Page images
PDF
EPUB

jours croissante, ils ordonnent de sortir s on sort, on rentre, on se trompe encore, et ce n'est quelquefois qu'après trois ou quatre épreuves, que leur vue brouillée parvient enfin à s'assurer que le nombre est complet,

» Les chambres des femmes sont aussi divisées en chambres à la pistole et en chambres à la paille. Les pistoles occupent le premier. Les chambres des pailleuses sont au rez-de-chaussée, derrière une arcade; elles sont obscures, humides et aussi mal-saines que mal-propres.

» Les chambres à la pistole, sont celles où l'on paye le loyer des chambres qu'on occupe. Il y a autant de lits dans une chambre qu'elle en peut contenir. On payoit d'abord pour un lit 27 livres 10 sols le premier mois, et 22 livres 10 sols les mois suivans. On a réduit ce loyer à 1s livres par mois. Le même lit a souvent rapporté plusieurs loyers en un mois. (1).

(1) Dans les derniers tems de la tyrannie de Robespierre, lorsque le tribunal envoyoit les victimes à la mort par charretées, quarante ou cin

Aussi la Conciergerie peut-elle, quant au produit, être regardée comme le premier hôtel garni de Paris »,

Tel est donc l'affreux tableau d'après lequel il faudra que la postérité juge de l'état des autres prisons de Paris, à l'époque dont nous parlons, bien qu'aucune d'elles n'ait surpassé cet affreux modèle, et que même quelques-unes aient été, par les soins de quelques concierges accessibles à la pitié, et en différens tems, plus ou moins éloignées de cette fatale ressemblance. Mais que pourront penser les siècles à venir, de ces hommes qui faisant sonner si haut les mots d'humanité, de fraternité et de justice, ont su, dans l'état où le criminel lui-même devient intéressant par la privation de la liberté, ce premier bien des êtres vivans, renchérir, indistinctement envers le crime et l'innocence, sur tous les mauvais traitemens suggérés aux pius cruels

quante lits étoient occupés tous les jours par de nouveaux hôtes, qui payoient 15 livres pour une nuit, ce qui donnoit par mois un produit de 18 à 22,000 livres.

S}

[ocr errors]

ty ans par leurs plus lâches ministres ? Déchirer, dévorer, exterminer, c'est le premier effet de la fureur des tigres; c'est aussi le premier acte d'une passion fougueuse et violemment excitée ; mais se jouer de sa victime, insulter à ses pleurs, sourire à ses plaintes; compter ses douleurs, distiller le fiel dans ses plaies, retarder à plaisir l'instant de son supplice, pour le lui faire subir mille fois ; tant d'atrocité n'a plus d'exemple dans aucun des monstres de la nature; l'homme seul enfanta un si affreux prodige.

Rentrons pour quelques mòmens encore sous les lugubres voûtes de la Conciergerie, Un homme nous y rappelle pour nous dévoiler avec plus d'énergie de nouveaux mystères d'abomination, en nous apprenant à la fois l'origine de ses malheurs.

A Bordeaux, nous dit-il, les magistrats étolent en fuite, destitués ou arrêtés eux-mêmes. Un mauvais génie invisible sembloit s'être emparé de la ville et ne se plaire qu'à porter les coups dans l'ombre. C'est dans ces circonstances qu'on vit tout-à-coup paroître le buste de Marat, couvert d'un boppet rouge et promené par up

comédien du Vaudeville, que suivoient quelques hommes inconnus dans la ville. Ces présages affreux · qu'ils appeloient une fête, redoubloient la tristesse universelle. On regardoit en silencé cette procession traverser les rues, n'entraînant après elle que quelques vagabonds, comme un égoût qui entraîne les immondices. Le triomphe du nouveau Teutatès annonçoit que des sacrifices d'hommes alloient se faire. Les foibles digues qui défendoient encore l'ordre public, furent renversées par la destitution totale de la municipalité; des intrigans, des envoyés jacobites se répandirent dans toutes les places.

Tel étoit l'état déplorable dans lequel se trouvoit Bordeaux et l'orage qui grondoit sur lui, lorsque j'y fus arrêté à trois heures après minuit, peu de tems avant l'entrée des lieutenans du vainqueur du 31 mai.

» Je fus conduit au comité révolutionnaire de la section Francklin, le seul qu'il y eût alors et qui étoit sorti comme tout formé des enfers. C'étoit un ramas de clubistes, présidé par des émissaires à cheveux noirs. Ce comité instrumentoit tout aussi tranquillement que si c'eût été la chose la plus naturelle du monde, que d'arrêter la nuit trois ou quatre cents personnes, et de remplir tout de confusion et d'alarmes. Seulement une sorte de satisfaction niaise, mêlée d'étonnement, se peignoit sur la figure des Sans-culottes qui croyoient que, pour cette fois là, le peuple

alloit être heureux, puisqu'il arrêtoit tous les

riches.

» J'avois été arrêté avec un Espagnol. Il étoit venu chercher la liberté en France, sous la garantie de la foi nationale. Persécuté par l'inquisition religieuse de son pays, il étoit tombé en France dans les mains de l'inquisition politique des comités révolutionnaires. Au moment où nous fûmes saisis, un officier municipal accompagnoit la horde toute composée de gens sans aveu, de Savoyards, de Biscayens, d'Allemands même. C'étoit à cette tourbe que des Français étoient abandonnés.

» Bientôt un grand bruit se fait entendre des hommes armés s'assemblent; je vois passer le représentant du peuple Duchâtel, les mains chargées de fers et attaché au corps avec une corde, qu'un gendarme tenoit en laisse ; ce jeune homme retenoit des larmes d'indignation qui rouloient dans ses yeux; la tête haute et le regard courageux et terrible, son caractère de représentant se traçoit sur son front, en traits d'autant plus augystes, qu'il étoit méconnu Są taille étoit avantageuse, l'intrépidité respiroit tel lement dans tout son visage d'une beauté mâle et vigoureuse, sa jeunesse paroissoit tellement indépendante et libre, que tant qu'ą duré la route, je ne me souviens pas d'avoir vu un moment de sécurité aux gendarmes, quoiqu'il eût des fers aux pieds et aux mains, et qu'il fût attaché avec une douzaine de cordes en dedans

« PreviousContinue »