Page images
PDF
EPUB

par le cap Melier, la ville de Retimo, les bourgs de L'aphnèdes, de Damasta, et arriva enfin à la ville de Candie.

Cette place, qui fut autrefois le siége d'un commerce florissant, n'était plus alors qu'un lieu de garnison turque. Tournefort y entra peu de jours avant la fête du petit Baïram, c'est-à-dire la veille du retour des caravanes des pèlerins à la Mecque. C'est un jour de réjouissance pour les Musulmans. Les paysans vont par les rues, portant sur leurs épaules des moutons teints en rouge, bleu ou jaune, qu'ils vont offrir à leurs amis où à leurs parents. On égorge des moutons et des agneaux à la porte des principales maisons, pendant que les troupes se promènent en grand uniforme et musique en tête. Cette fête dure trois jours. Le 30 mai, jour de la Pentecôte, et premier jour du Baïram, est la plus grande fête des Musulmans.

« Ce jour-là, dit Tournefort, toute la ville était én émoi. Dans chaque maison, on dansait, on chantait, on buvait. Les familles allaient par les rues, au son des instruments, se rendre de mutuelles visites. Enfin, cette nation, si grave d'ordinaire, paraissait dans ses fêtes aussi folle que la nôtre (1). »

Obligé d'attendre la fin de ces fêtes, car pendant ces jours de réjouissance il n'aurait pu trouver aucun voiturier ni aucun guide, Tournefort ne put reprendre son voyage qu'à la fin du mois de mai. Il traversa une fertile vallée enclavée entre deux montagnes qui s'étagent en amphithéâtre.

Se trouvant loin de toute habitation, il fut forcé de demander l'hospitalité aux moines de Commeriaco. Il passa chez eux une fort mauvaise nuit, car ces religieux avaient converti leur couvent en une vaste magnanerie, ce qui forçait tout le monde à coucher en plein air.

Il fit ensuite l'ascension des hautes montagnes que l'on trouve au nord-ouest de Girapetra, et qui font partie de la chaîne du mont Ida.

Voulant mettre en lieu sûr les curiosités qu'il avait déjà recueillies, il revint à la Canée, et repartit le 28 juin, pour aller visiter le Labyrinthe, ainsi que les ruines de Gortyne, et faire l'ascension du mont Ida.

(1) Voyage dans le Levant.

La route qu'il suivit, le conduisit au couvent d'Arcadi. Tournefort fut reçu par le supérieur, avec lequel il échangea quelques doses d'émétique contre des outres pleines d'un excellent vin, dont regorgeaient les caves du couvent. Le supérieur lui donna deux religieux, pour lui servir de guides à travers les solitudes qui mènent au mont Ida.

Grand fut le désappointement de notre voyageur, lorsqu'après beaucoup de fatigues, arrivé auprès de cette montagne vantée, il ne trouva, au lieu de collines fleuries et pleines d'ombrage, qu'un sommet stérile et decharné. Cette excursion du mont Ida fut peu productive pour la botanique. Tournefort n'y rencontra qu'une espèce de Genièvre. Seulement, il put contempler à loisir le Tragacantha, arbre qui produit la Gomme adragante. La descente fut dangereuse, car les pentes étaient fort raides et bordées de précipices. Mais un contraste ravissant l'attendait sur le versant de la montagne. Au pied de ces collines arides, s'étendait une riche vallée, toute plantée d'oliviers et d'orangers, et qui se perdait insensiblement dans la plus belle et la plus fertile plaine de l'île de Candie.

De là, Tournefort se rendit au village de Novi-Castelli, qui n'est situé qu'à deux milles des ruines de Gortyne. On voyait dans ces ruines une des anciennes portes de la ville, dans un très-bon état de conservation et d'une architecture monumentale. Mais les sculptures, les bas-reliefs et les statues des temples d'Apollon et de Jupiter avaient été mutilés par les Turcs; car on sait que le fanatisme musulman ne peut tolérer que l'on représente la face humaine. Il existe, à peu de distance de ces ruines, un village, dont les maisons ont été bàties avec les basreliefs, les colonnes et tous les marbres des temples de l'ancienne cité de Gortyne.

Après avoir visité ces ruines, Tournefort voulut pénétrer dans le labyrinthe. C'est une galerie souterraine qui parcourt tout l'intérieur d'une colline du versant du mont Ida; elle est située à trois milles des ruines de Gortyne. L'orifice, trèsétroit et très-bas à son origine, s'élargit insensiblement, de manière à donner passage à deux ou trois personnes. Mais à mesure que l'on s'avance, on trouve l'allée principale, qui est très-siaueuse, bordée d'un nombre considérable de sentiers, qui conduisent le visiteur inexpérimenté dans une foule de culs

de-sac, dont il ne sait comment sortir. A l'extrémité du labyrinthe se trouvent deux grandes salles. D'après l'inspection des lieux, et se fondant sur l'existence, dans les environs, de grottes à peu près semblables, Tournefort conclut que ce labyrinthe n'est pas tout simplement, comme l'avait dit Bacon, une ancienne carrière de pierres, mais une grotte naturelle, que l'homme n'a fait que rendre plus praticable à certains endroits. Après cette excursion, Tournefort, ayant appris que l'on allait faire la récolte du labdanum, drogue médicamenteuse fort en usage de son temps, se rendit au village de Melidani. Malgré la défense, faite aux Grecs, de lui donner aucun renseignement à ce sujet, il parvint, à prix d'argent, à se faire montrer le procédé de préparation de cette substance, et â acheter même l'instrument qui sert à la recueillir. C'est une espèce de martinet, à lanières plates, avec lequel on fouette les feuilles de l'arbre; le laldanum se colle aux lanières, que l'on racle ensuite pour en retirer la substance.

Tournefort parcourut quelques villages de ce pays, recueillant toutes les plantes rares qu'il y rencontrait. Enfin, il traita avec le patron d'une barque qui se rendait à Nègrepont, et descendait à l'île de l'Argentière, que les Grecs nomment Chimolos.

C'est une petite île de dix-huit milles de circonférence, composée d'un village et d'un petit port. Le sol est presque stérile, car l'eau y manque totalement. On y trouve d'anciennes mines d'argent, abandonnées par les habitants, de crainte des exactions des Turcs. Cette ile était autrefois le rendezvous des corsaires qui venaient y dépenser en débauches le fruit de leurs rapines. C'est là que se trouvait la fameuse terre cimabuée, à laquelle les anciens attribuaient tant de vertus médicinales, et qui n'est qu'une espèce de carbonate de chaux, mélangé de matières argileuses.

Tournefort fit voile ensuite vers l'ile de Milo, située à une demi-lieue de l'Argentière, et l'une des îles les plus fertiles de l'archipel grec. Le sol est une roche volcanique; on y rencontre, à chaque pas, de petits cratères, d'où s'échappent des vapeurs sulfureuses. Le soufre, que l'on trouve en grande quantité dans le sol, constitue une des branches principales du commerce des Miliotes.

De là, Tournefort passa à Siphante. Cette île était célèbre dans l'antiquité par ses mines d'or et d'argent; mais on trouve à peine aujourd'hui des traces de ces métaux. Le minerai de plomb y est très-commun, car on le rencontre presqu'à fleur du sol. Tournefort raconte que plusieurs tentatives d'exploitation de ce minerai avaient été faites inutilement. Des marchands juifs, dit-il, vinrent de Constantinople, pour examiner ces minerais. Mais les habitants, craignant de voir les Turcs leur imposer des travaux supplémentaires pour l'exploitation de ces mines, corrompirent le capitaine de la galère qui ramenait les marchands, avec leur chargement de minerai; et celui-ci fit couler le bâtiment, avec sa cargaison. Les mêmes marchands juifs ayant entrepris, plus tard, une nouvelle expédition, ce fut cette fois un corsaire français qui se chargea de couler, à coups de canon, la galère qui revenait à Constantinople. Dès lors, ces tentatives du commerce ne furent plus renouvelées.

De Siphante, Tournefort se rendit à l'île d'Antiparos, dont Ja grotte fut de tout temps si célèbre.

L'ile d'Antiparos n'est qu'un rocher de seize milles de circonférence, habité ar 60 ou 70 familles turques. La grotte s'ouvre, à l'extérieur, par une caverne assez large; mais elle forme bientôt un couloir tellement bas que l'on est forcé de ramper sur le ventre pour pouvoir y pénétrer. Après avoir franchi, en marchant sur une échelle jetée en travers, un précipice affreux, on arrive dans un splendide palais souterrain. C'est une cavité longue de 150 mètres, haute de 40 et large de 50. La voûte, très-élevée, est ornée de festons calcaires affectant les formes les plus variées. On remarque au fond une espèce de pyramide, que l'on nomme l'autel depuis que le premier explorateur de cette grotte, M. de Nointel, ambassadeur de France, y fit célébrer la messe, en 1673. Cet autel est orné d'une multitude de pétrifications cristallines, en forme de fleurs, de troncs d'arbres et de feuilles. Toutes les parois de cette grotte sont revêtues d'aiguilles plus blanches que l'albâtre, et qui, par leurs cannelures élégantes, ressemblent à de riches draperies.

Après avoir parcouru dans toute son étendue, la grotte d'Antiparos, et noté toutes les merveilles qu'elle offrait à sa vue, Tournefort passa à l'ile de Paros. Il débarqua, le 2 septembre,

[graphic]

TOURNEFORT VISITE, DANS L'ARCHIPEL GREC, LA GROTTE D'ANTIPAROS

« PreviousContinue »