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comprimoit dans leur ame l'humanité qui cherchoit vainement à s'épancher.

Un homme qui avoit été dans l'opulence, et qui se trouvoit encore dans l'aisance, au moyen de la fortune qui restoit à sa femme, un nommé Sétilly, s'étoit retiré dans le village de Passy, distant de Paris de près de trente lieues : des assassins, de ces bêtes féroces aux gages des pourvoyeurs du tribunal révolutionnaire, arrivent chez lui; on l'enlève; on jette aussi dans les fers sa femme et la veuve Montmorin, dont le mari avoit été massacré au 2 septembre dans les prisons, et à qui Sérilly donnoit un asyle dans sa campagne bientôt on apprend dans l'endroit que Sérilly et sa femme ont péri sous la hache révolutionnaire. Comme les biens de ceux que l'on égorgeoit étoient confisqués au profit de la nation (loi barbare qui conduisit à la mort tous les riches propriétaires, dans le seul dessein, disoient les monstres, de battre monnoie sur le place de la Révolution ), le district de Sens se rend au château de Passy, pour s'emparer de tout ce qui étoit à Sérilly eq

à sa femme trois petits enfans qui leur appartenoient, sont aussi-tôt mis à la porte de la demeure paternelle errans

:

sans

asyle, sans pain, ils vont dans la ville voisine mendier les secours nécessaires à leur subsistance leur père avoit eu des amis dans cette ville, des amis qui ne demandoient pas mieux que de recueillir ces pauvres orphelins, de leur donner des secours mais la crainte paralyse tous les cœurs; au moment où la pitié vous dit de vous élancer vers eux, la crainte de la mort vous en arrache; on se détourne pour ne pas les voir pour ne pas recevoir leurs caresses déchirantes ; une seule marque d'affection qu'on leur auroit donnée, pouvoit compromettre la vie de celui à qui elle seroit échappée, si elle für parvenue à la connoissance de ces êtres féroces qui traitoient de contre-révolutionnaires tous ceux qui s'appitoyoient sur le sort des victimes de la révolution. Ce stoïcisme sanguinaire a été poussé si loin par certains individus, qu'il y en avoit, dans la capitale, qui ne manquoient jamais de se trouver aux exécutions révolutionnaires, afin d'avoir le

plaisir de voir tomber des têtes, et qui insultoient aux spectateurs qui, dans le moment de l'effusion du sang, avoient, à leurs yeux, la foiblesse de pâlir ou de pousser un soupir. Nous avons connu un citoyen qui fut maltraité, et presque conduit à un comité révolutionnaire par un de ces cannibales, parce qu'il n'eut pas le courage ni la force de voir tomber les têtes de vingt religieuses ou jeunes femmes, sans laisser échapper un gémissement, et parce qu'il voulut quitter le lieu de l'exécution avant que cette expédition sanguinaire fût achevée. La terreur avoit tellement avili notre espèce dans ces jours désastreux, que l'on vit se renouveller pour nous ces tems horribles dont parle Tacite : les citoyens honnêtes, en passant auprès d'un cadavre, trembloient qu'on ne s'apperçût qu'ils avoient peur. Que faisoient donc alors tous les membres de la convention? Ils participoient donc à ces horreurs? Non, pas tous : encore une fois, ne les chargeons point de crimes dont la plupart étoient innocens. Les membres de la convention composant les comités de salut public et de

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sûreté générale assassinoient, à l'exception de quelques uns; d'autres membres de la convention, vendus aux comités, tels que les Lebon, les Carrier, aidoient ces comités à assassiner; et le reste de la convention, déjà assassinée en partie par ces comités, craignoit de l'être entièrement, et F'eût été infailliblement, si elle eût tenté un coup contre les tyrans avant que ce coup pût être décisif.

Si une politique machiavélique détermine les tyrans soupçonneux, les tyrans qui n'ont point encore affermi leur autorité usurpée, à se défaire successivement des guerriers qui ont vaincu à la tête des armées, dans la crainte que ces hommes ne tournent contre eux l'autorité qu'ils ont sur le soldat, par la confiance qu'ils ont méritée; la même politique engage également ces tyrans précaires à se défaire de tous les gens éclairés, qui, par leur influence sur la multitude, pourroient contrarier les vues ambitieuses de ces monstres, et dévoiler leur turpitude. La tyrannie est l'ennemie naturelle des sciences et des arts; elle a tout à perdre quand les lumières

commencent à percer dans un état despo tique; et dans un état que l'on veut desporiser, il faut également y anéantir les sciences, pour y établir sûrement et longuement un règne tyrannique; et, à cet égard, les dominateurs n'épargnèrent rien pour consolider leur puissance.

Ce fut peu pour ces nouveaux Tibères qui écrasoient la France, d'envoyer à l'é→ chafaud les généraux victorieux dont ils redoutoient l'ascendant; d'envoyer à l'échafaud tous ceux qui portoient un nom illustre, dans la crainte que ce nom ne ralliât des mécontens, s'il se manifestoit une émeute populaire ; d'envoyer à l'échafaud tous les riches propriétaires, afin de s'approprier leurs biens: on ingloba aussi dans la proscription générale, les savans et les gens de lettres; on frappa de la hache révolutionnaire les Lavoisier, les Bailly, les Chénier, Linguer, Dionis - Duséjour, Marivet, Cazotte, Roucher et beaucoup d'autres; et l'on eût fait périr infailliblement tous les gens éclairés qui s'étoient distingués en France par leurs talens et leurs connoissances, si le 9 thermidor n'eût mis

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