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vagues qu'insignifiantes, on ne peut s'empêcher de plaindre leur sort et d'avouer qu'on agissoit criminellement envers eux. Voilà donc déjà deux grands discours préliminaires, imaginés par Robespierre et Saint-Just, pour préparer le chemin qui devoit conduire à l'échafaud, le peu d'hommes qui leur portoient encore quelque ombrage; mais ce n'est pas le tout que des paroles, qu'une accusation vague, pour colorer, aux yeux de la multitude, l'assassinat de plusieurs hommes qui avoient joui d'une grande popularité et dont le patriotisme ne pouvoit être douteux, puisque plusieurs d'entr'eux avoient été les fondateurs ardens de la liberté et les premiers apôtres de l'égalité. Il falloit encore inventer de nouveaux moyens d'accusation, établir un nouveau cercle de proscription, une espèce de cercle idéal dans lequel on pourroit pousser tous ceux sur lesquels il n'y auroit pas d'inculpation directe à diriger; ce fut encore Saint-Just qui se chargea de cette découverte révolutionnaire, et, pour cette fois, les athées, les vicieux, les modérés, les indulgens vont se trouver

dans la nomenclature des têtes bonnes à couper.

En effet, après un nouveau rapport d'une longueur éternelle, après avoir débité, pendant quatre heures, un amas de phrases aussi décousues qu'insignifiantes, après un échafaudage de mille conspirations incohérentes, le forcené Saint-Just fait décréter ce qui suit: « Sont déclarés traîtres à la patrie et comme tels seront punis de mort, ceux qui seront convaincus d'avoir, de quelque manière que ce soit, favorisé dans la république, le plan de corruption des citoyens, la subversion des pouvoirs et de l'esprit public; d'avoir excité des inquié tudes à dessein d'empêcher l'arrivage des denrées à Paris; d'avoir donné asyle aux émigrés (cette dernière disposition concernoit particulièrement Hérault-de-Séchelles qu'on vouloit aussi égorger); ceux qui auront tenté d'ouvrir les prisons; ceux qui auront introduit des armes dans Paris, dans le dessein d'assassiner la liberté; ceux qui auront teħté d'ébranler la forme du gouvernement républicain. La convention nationale étant investie par le peuple français

de l'autorité nationale, quiconque usurpe son pouvoir, quiconque attente à sa sûreté à sa dignité (quelle exécrable ironie) directement ou indirectement, est ennemi du peuple et sera puni de mort. La résistance au gouvernement révolutionnaire et républicain est un attentat contre la liberté publique, quiconque s'en sera rendu coupable, quiconque tentera, par quelque acte que ce soit, de l'avilir, de le détruire ou de l'entraver, sera puni de mort. Il sera nommé six commissions populaires pour juger promptement tous les ennemis de la révolution détenus dans les prisons. Les comités de sûreté-générale et de salut public se concerteront pour former et organiser ces commissions. Les prévenus de conspirations qui se soustrairont aux poursuites de la justice seront mis hors la loi. Les comités révolutionnaires qui auront laissé en liberté des individus notés d'incivisme, seront destitués (remarquons par parenthèse que tout fonctionnaire public qui, à cette époque, étoit destitué, étoit, par cela seul, suspect et incarcéré). Tout citoyen'est tenu de découvrir les conspira

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teurs et les individus mis hors la loi, lorsqu'il a connoissance du lieu où ils se trouvent ; quiconque les recelera chez lui ou ailleurs, sera puni de mort. Les individus arrêtés pour cause de conspiration contre la république, ne pourront communiquer avec qui que ce soit, ni verbalement, ni par écrit, sauf la responsabilité capitale de ceux qui sont préposés à la garde des prisons. Quiconque aura participé à ces communications, sera regardé et puni comme leur complice ».

Quand on a médité ce que nous venons de transcrire, il est impossible que le sang ne se glace pas d'horreur dans les veines. Qu'on nous dise si, en parlant de la dignité, de la sûreté de la convention, il étoit permis de lui insulter avec plus de barbarie; c'est quand on la décimoit, qu'on la mutiloit, qu'aucun de ses membres n'osoit ouvrir la bouche, que cet exécrable comité de salut public parloit avec emphase de sa sûreté. Ce comité avoit réduit cette assemblée dans un tel état de stupeur que Barrère, membre de ce comité, entendant un conventionnel qui étouffoit un cri d'indignation

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que lui arrachoit une proposition atroće, s'interrompit, et regardant autour de lui avec un œil menaçant, s'écria : J'entends murmurer, je crois! Qu'on me dise si, d'après le cercle de proscription qu'on vient de tracer, il pouvoit se trouver un républicain, dans la république, qui pût éviter la mott, s'il plaisoit aux tyrans de la lui don

ner.

Comme cette mesure avoit pour objet de frapper particulièrement les individus dont nous avons parlé plus haut, le cadre fut bientôt rempli par Robespierre. En conformité du plan que s'étoient tracé ce dernier, ainsi que les comités de gouvernement, Ronsin et Vincent avoient été arrê tés par ordre du comité de sûreté générale ; on craignoit l'influence que ces deux individus, qui se permettoient tous les actes arbitraires les plus despotiques, vouloient prendre dans la société des Jacobins, dans les bureaux de la guerre, et particulièrement au club des Cordeliers, où ils avoient beaucoup de partisans.

En effet, des que ce club, où se réunis→ soient les Hébert, Momoro, Dufourny,

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