Page images
PDF
EPUB

CONJECTURES

SUR LES SOURCES

OU LA FONTAINE A PUISÉ LES SUJETS DE SES FABLES.

LES hommes éclairés qui commencèrent les recherches dont je présente aujourd'hui le résultat s'étoient proposé de mettre les lecteurs à même de comparer les différentes manières dont on avoit traité l'apologue, suivant la diversité des temps, des lieux et des personnes; mais ils avoient bien senti que cette tâche seroit impossible à remplir, si l'on ne se prescrivoit de certaines bornes, et c'étoit pour se restreindre à des limites convenables qu'ils avoient choisi comme terme de comparaison les fables de La Fontaine, dont le nombre est assez considérable pour laisser aux divers rapprochements toute la latitude nécessaire. Leur perfection leur donne, en outre, le double avantage de fournir au lecteur une mesure certaine pour l'estimation du mérite des autres, et d'offrir en même temps à son esprit un véritable délassement dans ce genre d'études.

J'ai, par mes travaux, considérablement ajouté à ce qu'avoient produit les premières recherches; le but de ceux qui les avoient entreprises a été constamment le mien; mais, en comparant tant d'apologues à ceux de notre fabuliste, il m'a été impossible de n'être pas frappé de plusieurs ressemblances entre les idées, les tournures et les expressions, qui m'ont fait penser que La Fontaine s'étoit adressé parfois à tel de ses prédécesseurs plutôt qu'à tel ou tel autre. Ces remarques se sont multipliées de jour en jour; j'en ai fait l'objet d'un travail particulier, et je me hasarde à publier ici d'une manière très-abrégée, et comme accessoire, la réunion de ces conjectures. Ce ne sont que des probabilités, et je ne les présente

que comme mes préjugés dans une question difficile à décider, et sur laquelle d'autres, avant moi, ont, avec plus ou moins de bonheur, offert des opinions souvent assez peu semblables aux miennes.

Avant de me livrer à cet examen, je commencerai par séparer les fables de La Fontaine en autant de parties qu'il y en eut de publiées du vivant de l'auteur, c'est-à-dire que je prendrai à part celles qui furent imprimées en 1668, 1671, 1678-79, et en 1693-94.

1668.

Cette première édition ne comprenoit que les six premiers livres des fables, et celles-ci sont au nombre de 124. On ne s'attend pas, je l'espère, à me voir justifier pour chacune d'elles les raisons qui me déterminent à leur attribuer l'origine que je vais indiquer; mais, en les réunissant en plusieurs groupes, on pourra raisonnablement admettre que toutes celles qui composent chacun d'eux reconnoissent une source commune, lorsque la plupart présenteront des signes évidents d'imitation. Ésope, Horace et Phèdre sont les trois anciens auteurs dont je crois devoir m'occuper en premier sous le rapport de ces recherches.

La Fontaine ne nous parle que d'Ésope dans cette première partie : dans la préface, il cite cependant et Phèdre et Avienus. Il seroit important de savoir quel est celui des recueils d'Apologues ésopiques auquel il a eu recours. Pour arriver à quelque probabilité sur ce point, voyons d'abord quels étoient ceux que l'on avoit alors, en commençant par écarter les collections trop rares ou rejetées à raison de leur vétusté, ou écrites en prose française, et, à plus forte raison, celles qui ne renferment que des fables grecques. Après ce premier retranchement, il nous restera la Mythologie ésopique de Nevelet1, les Narrations de Gilbert Gousin2 (Gilb.

1 Mythologia œsopica Isaaci Neveleti, etc. Francofurti, 1610. In-8°. Narrationum sylva, etc. Gilb. Cognati, etc. Basileæ, 1567. In-8°.

Cognatus), la grande collection de Cammer-Meister (Joach. Camerarius), et enfin la Vie et les Fables d'Esope imprimées à Paris, et que je désignerai par le titre d'ÉSOPE DE 1535. La Fontaine me semble avoir eu plus d'obligations à celui-ci, quoiqu'il ait eu parfois recours aux trois autres, comme nous le verrons par la suite. L'Ésope de 1535 lui offroit à la fois les versions latines de Laur. Valla, d'Adr. Barlaud, du chanoine Guillaume, de Remicius, avec les fables d'Avienus, et plusieurs autres d'Erasme, de Pline, de Gerbel, d'Aulu - Gelle, etc., éparses dans des recueils ou trop volumineux ou trop rares: il y trouvoit encore le premier Hecatomythium d'Abstemius, et le format de ce petit ouvrage, qui ne renferme pas moins de 460 apologues, le rend tellement portatif, que je ne puis m'empêcher de le placer dans la bibliothèque du Bon-Homme, qui n'a pas même dédaigné d'employer les réflexions qui accompagnent plusieurs des fables de ce petit recueil.

Je n'hésiterois donc pas à regarder comme empruntés par La Fontaine tous les sujets qu'il renferme et que l'on retrouve dans les six premiers livres de notre fabuliste, si Phèdre et Horace n'en réclamoient pas un certain nombre: ce n'est pas sans balancer que j'indique les quatre fables suivantes comme ayant leurs sources dans les satires et dans les épîtres du lyrique latin.

[blocks in formation]

Je crois reconnoître dans la première de celles-ci le dialogue qu'Horace emploie avec une égale vivacité : la seconde

Fabulæ æsopicæ plures quingentis, etc., studio et diligentia Joach. Camerarü, etc. Lipsiæ, 1564. In-8°.

2

Esopi Phrygii Vita et Fabulæ, etc. Parisiis, Ant. Bounemere, 1535. Très-petit in-8°.

p.

et la troisième ne sont pas dans Phèdre; le sanglier de celui-ci ne me semble pas, dans la quatrième, un personnage aussi convenable que le cerf employé par l'ami de Mécène.

Les emprunts faits à Phèdre sont plus considérables et moins équivoques. Les neuf premiers sujets, que je présente d'abord, ne se trouvent que dans le fabuliste latin.

LA FONT.

4. Les deux Mulets.

21. Les Frelons et les Mouches à miel.

23. Contre ceux qui ont le goût difficile.

25. Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe.

26. Les deux Taureaux et la Grenouille.

42. Testament expliqué par Ésope.

48. L'Aigle, la Laye et la Chatte. 77. Parole de Socrate.

PHEDRE.

38

52

65

10

30

63

35

48

99. Le Lièvre et la Perdrix,

J'aurois pu joindre aux précédentes ces cinq fables, dont La Fontaine n'a dù la première ni à Cicéron ni à Quintilien, et dont les quatre autres ne se trouvent point parmi celles de l'Esope de 1535.

[blocks in formation]

La lutte continuelle dans laquelle La Fontaine s'engage avec son modèle prouve assez qu'il doit encore à Phèdre les douze suivantes :

LA FONT.

5. Le Loup et le Chien.

6. La Génisse, la Chèvre et la Brebis, en société avec le

Lion.

7. La Besace.

10. Le Loup et l'Agneau.

PHÈDRE.

46

5

67

1

29. La Lice et sa Compagne.

19

[blocks in formation]

Dans les 13 fables qui vont suivre, les imitations sont moins marquées; mais on peut penser que notre auteur en a plutôt pris les sujets dans Phèdre que dans aucun autre de ses prédécesseurs.

LA FONT.

PHEDRE.

2. Le Renard et le Corbeau.

13

17. L'Homme entre deux âges et ses deux Maîtresses.

33

[blocks in formation]

98. Le Serpent et la Lime.

112. Le Cerf se voyant dans l'eau.

116. Le Villageois et le Serpent.

120. Le Chien qui lâche sa proie pour l'ombre.

65

12

75

Il ne me reste plus qu'à indiquer les autres fables que La Fontaine peut avoir prises dans l'Esope de 1535, et je dois rappeler encore que j'ai fait voir plus haut, que les fables de Guill. Haudent n'étoient qu'une traduction de celles du recueil qui nous occupe, et qu'elles n'avoient pu rester in

[blocks in formation]
« PreviousContinue »