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pas, pour le fervice interieur des maifons, pour les voyages, ils paffoient une partie de leur vie dans les Places, dans les Temples, aux amphiteatres, fur un port, fous des portiques, & au milieu d'une ville dont ils étoient également les maîtres: Là le peuple s'aflembloit pour déliberer des affaires publiques, icy il s'entretenoit avec les Etrangers: ailleurs les Philofophes tantôt enfeignoient leur doctrine, tantôt conferoient avec leurs difciples: ces lieux étoient tout à la fois la fcene des plaifirs & des affaires; il y avoit dans ces mœurs quelque chofe de fimple & de populaire, & qui reflemble peu aux nôtres, je l'avoue; mais cependant quels hommes en general, que les Atheniens, & quelle ville, qu'Athenes! quelles loix ! quelle police! quelle valeur ! quelle difcipline! quelle perfection dans toutes les fciences & dans tous les arts ! mais quelle politeffe dans le commerce ordinaire & dans le langage! Theophrafte, le même Theophrafte dont l'on vient de dire de fi grandes chofes, ce parleur agreable, cet homme qui s'exprimoit divinement, fut reconnu étranger, & appellé de ce nom par une fimple femme de qui il achetoit des herbes au marché, & qui reconnut par je ne fçay quoy d'Attique qui luy manquoit, & que les Romains ont depuis appellé urbanité, qu'il

n'étoit pas Athenien: Et Ciceron rapporte, que ce grand perfonnage demeura étonné de voir, qu'ayant vieilli dans Athenes, poffedant fi parfaitement le langage Attique, & en ayant acquis l'accent par une habitude de tant d'années

il ne s'étoit pû donner ce que le fimple peuple avoit naturellement & fans nulle peine. Que fi l'on ne laifle pas de lire quelquefois dans ce traîté des Caracteres de certaines mœurs qu'on ne peut excufer, & qui nous paroiffent ridicules, il faut fe fouvenir qu'elles ont paru telles à Theophrafte, qu'il les a regardées comme des vices dont il a fait une peinture naïve qui fit honte aux Atheniens, & qui fervit à les corriger.

Enfin dans l'efprit de contenter ceux qui reçoivent froidement tout ce qui appartient aux Etrangers & aux Anciens,. & qui n'eftiment que leurs mœurs, on les ajoûte à cet ouvrage : l'on a crû pouvoir fe difpenfer de fuivre le projet de ce Philofophe, foit parce qu'il eft toûjours pernicieux de poursuivre le travail d'autruy, fur tout fi c'eft d'un Ancien ou d'un Auteur d'une grande reputation; foit encore parce que cette unique figure qu'on appelle description ou énumeration, employée avec tant de fuccez dans ces vingt-huit Chapitres des Caracteres, pourroit en avoir un beaucoup moindre, fi elle étoit

traitée par un genie fort inferieur à celuy de Theophrafte.

Au contraire fe reffouvenant que parmi le grand nombre des Traitez de ce Philofophe rapporté par Diogene Laërce, il s'en trouve un fous le titre de proverbes c'eft à dire de pieces détachées, comme des reflexions ou des remarques; que le premier & le plus grand Livre de Morale qui ait été fait, porte ce même nom dans les divines Ecritures; on s'eft trouvé excité par de fi grands modeles à fuivre felon fes forces une femblable maniere + d'écrire

+ L'on

t des mœurs; & l'on n'a point été détourné entend de fon entreprise par deux ouvrages de cette Morale qui font dans les mains de tout le maniere monde, & d'où faute d'attention, coupée par un efprit de critique quelques-uns lomon a pourroient penser que ces remarques font écrit fes imitées.

ου

dout Sa

Prover

nulle

de toute

L'un par l'engagement de fon Auteur bes, & fait fervir la Metaphyfique à la Religion, ment les fait connoître l'ame, fes paffions, fes vi- chofes ces, traite les grands & les ferieux motifs qui font pour conduire à la vertu, & veut rendre divines, l'homme Chrétien. L'autre qui eft la production d'un efprit inftruit par le commerce du monde, dont la délicateffe étoit raison. égale à la penetration, obfervant que l'amour propre cft dans l'homme la caufe de tous fes foibles, l'attaque fans relâche quelque part où il fe trouve, & cette unique

compa

pensée comme multipliée en mille manieres differentes, a toûjours par le choix des mots & par la varieté de l'expreffion, la grace de la nouveauté.

L'on ne fuit aucune de ces routes dans

l'ouvrage qui eft joint à la traduction des Caracteres, il est tout different des deux autres que je viens de toucher; moins fublime que le premier, & moins délicat que le fecond, il ne tend qu'à rendre l'homme raisonnable, mais par des voyes fimples & communes, & en l'examinant indifferemment, fans beaucoup de methode, & felon que les divers Chapitres y conduifent par les âges, les fexes & les conditions, & par les vices, les foibles, & le ridicule qui y font attachez.

L'on s'eft plus appliqué aux vices de l'efprit, aux replis du cœur, & à tout l'interieur de l'homme que n'a fait Theophrafte, & l'on peut dire que comme fes CaraEteres par mille chofes exterieures qu'ils font remarquer dans l'homme, par fes actions, fes paroles & fes démarches, apprennent quel eft fon fond, & font remonter jusques à la fource de fon déreglement; tout au contraire les nouveaux Caracteres déployant d'abord les pensées les fentimens & les mouvemens des hommes, découvrent le principe de leur malice & de leurs foibleffes, font que l'on prévoit aisément tout ce qu'ils font ca

pables de dire ou de faire, & qu'on ne s'étonne plus de mille actions vicieufes ou frivoles dont leur vie eft toute remplie.

Il faut avouer que fur les titres de ces deux ouvrages l'embarras s'eft trouvé prefque égal pour ceux qui partagent le dernier, s'ils ne plaisent point assez, l'on permet d'en fuppléer d'autres: Mais à l'égard des titres des Caracteres de Theophrafte, la même liberté n'eft pas accordée, parce qu'on n'eft point maître du bien d'autruy, il a fallu fuivre l'efprit de l'Auteur, & les traduire felon le fens le plus proche de la diction Grecque, & en même temps felon la plus exacte conformité avec leurs Chapitres, ce qui n'eft pas une chofe facile parce que fouvent la fignification d'un terme Grec traduit en François, mot pour mot, n'eft plus la même dans nôtre langue, par exemple, ironie eft chez nous une raillerie dans la conversation, ou une figure de Rhetorique, & chez Theophrafte c'eft quelque chofe entre la fourberie & la diffimulation, qui n'est pourtant ny l'un ny l'autre, mais précifement ce qui eft décrit dans le premier Chapitre.

Et d'ailleurs les Grecs ont quelquefois deux ou trois termes affez differens pour exprimer des chofes qui le font auffi, & que nous ne sçaurions gueres rendre que

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