang, une patience, une résignation que ne me pouvoient donner toutes les leçons de Sénèque et d'Epictète lui-même. Si je ne bri guois pas précisément la mort, j'en acquérois au moins l'immobilité ; je restois sans peine qua rante-huit heures couché sur le même côté.

ont

Ainsi donc, les misérables qui remplissent la France de sang et de deuil, tour abjuré à-la-fois, le respect dû à l'humanité, au malheur, à l'innocence, et au caractère de représentant du peuple.

C'est à un de ces derniers qu'il appartient de nous parler des souffrances de soixantetreize de ses collègues, incarcérés pendant dix mois. Son récit fera connoître au lecteur une des plus redoutables prisons après celle de la Conciergerie.

Immédiatement après le décret du 3 octobre 1793, qui envoyoit en arrestation 75 représentans du peuple, sans avoir été entendus, ceux des membres qui étoient présens à la séance, furent sommés de sortir par la barre de la convention, à l'appel nominal qui en fut fait, et de se rendre dans un réduit qui donne entrée aux latrines. C'est la place qui leur fut provisoirement assignée par le comité de sûreté générale. Ils restèrent dans cet endroit infect et chargé

d'un méphitisme insupportable jusqu'à nuit close; de là ils furent transférés au corps-de garde du Pavillon national. Les tribunes des Jacobins s'y étoient déjà rendues en masse et en occupoient les avenues. Il n'y eut aucune espèce d'outrages que les prisonniers n'eussent à essuyer de la part de ces femmes forcenées qui s'efforçoient de bien gagner leur argent.

Dans cet intervalle, la municipalité avoit reçu l'ordre de nous faire conduire dans des maisons d'arrêt. Ainfi nous fûmes livrés à ce que nous avions d'ennemis les plus acharnés ; car nous n'avions cessé de dénoncer cette municipalité rébelle. A deux heures après minuit, la force armée se présente pour exécuter cet ordre.

Nous défilons d'un pas lent par le Carrousel, le quai du Louvre, le Pont-Neuf, le quai des Orfévres, entourés de la cavalerie qui chasse brusquement tout citoyen que la curiosité arrête pour voir passer ce convoi après bien des détours nous arrivons enfin à la chambre d'arrêt de la Mairie.

et

Cette prison peut contenir quarante personnes. Un parquet situé le long du mur, couvert d'un peu de paille, quelques bancs et quelques tables en font l'ameublement.

Quand nous y arrivâmes, elle étoit occupée par une cinquantaine de détenus, nous étions vingt cinq; il fallut donc passer le reste de la nuit sur des bancs ou debout, au milieu d'un

méphitisme corrupteur qui arrêtoit presque la respiration. Le lendemain chacun de nous fut conduit à la mise des scellés sur ses papiers, et à la maison de la Force, dans un lieu appelé le Bâtiment neuf.

Ce bâtiment est composé de six étages, tous voûtés en pierres de taille jusqu'au plus haut, Chaque étage ne consiste qu'en un long salion, où sont placées le long du mur des crèches, ou bières garnies de sacs de paille, avec une cou verture pour chaque paire de sacs, sur lesquels il est impossible de coucher, à cause de leur forme cylindrique. Il n'est pas besoin de dire que ces simulacres de paillasse abondoient en vermine de tout genre.

Nous fûmes placés au sixième étage avec une trentaine de malheureux qui y étoient déjà. Nous étions sans lit, et il fallut bien nous accommoder des sacs de paille, qui ressembloient bien plus à des tronçons de bois, si mieux n'aimions passer une seconde nuit debout. Le sallon ne reçoit d'air que par de petites lucarues; le méphitisme effrayant, et par surcroit d'horreur, un gros baquet, destiné aux besoins naturels de la nuit, étoir placé à la tête du sallon.

La plus grande partie de la maison de la Force ér it occupée par des suspects, les députés se logèrent en différens endroits de cette prison. La majeure partie re ta au Bâtiment neuf. Nous ne trouvâmes, sept de mes collègues of

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moi, qu'un chérif emplacement de 14 pieds en quarré qui contenoit de plus un escalier et fournissoit le passage à deux autres sallons où étoient entassés une cinquantaine de prisonniers. Cependant il y fallut dresser nos lits et y monter notre petit ménage. Les lits se touchoient; la moitié du mien étoit même sous celui de mon yoisin, et deux autres collègues couchoient par terre, faute d'espace. Pour se mettre au lit il falloit entrer par les pieds, et pour rester dans la chambre, il falloit se tenir sur les lits, oụ en démonter quatre ou cinq, L'emplacement étoit à un petit premier, sous les toits, et couvert de biais. L'extérieur répondoit parfaitement à l'intérieur la porte étoit fermée au verrou jour et nuit. Pour y arriver il falloit traverser une loge de cochous placée au pied de l'escalier. Ces animaux venoient souvent nous incommoder jusques dans notre gîte. Sous les fenêtres,

une

autre loge de cochons, et à l'autre extrémité les latrines communes. Tout cela, joint ensemble formoit une masse de putridité bien propre à altérer les santés les plus robustes.

Quelle tâche nous aurions à remplir, si nous voulions conduire le lecteur dans chacune de ces redoutables demeures souillées de tant de sang et de crimes! Les journées du 2 septembre ont à jamais rendu célèbres les prisons de l'Abbaye et de la Force. Mais

qui eût pa

croire que des maisons, naguère consacrées à l'éducation publique (1), et ce qui est plus étonnant encore, un palais (2), attestant le faste des rois, transformé es tout-à-coup en prisons révolutionnaires, seroient à leur tour horriblement fameuses pour avoir fourni aux hécatombes de Robespierre des milliers de victimes?

Ce fut à la prison du Plessis, dice l'Egalité, que prit naissance la plus atroce des conceptions des bourreaux révolutionnaires celle du systême des conspirations (3), funeste préliminaire des égorgemens en masse. Nous en parlerons dans un

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(1) Le collége du Plessis, celui de Louis le Grand et des Quatre Nations.

(2) Le Luxembourg.

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(3) Ce fut à propos de l'affaire de Danton, de Camille.....&c. Que l'infâme Couthon imagina l'absurde conspiration des prisons, supposant à des détenus sans liaison au dehors, sans armes dénués de tout, le projet non-seulement de briser leurs fers, mais d'aller encore massacrer les comités, la convention, et enlever au Temple le fils de Louis XVI pour le rèmettre sur le trône.

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