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Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait si bien qu'on lui donne
Liberté de se retirer.

Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer

Chez une autre belette aux oiseaux ennemie.

La voilà derechef en danger de sa vie.
La dame du logis avec son long museau

S'en allait la croquer en qualité d'oiseau,
Quand elle protesta qu'on lui faisit outrage:
Moi, pour telle passer! Vous n'y regardez pas.
Qui fait l'oiseau? c'est le plumage.
Je suis souris vivent les rats!
Jupiter confonde les chats!
Par cette adroite repartie

Elle sauva deux fois sa vie.

Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeants,
Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue.
Le sage dit, selon les gens:
Vive le roi! vive la ligue!

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VI. L'OISEAU BLESSÉ D'UNE FLÈCHE.

MORTELLEMENT atteint d'une flèche empennée,
Un oiseau déplorait sa triste destinée,

Et disait, en souffrant un surcroît de douleur :
Faut-il contribuer à son propre malheur !

Cruels humains! vous tirez de nos ailes
De quoi faire voler ces machines mortelles !
Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié:
Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre.
Des enfants de Fapet toujours une moitié
Fournira des armes à l'autre.

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VII. LA LICE ET SA COMPAGNE.

UNE lice étant sur son terme,

Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant,
Fait si bien qu'à la fin sa compagne consent
De lui prêter sa hutte, où la lice s'enferme.
Au bout de quelque temps sa compagne revient.
La lice lui demande encore une quinzaine :
Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu'à peine.
Pour faire court, elle l'obtient.

Ce second terme échu, l'autre lui redemande
Sa maison, sa chambre, son lit.

La lice cette fois montre les dents, et dit:

Je suis prête à sortir avec toute ma bande

Si vous pouvez nous mettre hors.

Ses enfants étaient déjà forts.

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Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette: 15
Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête

Il faut que l'on en vienne aux coups;
Il faut plaider; il faut combattre.
Laissez-leur prendre un pied chez vous
Ils en auront bientôt pris quatre.

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VIII. L'AIGLE ET L'ESCARBOT.

L'AIGLE donnait la chasse à maître Jean lapin,
Qui droit à son terrier s'enfuyait au plus vite.
Le trou de l'escarbot se rencontre en chemin.
Je laisse à penser si ce gîte

Était sûr: mais où mieux? Jean lapin s'y blottit.
L'aigle fondant sur lui nonobstant cet asile,
L'escarbot intercède, et dit:

Princesse des oiseaux, il vous est fort facile

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D'enlever malgré moi ce pauvre malheureux :
Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie;
Et puisque Jean lapin vous demande la vie,
Donnez-la-lui, de grâce, ou l'ôtez à tous deux :
C'est mon voisin, c'est mon compère.
L'oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,
Choque de l'aile l'escarbot,

L'étourdit, l'oblige à se taire,

Enlève Jean lapin. L'escarbot indigné

Vole au nid de l'oiseau, fracasse, en son absence,
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance :
Pas un seul ne fut épargné.

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L'aigle étant de retour, et voyant ce ménage,
Remplit le ciel de cris; et, pour comble de rage,
Ne sait sur qui venger le tort qu'elle a souffert.
Elle gémit en vain; sa plainte au vent se perd.
Il fallut pour cet an vivre en mère affligée.
L'an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut.
L'escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut :
La mort de Jean lapin derechef est vengée.
Ce second deuil fut tel, que l'écho de ces bois
N'en dormit de plus de six mois.
L'oiseau qui porte Ganymède

Du monarque des dieux enfin implore l'aide,

Dépose en son giron ses œufs, et croit qu'en paix

Ils seront dans ce lieu; que, pour ses intérêts,
Jupiter se verra contraint de les défendre:

Hardi qui les irait là prendre.
Aussi ne les y prit-on pas.

Leur ennemi changea de note,

Sur la robe du dieu fit tomber une crotte:

Le dieu la secouant jeta les œufs à bas.

Quand l'aigle sut l'inadvertance,

Elle menaça Jupiter

D'abandonner sa cour, d'aller vivre au désert:

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Avec mainte autre extravagance.
Le pauvre Jupiter se tut.

Devant son tribunal l'escarbot comparut,

Fit sa plainte, et conta l'affaire.

On fit entendre à l'aigle, enfin, qu'elle avait tort.
Mais, les deux ennemis ne voulant point d'accord,
Le monarque des dieux s'avisa, pour bien faire,
De transporter le temps où l'aigle fait l'amour
En une autre saison, quand la race escarbote
Est en quartier d'hiver, et, comme la marmotte,
Se cache et ne voit point le jour.

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IX. LE LION ET LE MOUCHERON.

VA-T'EN, chétif insecte, excrément de la terre!
C'est en ces mots que le lion
Parlait un jour au moucheron.

L'autre lui déclara la guerre.

Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi

Me fasse peur ni me soucie?

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Le quadrupède écume, et son œil étincelle;
Il rugit. On se cache, on tremble à l'environ;
Et cette alarme universelle

Est l'ouvrage d'un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle;
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,

Tantôt entre au fond du naseau.

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La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,

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Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,

Bat l'air, qui n'en peut mais; et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat: le voilà sur les dents.
L'insecte du combat se retire avec gloire:

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Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée;

Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée?
F'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

X. L'ANE CHARGÉ D'ÉPONGES, ET L'ANE
CHARGÉ DE SEL.

UN ânier, son sceptre à la main,

Menait, en empereur romain,

Deux coursiers à longues oreilles.

L'un, d'éponges chargé, marchait comme un courrier;

Et l'autre, se faisant prier,

Portait, comme on dit, les bouteilles :

Sa charge était de sel. Nos gaillards pèlerins,
Par monts, par vaux, et par chemins,

Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent,

Et fort empêchés se trouvèrent.

L'ânier, qui tous les jours traversait ce gué-là,
Sur l'âne à l'éponge monta,

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