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Chassant devant lui l'autre bête,
Qui, voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita,
Revint sur l'eau, puis échappa:

Car, au bout de quelques nagées,
Tout son sel se fondit si bien

Que le baudet ne sentit rien

Sur ses épaules soulagées.

Camarade épongier prit exemple sur lui,

Comme un mouton qui va dessus la foi d'autrui.
Voilà mon âne à l'eau; jusqu'au col il se plonge,
Lui, le conducteur, et l'éponge.

Tous trois burent d'autant : l'ânier et le grison
Firent à l'éponge raison.

Celle-ci devint si pesante,

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,

Que l'âne succombant ne put gagner le bord.
L'ânier l'embrassait, dans l'attente

D'une prompte et certaine mort.

Quelqu'un vint au secours : qui ce fut, il n'importe;
C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point.

Agir chacun de même sorte.

J'en voulais venir à ce point.

XI. LE LION ET LE RAT.

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi;

Tant la chose en preuves abonde.

Entre les pattes d'un lion

Un rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.

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Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un lion d'un rat eût affaire?
Cependant il avint qu'au sortir des forêts
Ce lion fut pris dans des rets,

Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.

Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

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XII. LA COLOMBE ET LA FOURMI.

L'AUTRE exemple est tiré d'animaux plus petits.

Le long d'un clair ruisseau buvait une colombe,
Quand sur l'eau se penchant une fourmis y tombe;
Et dans cet océan l'on eût vu la fourmis

S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La colombe aussitôt usa de charité:

Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,

Ce fut un promontoire où la fourmis arrive.

Elle se sauve. Et là-dessus

Passe un certain croquant qui marchait les pieds nus:
Ce croquant, par hasard, avait une arbalète.

Dès qu'il voit l'oiseau de Vénus,

Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête,
La fourmis le pique au talon.

Le vilain retourne la tête :

La colombe l'entend, part, et tire de long.
Le souper du croquant avec elle s'envole:
Point de pigeon pour une obole.

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XIII. L'ASTROLOGUE QUI SE LAISSE TOMBER DANS UN PUITS.

UN astrologue un jour se laissa choir

Au fond d'un puits. On lui dit: Pauvre bête,
Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir,

Penses-tu lire au-dessus de ta tête?

Cette aventure en soi, sans aller plus avant,
Peut servir de leçon à la plupart des hommes.
Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,
Il en est peu qui fort souvent

Ne se plaisent d'entendre dire

Qu'au livre du Destin les mortels peuvent lire.
Mais ce livre, qu'Homère et les siens ont chanté,
Qu'est-ce, que le Hasard parmi l'antiquité,

Et parmi nous, la Providence?

Or, du hasard il n'est point de science;

S'il en était, on aurait tort

De l'appeler hasard, ni fortune, ni sort;
Toutes choses très-incertaines.

Quant aux volontés souveraines

De celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein,

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Qui les sait, que lui seul? Comment lire en son sein? 20 Aurait-il imprimé sur le front des étoiles

Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles?

A quelle utilité ? Pour exercer l'esprit

De ceux qui de la sphère et du globe ont écrit ?
Pour nous faire éviter des maux inévitables?
Nous rendre, dans les biens, de plaisirs incapables?
Et, causant du dégoût pour ces biens prévenus,
Les convertir en maux devant qu'ils soient venus?
C'est erreur, ou plutôt c'est crime de le croire.
Le firmament se meut, les astres font leur cours,
Le soleil nous luit tous les jours,

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Tous les jours sa clarté succède à l'ombre noire,

Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d'éclairer,
D'amener les saisons, de mûrir les semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l'univers ?

Charlatans, faiseurs d'horoscope,

Quittez les cours des princes de l'Europe:
Emmenez avec vous les souffleurs tout d'un temps;
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m'emporte un peu trop: revenons à l'histoire
De ce spéculateur qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,
C'est l'image de ceux qui bâillent aux chimères,
Cependant qu'ils sont en danger,

Soit pour eux, soit pour leurs affaires.

XIV. LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES.

UN lièvre en son gîte songeait,

(Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?) Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait :

Cet animal est triste, et la crainte le ronge.

Les gens de naturel peureux

Sont, disait-il, bien malheureux !

Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite:
Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis: cette crainte maudite
M'empêche de dormir sinon les yeux ouverts.
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.

Eh! la peur se corrige-t-elle ?
Je crois même qu'en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi.
Ainsi raisonnait notre lièvre,

Et cependant faisait le guet,

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Il était douteux, inquiet :

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre. Le mélancolique animal,

En rêvant à cette matière,

Entend un léger bruit: ce lui fut un signal
Pour s'enfuir devers sa tanière.

Il s'en alla passer sur le bord d'un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes ;
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.
Oh! dit-il, j'en fais faire autant

Qu'on m'en fait faire ! Ma présence

Effraie aussi les gens! je mets l'alarme au camp!
Et d'où me vient cette vaillance?

Comment! des animaux qui tremblent devant moi!
Je suis donc un foudre de guerre !

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre
Qui ne puisse trouver un plus poltron que

soi.

XV. LE COQ ET LE RENARD. SUR la branche d'un arbre était en sentinelle Un vieux coq adroit et matois.

Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,

Nous ne sommes plus en querelle:

Paix générale cette fois.

Je viens te l'annoncer; descends, que je t'embrasse:

Ne me retarde point, de grâce:

Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer,

Sans nulle crainte, à vos affaires;
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir,
Et cependant viens recevoir
Le baiser d'amour fraternelle.

Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais

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Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle

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