Page images
PDF
EPUB

sur les bases établies par Tycho et auxquelles tu n'as rien changé. Cherche à persuader les ignorants; mais cesse de soutenir des absurdités devant ceux qui savent le fond des choses... Tu ne crains pas de comparer les travaux de Tycho au fumier des étables d'Augias et tu déclares te mettre, comme un nouvel Hercule, en mesure de les nettoyer; mais personne 1 s'y trompe et ne te préfère à notre grand astronome. Ton imprudence dégoute tous les gens sensés (I).

>>

Quelques notes écrites par Keppler à la marge de la lettre de Longomontanus, montrent le peu de cas qu'il faisait de ces reproches. Il répondit, avec calme et dignité à son ancien camarade :

<< Au moment où je recevais ton épître militante, lui dit-il, la paix était faite depuis longtemps avec le gendre de Tycho. Nous ressemblerions, en nous querellant, à des vaisseaux portugais et anglais qui se battraient dans l'Inde quand la paix serait déjà signée. Tu blâmes ma manière d'accuser et de réfuter. Je me rends, quoique je ne pense pas avoir mérité tes reproches. De toi, ami, il n'est pas de réprimande que je n'accepte. Je regrette que tu n'aies pu venir à Prague: je t'aurais expliqué mes théories et tu serais, j'espère, parti content. Tu me railles. Soit; rions ensemble. Mais pourquoi m'accuses-tu de comparer les travaux de Tycho au fumier des écuries d'Augias? Tu n'avais pas mes lettres sous les yeux, tu aurais vu qu'elles ne contenaient rien de semblable. Le nom d'Augias est resté seul dans ton esprit. Je ne déshonore pas mes travaux astronomiques par des injures... Adieu. Écris-moi le plus tôt possible pour que je puisse constater que ma lettre a changé tes disposifions à mon égard. »

Une grande énergie d'intelligence et de volonté se trouvait jointe chez Keppler à une constitution débile. L'âme soutenait le corps. Comme on le voit par la gravure qui accompagne la première page de cette notice, il avait le front large et élevé, de grands sourcils, le nez assez gros, la bouche moyenne, une barbe et des cheveux épais (2). Sa vue était faible: l"étoile

(1) Bertrand, Les fondateurs de l'astronomie moderne.

(2) La gravure placée en tête de cette notice est la reproduction d'un portrait de Keppler, que nous avons vu au séminaire protestant de Strasbourg. Ce portrait avait été envoyé par Keppler lui-même, à l'un de ses amis de Strasbourg, Mathias Berneccer. Conservé, depuis le dix-septième siècle, à la bibliothèque de l'Académie de Strasbourg, à laquelle il avait été donné par Berneccer, ce portrait est passé, de nos jours, au séminaire protestant (Faculté de théologie protestante) de la même ville. On le voit dans la salle des actes, avec un certain nombre de portraits d'autres théologiens célèbres, appartenant à la religion réformée. Le tableau porte cette inscription: Joannis Keppleri mathematici Cæsarei hanc imagin›m Argentoratensi Bi- \ bliothecæ conseer. Mathias Berneccerus Kal. Jannuar. Anno Christi MDXXVII (Mathias Berneccer a offert à la bibliothèque de Strasbourg ce portrait de Jean Keppler, mathématicien de l'empereur, au mois de janvier 1627).

Sirius, à cause du vif éclat dont elle est entourée, lui paraissait être d'un diamètre à peu près égal à celui de la lune. Son caractère était doux, affectueux, modeste, et peu susceptible avec ses amis. Dans sa correspondance, il semble ignorer la supériorité de ses talents. Fortement attaché à ses croyances religieuses, nul intérêt matériel ne put jamais l'entraîner à faire sur ce point la moindre concession, malgré les rudes épreuves qu'il eut souvent à subir. A Graetz, il aima mieux renoncer à sa place de professeur, que d'adopter un culte qui différait de celui de ses parents. Il fut toujours pauvre; mais le plaisir qu'il trouvait à méditer et à calculer était au-dessus de toutes les jouissances qu'il eût pu trouver dans les richesses. Il disait lui-même qu'il n'aurait pas cédé ses ouvrages pour l'électorat de Saxe. Il avait raison, ajoute Delambre; mais sa femme et ses enfants auraient beaucoup gagné à ce marché (1).

[ocr errors]

L'état de profonde misère où sa famille se trouva souvent réduite, dut lui causer de violents chagrins. Dans cette extrémité, il descendait des régions élevées où planait son génie, et cherchait, à la hâte, un travail, un emploi quelconque, qui pût le mettre à même procurer du pain à ses enfants. Nous voyons aujourd'hui Keppler tel qu'il a été, c'est-à-dire comme un des plus grands génies de son temps; mais ses contemporains étaient loin de l'apprécier à sa juste valeur, et d'avoir de lui une bien haute opinion. On jugeait de son mérite par sa position, qui ne fut jamais brillante, par sa mise et ses vêtements, qui n'annonçaient pas l'aisance. Le P. Riccioli, dans son Nouvel Almageste, et Longomontanus, dans la lettre dont nous avons précédemment cité quelques fragments, nous font connaltre l'opinion qu'on avait de Keppler dans le monde savant de cette époque. Pour les esprits vulgaires, Keppler n'était qu'un astrologue comme on en voyait tant au milieu des cours des petits souverains de l'Allemagne, un faiseur d'almanachs, un fils de sorcière. Parmi les savants, qui étaient ses amis, bien peu surent pressentir son génie. Galilée, bien qu'il aimât beaucoup l'astronome de Linz, n'avait que des paroles d'ironie pour la perpétuelle tendance de Keppler à chercher les rapports harmoniques des grandeurs et des mouvements que Dieu a réalisés

(1) Biographie universelle, de Michaud.

dans la fabrication des mondes. Placé à un point de vue tout à fait opposé à celui où se trouvait Keppler, Galilée rejetait sa méthode et ses théories. Malgré cela, Keppler y resta toujours attaché, et vingt-cinq ans après la première édition du Mysterium cosmographicum, lorsqu'il fit réimprimer cet ouvrage à la suite des Harmonices mundi, il n'y changea pas un mot. On voit seulement dans les notes qu'il y ajouta, et dans ses préfaces, qu'il est tout disposé à se passer des suffrages de ses contemporains.

On lui reproche d'avoir fait, moyennant salaire, des prédictions astrologiques. Mais il est bon d'ajouter que, presque toujours, il accompagnait ses horoscopes d'une sorte de protestation contre la crédulité de ses clients. Il leur disait, comme le devin Tiresias à Ulysse: « Quidquid dicam, aut erit, aut non. Ce que je dis arrivera ou n'arrivera pas. » Ce qui n'empêchait pas les amateurs de courir après des oracles si peu garantis.

46

Il est une page sublime de Keppler, c'est celle qui termine ses Harmonices mundi. Écoutez ces magnifiques accents, dignes d'être aussi immortels que ses découvertes :

• Depuis huit mois, j'ai vu le premier rayon de lumière; depuis trois mois, j'ai vu le jour; enfin, depuis peu de jours, j'ai vu le soleil de la plus admirable contemplation. Je me livre à mon enthousiasme, je veux braver les mortels, par cet aveu que j'ai dérobé les vases d'or des Égyptiens, pour en former à mon Dieu un tabernacle, loin des confins de l'Égypte. Si vous me pardonnez, je m'en réjouirai; si vous m'en faites un reproche, je le supporterai. Le sort en est jeté, j'écris mon livre; il sera lu par l'âge présent ou par la postérité, peu importe; il pourra attendre son lecteur : Dieu n'a-t-il pas attendu six mille ans un contemplateur de ses œuvres? >>

Ce lecteur, en effet, se fit longtemps attendre, mais enfin il parut. Il s'appelait Isaac Newton.

[graphic][merged small]
« PreviousContinue »