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» Ce coche alloit à Sens: Sens n'étoit qu'a tois lieues de Vil... j'étois dans un ravissement qu'on ne peut exprimer, mais ma joie fut bientôt rabattue par l'apparition de deux commissaires en écharpe, qui étoient eux-mêmes dans le coche et le suvoient jusqu'à ce qu'ils eussent fait l'ins pection de tous les passe-ports. Il y avoit tant d'issues et tant de monde dans ce coche, que je n'eus pas de peine à esquiver la visite de mes papiers; il se trouvoit d'ailleurs, sur ce bâtiment, beaucoup de soldats de l'armée révolutionnaire, qui, se croyant tout permis, envoyoient les commissaires au diable, et les chiffonnoient de si près, qu'ils se jetèrent dans un batelet qui suivoit le coche pour les ramener et pri rent le large sans avoir chagriné personnẹ et particulièrement un citoyen qui se faisoit si petit, qu'il me parut au premier coup d'œil, être encore moins en règle que moi. C'est la seule fois peut-être que les soldats de l'armée révolutionnaire recurent des bénédictions, mais je conviens qu'intérieurement je leur rendois de viveș actions de grâces, pour nous avoir délivrés

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de ces sinistres commissaires de la com

mune.

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» Je ljai conversation avec le citoyen qui

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m'avoit paru avoir si peur soit qu'il fûr discret, et c'étoit fort bien fajt, soit qu'il me prêt pour un espion, et Dieu sait sį l'on en avoit semé par-tout, il fut d'aboid fort boutonné; il se familiarisa cependant au bout d'une heure ou deux, et me conseilla de faire comme lui, de quitter le coche, à la première occasion qui s'en présenteroit. Cet homme alloit à Auxerre ou du moins aux environs, cette route étoit bien la mienne ; en outre la voiture qu'il se proposoit de prendre devoit le rendre en moins de douze heures à Sens, et il falloit passer trois jours entiers et trois nuits dans le coche, ayant qu'il fût arrivé dans cette ville: cette proposition étoit bien tentante, Cependant je ne m'en souciois pas beaucoup, je me trouvois hors de danger, et ma position du moment étoit si douce auprès de celle où je m'étois trouvé, il y avoit tout au plus trois heures, que je ne croyoiş pas qu'on fût être aussi bien ailleurs.

» Pourtant les propos atroces, les actions sales dont nous étions les témoins oculaires et auriculaires, me déterminěrent à suivre mon compagnon, qui profita, pour sortir de ce cloaque, d'un bateau qui amenoit quelqu'un dans le coche, en passant près de Ville - Neuve - SaintGeorges. A peine ce bateau nous eût-il mis à terre, que des estafiers nous happèrent au coilet et nous conduisirent au corpsde-garde de Ville-Neuve-Saint-Georges, pour faire visiter nos passe ports par les membres du comité révolutionnaire et trèsrevolutionnaire de cette infernale ville. Je regrettois fort d'avoir quitté mon coche, nous n'étions encore qu'à quatre lieues de Paris, et je m'en trouvois beaucoup trop près ; il falloit pourtant bien se soumettre; nous entrâmes dans ce comité, et ce qui m'étonna beaucoup, c'est qu'on ne m'y fit aucune difficulté sur mon passe-port, bien qu'il ne fût pas visé par la commune de Paris; on trouva également celui de mon compagnon très en règle. Nous nous disposions à quitter ce comité, pour prendre

des carioles dans la ville, quand ce comité nous retint, pour nous faire subir une inquisition d'un autre genre.

On demanda nos porte-feuilles à visiter, nous les donnâmes; on n'y trouva rier de suspect: on nous demanda ensuite si nous n'avions point de papiers cachés sur nous ; nous répondîmes que non; mais on nous fir passer dans un cabinet particulier où l'on fit dans nos bas, dans nos souliers et dans tous nos vêtemens la perquisition la plus indécente et la plus horrible. On prit, dans une de mes poches, la lettre que j'avois écrite le matin à ma femme ; on la décacheta ; on la lut; on tourna en ridicule la manière affectueuse dont je lui écrivois, et après s'être bien convaincu, par la fouille la plus infâme, que nous n'avions rien de suspect, ces scélérats nous laissèrent enfin sortir de leur caverne immonde.

»Fâchés, je crois, de nous voir sortir sains et saufs de leurs griffes, quand je fus à quelques pas de leur repaire, un deux courut après moi et me demanda si je n'étois pas le L... gendre d'un certain Do... qui venoit d'être transféré de chez eux à

Paris, pour être guillotiné (1). Je n'étois pas le citoyen L... dont il vouloit me parler; je le connoissois; il me touchoit même de fort près, mais je jouai si bien l'ignorant, qu'il ne se douta pas que j'étois son parent, et me laissa aller. Arrivé au milieu de ma petite famille, je pleurai de joie, bien déterminé à gratter la terre pour la faire vivre, plutôt que de retourner à Paris chercher ce qui m'étoit dû ».

(1) La prédiction de ce membre du comité révolutionnaire de Villeneuve Saint-Georges, ne tarda pas à s'accomplir. Le Dorival dont il me parloit et que je connoissois beaucoup, fut effectivement conduit à la guillotine avec une suite nombreuse comme chef d'une de ces conspirations fabuleuses, soi-disant tramées au Luxembourg, contre la représentation nationale, et qui fabriquées par les bourreaux révolutionnaires de la commune et du comité de salut public, n'étoient autre chose qu'un moyen expéditif,imaginé par eux pour faire périr plus promptement les prisonniers, en les amalgamant dans un même acte d'accusation, pour un seul èt même fait dont ils étoient innocens. Ce Dorival déja avancé en âge, étoit un hornête hommie ét qui de sa vie n'avoit eu l'idée de forger une conspiration, ni d'y tremper en rien.

Fant

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