Page images
PDF
EPUB

prends qu'il n'y a ici que des b..... à poil, qu'on n'engante pas aisément. Allons, laisse-là ton passe-port, sors vîte, si tu ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose de pis; et ne rapporte ton museau ici que quand tu seras en règle,

Dévoré de regrets de m'être enfourné dans Paris, honteux, désespéré, je retourne chez mon hôtesse , pour qu'elle m'explique ce que signifioit la demande que l'on me faisoit de deux témoins pour viser mon passe-port. Comme elle étoit au fait, à cause des étrangers qu'elle étoit dans le cas de loger, elle m'apprit que la formalité de deux témoins étoit indispensable pour faire viser un passe-port; que ces deux personnes venoient au comité répondre du civisme de l'individu porteur du passe-port; et que si cet individu, ayant des notes fâcheuses sur son compte, ne se retrouvoit pas, quand le comité le faisoit chercher, on mettoit les deux témoins qui avoient répondu de lui en prison, jusqu'à ce qu'il fût retrouvé.

» Je compris qu'il n'étoit pas facile de trouver des témoins, et que, dans Paris 2

y ayant quarante-huit comités révolution naires, aussi jaloux les uns que les autres d'incarcérer à la journée, il n'étoit guère possible, quoique la ville fût grande, de trouver des personnes qui voulussent bien s'exposer pour des individus qu'elles no connoissoient pas.

[ocr errors]
[ocr errors]

Cependant, je priai mon hôtesse de m'indiquer quelqu'un qui pourroit me rendre ce service. Cette femme avoit l'air honnête. Mais, citoyen, me dit-elle, vous paroissez avoir demeuré à Paris; est-ce que vous n'y connoissez personne ? — Si fait bien, lui dis-je; mais il y a près de dix-huit mois que j'en suis sorti; je me garderai bien d'aller près du quartier dans lequel j'étois connu, op me prendroit pour un fugitif, et j'ai grande envie de quitter cette ville, avant que qui que ce soit de ma connoissance m'ait apperçu, et sur un ancien domestique à moi, qui doit sûrement être de quelque comité révolution naire, car il a toutes les qualités requises pour remplir dignement ce poste honorable, Malheureux, me dit-elle, taisezvous; si l'on nous entendoit... Et après

[ocr errors]

!

[ocr errors]

tout

avoir fait un signe de désespoir : Tenez, me dit-elle, je connois un homme qui vous rendra ce service, en payant toute fois, car il en fait métier.

[ocr errors]

Que m'importe, lui dis je, c'est tout ce que je demande. Il demeure ici près, la seconde petite boutique à gauche dans la rue de la Loi.-Et cu prenez vous la rue de la Loi, lui dis-je ? j'ai demeuré un siècle à Paris sans avoir entendu proférer ce nom. — Elle se mit à rire; me dit que tous les noms des rues étoient changés, que c'étoit à pré-f sent rue de J. J. Rousseau rue d'Helvétius, rue de Beaurepaire, rue de l'Égalité, rue de Marat, quai Voltaire, place de la Révolution, section de Mutius - Scævola, &c. &c. et que la rue de la Loi dont elle me parloit, étoit celle nommée autrefois rue de Richelieu.

» Je fus au fait je trouvai très-bien que l'on honorât la mémoire des grands hommes, ou que l'on consaciât le souvenir des grandes choses par des dénominations qui, prononcées chaque jour, rappeloient ces hauts - faits ou ces personnages illustres à la mémoire du peuple; mais il me parois

soit ridicule, pour ne rien dire de plus, que l'on changeât, en un moment, la majeure partie des noms adaptés aux rues; cela pouvoit occasionner beaucoup d'inconvéniens, et étoit fort incommode pour les citoyens, et particulièrement pour les étrangers; mais ce n'étoit là qu'une vétille (1,: du reste, songeant moins encore

(1) Ceci nous rappelle une scène risible qui arriva dans la commune de Langres, département de la haute Marne; dans cette petite ville comme partout ailleurs, il y avoit, au tems de la terreur, bon nombre de révolutionnaires fameux; il y en a bien encore quelques uns qui sont dévorés du regret de ne pouvoir plus déchirer leurs semblables, et qui seront sans doute connus en tems et lieu; comme dans cette ville on singeait Paris, les hommes de génie qui étoient alors à la municipalité, voyant qu'à Paris on changeoit des noms de rues, s'avisèrent un beau jour de faire changer de nom à toutes les rues de Langres. Un régiment passa le lendemain daus la ville; les municipaux croyant faire un trait de génie, donnèrent aux soldats des billets de logement avec le nom des rues nouvelles: comme personne n'avoit encore ey Je tems d'apprendre tous ces nouveaux noms, il n'é

à l'innovation dans la nomination des rues et des places publiques qu'à me procurer

[ocr errors]
[ocr errors]

toit pas possible d'indiquer aux soldats, où pouvoient être leurs demeures, en sorte que ces braves militaires harassés de fatigue et mourant de faim, étoient encore dans la rue, au déclin du jour sans avoir pu trouver les logemens qu'on leur avoit indiqués. Il sembloit assez naturel que les petites villes n'éprouvassent pas tous les désastres, toutes les secousses qui pesoient sur les grandes cités pendant le régime de la mort; cependant, si l'on en excepte quelques petits endroits privilégiés, les crimes qui dévastoient les grandes communes ravagèrent également les petites; il y eur à Langres comme a Paris, des pourvoyeurs de guillotine, des dénonciateurs scélérats et calomnieux, et surtout un tigre qui, parent de banqueroutiers aujourd'hui enrichis, se gorgea de sang et de ri chesses, et qui dans le principe de la révolution, aristocrate forcené, ne s'affubla ensuite du bonret rouge, que pour mieux tromper l'espion, se rassasier de la sueur du peuple, agioter impudemment avec les deniers du gouvernement, et devenir un riche aussi impudent qu'il avoit été pauvre et rampant. Comme la minorité facéieuse a de tout tems fait la loi à la majorité sage, cinq ou six scélérats déterminés compri

« PreviousContinue »