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Il étoit une vieille ayant deux chambrières :
Elles filoient si bien, que les sœurs filandières
Ne faisoient que brouiller au prix de celles-ci.
La vieille n'avoit point de plus pressant souci
Que de distribuer aux servantes leur tâche.
Dès que Téthys chassoit Phébus aux crins dorés,
Tourets entroient en jeu, fuseaux étoient tirés,
De-çà, delà, vous en aurez :

Point de cesse, point de relâche.

Dès que l'Aurore, dis-je, en son char remontoit,
Un misérable coq à point nommé chantoit :
Aussitôt notre vieille, encor plus misérable,
S'affubloit d'un jupon crasseux et détestable,
Allumoit une lampe, et couroit droit au lit
Où, de tout leur pouvoir, de tout leur appétit,
Dormoient les deux pauvres servantes.

L'une entr'ouvroit un œil, l'autre étendoit un bras;
Et toutes deux, très-mal contentes,

Disoient entre leurs dents : Maudit coq! tu mourras!
Comme elles l'avoient dit, la bête fut grippée :
Le reveille-matin eut la gorge coupée.

Ce meurtre n'amenda nullement leur marché :
Notre couple, au contraire, à peine étoit couché,
Que la vieille, craignant de laisser passer l'heure,
Couroit comme un lutin par toute sa demeure.

C'est ainsi que, le plus souvent,

Quand on pense sortir d'une mauvaise affaire, On s'enfonce encor plus avant :

Témoin ce couple et son salaire.

La vieille, au lieu du coq, les fit tomber par-là De Charybde en Scylla.

GRECS. ES.-Cor., 79; II 79.

LATINS. J. Posth., 65; P. Cand., 55.

FRANÇAIS. Guill. Haud., 62; G. Corr., 66; Bens., 164.

ITALIENS. Ces. Pav., 135.

FABLE VII. - (89.)

Le Satyre et le Passant.

Au fond d'un antre sauvage
Un satyre et ses enfants
Alloient manger leur potage
Et prendre l'écuelle aux dents.

On les eût vus sur la mousse,
Lui, sa femme, et maint petit :
Ils n'avoient tapis ni housse,
Mais tous fort bon appétit.

Pour se sauver de la pluie,
Entre un passant morfondu.
Au brouet on le convie:
Il n'étoit pas attendu.

Son hôte n'eut pas la peine
De le semondre deux fois.
D'abord avec son haleine
Il se réchauffe les doigts:

Puis sur le mets qu'on lui donne,
Délicat, il souffle aussi.

Le satyre s'en étonne :

Notre hôte! à quoi bon ceci?

L'un refroidit mon potage,

L'autre réchauffe ma main.

Vous pouvez, dit le sauvage,
Reprendre votre chemin :

Ne plaise aux dieux que je couche
Avec vous sous même toit!

Arrière ceux dont la bouche

Souffle le chaud et le froid!

GRECS. ES.-Cor., 126; II 126.

LATINS. Av., 29; Anian.; Faern., 66; J. Posth., 109; Brus., 1.6, P. 428.

FRANÇAIS. Jul. Mach.-Av., 22; Guill. Haud., 22; Guill. Tard., 22 ; Est. Perr., 9; Baïf, fol. 131; P. Desp., 45; Bens., 202; Le Noble, 80. ITALIENS. Ces. Pav., 56; Verdizz., 14.

ESPAGNOLS. Ysopo-Av., 22.

ALLEMANDS. H. Steinh.-Av., 22.

HOLLANDAIS. Esopus-Av., 22.

FABLE VIII. (90.)

Le Cheval et le Loup.

Un certain loup, dans la saison Que les tièdes zéphyrs ont l'herbe rajeunie, que les animaux quittent tous la maison

Et

Pour s'en aller chercher leur vie;

Un loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l'hiver,
Aperçut un cheval qu'on avoit mis au vert.
Je laisse à penser quelle joie.

Bonne chasse, dit-il, qui l'auroit à son croc!
Eh! que n'es-tu mouton! car tu me serois hoc:
Au lieu qu'il faut ruser pour avoir cette proie.
Rusons donc. Ainsi dit, il vient à pas comptés,
Se dit écolier d'Hippocrate;

Qu'il connoît les vertus et les propriétés
De tous les simples de ces prés;

Qu'il sait guérir, sans qu'il se flatte, Toutes sortes de maux. Si don coursier vouloit

Ne point celer sa maladie,
Lui loup gratis le guériroit;
Car le voir en cette prairie

Paître ainsi sans être lié

Témoignoit quelque mal, selon la médecine.

J'ai, dit la bête chevaline,

Une apostume sous le pied.

Mon fils, dit le docteur, il n'est point de partie

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