Page images
PDF
EPUB

Tant de sang déjà répandu, sans qu'il en soit encore résulté pour la patrie les avan' tages qu'osoient lui promettre des charlatans bourreaux, n'a qué trop convaincu le lecteur, qu'il est arrivé ce règne affieux de la terreur, appelé par les vœux et amené par les efforts des hommes les plus féroces. Tiré par l'ambition et l'orgueil, poussé par la vengeance, escorté des passions les plus viles et en même tems les plus impla cables, chargé des malédictions de tout ce qui a un esprit droit, un cœur sensible, une ame pure, le char révolutionnaire est enfin lancé dans la carrière de la proscription et du carnage. Assise sur le timon, la mort, l'affreuse mort, mal déguisée sous les vêtemens ensanglantés de la liberté et de la justice, promène au loin sa faulx et moissonne indistinctement âge, sexe', beauté, crimes, vertus, stupidité, génie. Au bout du demi-cercle que parcourt son bras décharné, on la voit ramener ses coups sur l'esclave degradé qui, le front dans la poussière, lui rend des honneurs divins. Amis ou ennemis, le monstre les confond Lous dans sa Laine aveugle : les cadavres

R

s'amoncèlent : leur nombre est si grand, que les vallées s'élèvent au niveau des collines. C'est sur cette plaine épouvantable que l'horrible char roule avec une rapidité que chaque instant accélère. De vastes mares de sang et de larmes ne peuvent ralentir sa course. Un bruit affreux, semblable à celui de la foudre, se fait entendre; c'est celui des ossemens broyés sous le char poids de ses roues tranchantes. De ce infernal s'échappent des flammes dévorantes. Un incendie général éclaire cette scène d'horreur : la consternation la plus profonde glace tous les cœurs d'effroi : ce qui respire encore paroît dédaigner l'existence: emportés par un choc irrésistible, les Français ne sont plus qu'à deux pas d'un abyme entr'ouvert, au fond duquel on aperçoit le chaos: tout est perdu, à moins que le char ne se brise...

Mais que cette esquisse rapide retrace imparfaitement encore l'image des calamités enfantées par le gouvernement révolutionnaire ! Le moment est venu cependant de le peindre sous des couleurs qui, lui conservant toute sa laideur, le rendent

à jamais l'exécration de la postérité la plus reculée. Les avantages qu'il a produits et dont nous avons eu le courage de conve

nir, ne sont point comparables aux mal

heurs qu'il a causés

encore

moins à ceux

dont il a laissé un germe fatal que la génération présente transmettra à celles qui lui succéderont.

Il étoit naturel que le dégoût d'une vie misérable ou à chaque instant menacée, enfantât le mépris de la mort. Ce mépris, plus généreux dans certaines ames plus élevées, a formé des héros, dont les uns, dignes imitateurs des Scévola et des Sidney, ont fait pâlir leurs bourreaux sur l'échafaud, et dont les autres, plus heureux, bravant avec gaieté les foudres étrangères, moins redoutables pour eux que celles qui embrâsoient leurs foyers, ont dissipé d'innombrables armées, comme un vent du nord chasse devant lui d'épais tourbillons de poussière et de fumée.

Quels dangers en effet pouvoient épouvanter des hommes qu'un dévouement généreux venoit d'affranchir de toutes les jouissances physiques qui attachoient l'in

dividu à son ouvrage, à son champ, à ses richesses, à sa ville natale, à ses amis? Elevés par un sentiment jusqu'alors inconnu, dans une sphère supérieure à toutes ces affections naturelles, pénétrés d'horreur pour des monstres qui se font une religion de tout violer, de tout détruire, on les voit embrasser avec enthousiasme lą cause de l'humanité, devenue celle de chaque individu. L'intérêt particulier n'est plus en opposition avec l'intérêt général; combattre avec ses frères, c'est préserver sa propre existence. Les armes à la main on oppose, à des attaques qu'il est impossible de prévoir, une résistance doublée par le courage et le succès, tandis que dans l'interieur de la France, les victimes ne peuvent que se plaindre, ne savent que

mourir.

?

Oh! que de plaies profondes il reste cica riser aujourd'hui. La vérité, si longtems persécutée, osera-t-elle enfin sẹ montrer? La morale outragée ne serat-elle pas long-tems méconnue? Quand la vertu recouvrera-t-elle son crédit, lorsque tant de scélérats ont prostitué son nom?

[ocr errors]

Les aîles du génie se reproduiront-elles après avoir été si souvent coupées ? L'ingratitude, la délation, la perfidie, ne se ront-elles pas long-tems encore des armes familières à tant d'individus, en qui l'ambition, excitée par l'envie, entretiendrą sans cesse le besoin du crime? Tous les liens sociaux seront ils renoués aussi facilement qu'ils ont été dissous? Ce n'est-là qu'un abrégé des maux devenus la suite inévitable de ce régime de terreur et de sang: ils sont assez grands pour nous faire frémir, même sur les plus glorieux triomphes. Pour les nations, ainsi que pour les individus, le bonheur n'est pas toujours où se trouve la gloire; il est plus difficile à trouver que la gloire même : une seule action d'éclat prouve celle-ci; celui-là est le fruit d'une multiplicité d'actes obscurs dont la série doit égaler celle des instans qui composent la vie. A chaque instant donc opposons des vertus nouvelles à des crimes dont les traces subsisteront long tems parmi nous.

Reportons-nous au milieu de ce drame immense où l'homme osa faire un divorce

Ꭱ ;

« PreviousContinue »