économistes (1), il s'est rangé de leur côté, toutes les fois qu'ils avaient pour eux la raison et qu'ils marchaient dans le sens du progrès. Voyez, entre autres écrits, sa diatribe à l'auteur des Éphémérides (2), où, sous les formes les plus piquantes, il soutenait avec Turgot le principe de la libre circulation des grains, mais où il avait le tort, paraît-il, d'attribuer aux prêtres, dans les derniers troubles, un rôle qu'ils n'y avaient point eu. Ce fut du moins le motif qui fit supprimer cet écrit par un arrêt du Conseil du 19 août 1775. On conçoit l'admiration de Voltaire pour Turgot et pour les édits qui furent rendus sous son administration : J'appris, dit le personnage qu'il met en scène dans sa Diatribe à l'auteur des Éphémérides, j'appris qu'un ministre d'État, qui n'était ni conseiller ni prêtre, venait de faire publier un édit par lequel, malgré les préjugés les plus sacrés, il était permis à tout Périgourdin de vendre et d'acheter du blé en Auvergne, et tout Champenois pouvait manger du pain fait avec du blé de Picardie. >> Je vis dans mon canton une douzaine de laboureurs, mes frères, qui lisaient cet édit sous un de ces tilleuls qu'on appelle chez nous un rosni, parce que Rosni, duc de Sully, les avait plantés. » Comment donc! disait un vieillard plein de sens, il (1) Voyez L'homme aux quarante écus. y a (2) Journal d'économie politique, qui représentait particulièrement les intérêts de l'agriculture. soixante ans que je lis des édits; ils nous dépouillaient presque tous de la liberté naturelle en style inintelligible, et en voici un qui nous rend notre liberté, et j'en entends tous les mots sans peine. Voilà la première fois, chez nous, qu'un roi a raisonné avec son peuple; l'humanité tenait la plume, et le roi a signé. Cela donne envie de vivre je ne m'en souciais guère auparavant. » Turgot représentait, dans la politique, la philosophie, la liberté, non pas sans doute encore la liberté politique, mais la liberté du travail et de l'industrie, et déjà la liberté des cultes, qu'il réclamait, comme Voltaire, au nom de la raison d'État, du droit naturel et des vrais principes religieux (1); il travaillait ainsi à affranchir l'homme, et à lui rendre, avec sa liberté, sa dignité. Vous avez vu comment Voltaire lui témoigna son admiration dans son voyage à Paris, peu de jours avant sa mort. Cette admiration, il l'avait d'ailleurs exprimée sous toutes les formes, et elle lui avait inspiré de très-beaux vers. Dans l'Ode sur le passé et le présent (2), il s'écrie: Contemple la brillante aurore Qui t'annonce enfin les beaux jours: Até disparaît pour toujours. (1) Voyez le Mémoire sur la tolérance, adressé au roi au retour du sacre. (2) Juin 1775. Méconnaît les biens qu'il a faits! Il n'en peut supporter l'éclat. Ne recherchons point ses suffrages: On prétend que l'humaine race, Osa, dans son absurde audace, Qu'à la fin Dieu, dans sa colère, Se repentit de ses bienfaits. O vous que l'on voit de Dieu même Ne vous en repentez jamais. Rapprochez de cette ode l'Épitre a un homme, adressée à Turgot après sa disgrâce. Voltaire, a-t-on dit justement (1), était ici la voix de la postérité. (1) Henri Martin, Histoire de France, t. XVI, p. 381. Que dirai-je encore? Je n'ai dissimulé aucun des défauts de Voltaire, mais je me suis surtout efforcé de mettre en lumière l'esprit qui l'anime et qui fait sa grandeur: l'esprit d'humanité. Ce mot que j'ai tant de fois répété, à propos de Voltaire, je ne puis que le répéter encore en finissant: il résume toute sa philosophie. Il s'est fait, dans notre siècle, une violente réaction contre Voltaire. Mais prenez garde que cette réaction a bien moins sa cause dans les défauts et les excès de cet écrivain que dans l'esprit même du passé, auquel il a porté de si rudes coups et qui voudrait renaître. De là en particulier les fureurs de Joseph de Maistre. Je conçois ces colères : elles ne sont que trop naturelles; mais ce qui est plus surprenant et plus triste, c'est de voir Voltaire raillé par des écrivains dont les œuvres sont mille fois plus immorales et plus dangereuses que ses écrits les plus licencieux, parce qu'elles ont la prétention d'être sérieuses, et qui n'ont aucun souci des grandes idées qui relevaient et inspiraient ce philosophe. Plût à Dieu qu'ils eussent la moindre étincelle du feu sacré qui le consumait ! BARNI, I -- 20 TABLE DES. MATIÈRES PREMIÈRE LEÇON. INTRODUCTION. IDÉES MORALES ET POLITIQUES PROPRES AU XVIIIE SIÈCLE. Diverses manières de traiter l'histoire Histoire narrative, histoire philosophique, histoire des idées.- Que le xvme siècle est précisé- ment le siècle des idées. Les idées morales et politiques sont celles qui dominent à cette époque; elles se constituent à l'état de sciences indépendantes. Comment le XVIe siècle se distingue. à cet égard, du moyen âge et du xvi1o siècle. — Revue des princi- pales idées propres au XVIIIe siècle elles dérivent toutes du principe de l'humanité. Caractères du XVIIIe siècle : c'est le siècle philosophique par excellence, mais sa philosophie a été surtout pratique et militante; ses résultats ou ses efforts... -- ORGANES DES IDÉES MORALES ET POLITIQUES AU XVIIIE SIÈCLE. principaux écrivains et des principaux ouvrages qui ont aussi |