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Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal:
Jamais le corps de l'animal

Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.
Je rêvais à cette aventure

Quand un autre dragon, qui n'avait qu'un seul chef,
Et bien plus d'une queue, à passer se présente.
Me voilà saisi derechef

D'étonnement et d'épouvante.

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Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi : 25 Rien ne les empêcha, l'un fit chemin à l'autre.

Je soutiens qu'il en est ainsi

De votre empereur et du nôtre.

XIII. LES VOLEURS ET L'ANE.

POUR un âne enlevé deux voleurs se battaient :
L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre.
Tandis que coups de poing trottaient,
Et que nos champions songeaient à se défendre,
Arrive un troisième larron

Qui saisit maître aliboron.

L'âne, c'est quelquefois une pauvre province :
Les voleurs sont tel et tel prince,

Comme le Transilvain, le Turc, et le Hongrois.
Au lieu de deux, j'en ai rencontré trois :

Il est assez de cette marchandise.

De nul d'eux n'est souvent la province conquise:
Un quart voleur survient, qui les accorde net
En se saisissant du baudet.

XIV. SIMONIDE PRÉSERVÉ par les dieux.
On ne peut trop louer trois sortes de personnes:
Les dieux, sa maîtresse, et son roi.

Malherbe le disait : j'y souscris, quant à moi;
Ce sont maximes toujours bonnes.

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La louange chatouille et gagne les esprits:
Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix.
Voyons comme les dieux l'ont quelquefois payée.

Simonide avait entrepris

L'éloge d'un athlète; et, la chose essayée,

Il trouva son sujet plein de récits tout nus.
Les parents de l'athlète étaient gens inconnus;
Son père, un bon bourgeois; lui, sans autre mérite:
Matière infertile et petite.

Le poëte d'abord parla de son héros.

Après en avoir dit ce qu'il en pouvait dire,
Il se jette à côté, se met sur le propos

De Castor et Pollux; ne manque pas d'écrire
Que leur exemple était aux lutteurs glorieux;
Elève leurs combats, spécifiant les lieux
Où ces frères s'étaient signalés davantage :
Enfin l'éloge de ces dieux

Faisait les deux tiers de l'ouvrage.
L'athlète avait promis d'en payer un talent:

Mais, quand il le vit, le galant

N'en donna que le tiers; et dit, fort franchement,

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Que Castor et Pollux acquittassent le reste.

Faites-vous contenter par ce couple céleste.

Je vous veux traiter cependant:

Venez souper chez moi; nous ferons bonne vie.
Les conviés sont gens choisis,

Mes parents, mes meilleurs amis;

Soyez donc de la compagnie.

Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.
Il vient: l'on festine, l'on mange.
Chacun étant en belle humeur,

Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte

Deux hommes demandaient à le voir promptement.

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Il sort de table; et la cohorte

N'en perd pas un seul coup de dent.

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Ces deux hommes étaient les gémeaux de l'éloge.
Tous deux lui rendent grâce; et, pour prix de ses vers,
Ils l'avertissent qu'il déloge,

Et que cette maison va tomber à l'envers.

La prédiction en fut vraie.

Un pilier manque; et le plafond,

Ne trouvant plus rien qui l'étaie,

Tombe sur le festin, brise plats et flacons,

N'en fait pas moins aux échansons.

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Ce ne fut pas le pis: car, pour rendre complète
La vengeance due au poëte,

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Une poutre cassa les jambes à l'athlète,

Et renvoya les conviés

Pour la plupart estropiés.

La renommée eut soin de publier l'affaire :

Chacun cria, Miracle! On doubla le salaire

Que méritaient les vers d'un homme aimé des dieux.

Il n'était fils de bonne mère

Qui, les payant à qui mieux mieux,

Pour ses ancêtres n'en fît faire.

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Je reviens à mon texte: et dis premièrement

Qu'on ne saurait manquer de louer largement

Les dieux et leurs pareils; de plus, que Melpomène

Souvent, sans déroger, trafique de sa peine;

Enfin, qu'on doit tenir notre art en quelque prix.

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Les grands se font honneur dès lors qu'ils nous font grâce:

Fadis l'Olympe et le Parnasse

Étaient frères et bons amis.

XV. LA MORT ET LE MALHEUREUX.

UN malheureux appelait tous les jours

La Mort à son secours.

O Mort! lui disait-il, que tu me sembles belle!
Viens vite! viens finir ma fortune cruelle!
La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je? cria-t-il : ôtez moi cet objet !

Qu'il est hideux! que sa rencontre

Me cause d'horreur et d'effroi!

N'approche pas, ô Mort! ô Mort, retire-toi!

Mécénas fut un galant homme;

Il a dit quelque part: Qu'on me rende impotent, Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme Je vive, c'est assez, je suis plus que content.

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Ne viens jamais, ô Mort! on t'en dit tout autant. 15

Ce sujet a été traité d'une autre façon par Ésope, comme la fable suivante le fera voir. Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignait de rendre la chose ainsi générale. Mais quelqu'un me fit connaître que j'eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et que je laissais passer un des plus beaux traits qui fût dans Ésope. Cela m'obligea d'y avoir recours. Nous ne saurions aller plus avant que les anciens: ils ne nous ont laissé pour notre part que la gloire de les bien suivre. Je joins toutefois ma fable à celle d'Esope, non que la mienne le mérite, mais à cause du mot de Mécénas que j'y fais entrer, et qui est si beau et si à propos que je n'ai pas cru le devoir

omettre.

XVI. LA MORT ET LE BÛCHERON.
UN pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?

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Point de pain quelquefois, et jamais de repos :
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.
Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes;
PLUTÔT SOUFFRIR QUE MOURIR,
C'est la devise des hommes.

XVII. L'HOMME ENTRE DEUX ÂGES, ET SES
DEUX MAÎTRESSES.

UN homme de moyen âge,
Et tirant sur le grison,
Jugea qu'il était saison

De songer au mariage.

Il avait du comptant,
Et partant

De quoi choisir; toutes voulaient lui plaire:
En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant;
Bien adresser n'est pas petite affaire.

Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part:
L'une encor verte; et l'autre un peu bien mûre,
Mais qui réparait par son art

Ce qu'avait détruit la nature.
Ces deux veuves, en badinant,

En riant, en lui faisant fête,
L'allaient quelquefois têtonnant,

C'est-à-dire ajustant sa tête.

La vieille, à tous moments, de sa part emportait
Un peu du poil noir qui restait,

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