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Il arriva qu'au temps que la chanvre se sème,
Elle vit un manant en couvrir maints sillons.
Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons,

Je vous plains; car, pour moi, dans ce péril extrême, 10
Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine?
Un jour viendra, qui n'est pas loin,

Que ce qu'elle répand sera votre ruine.
De là naîtront engins à vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper,
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison
Votre mort ou votre prison:

Gare la cage ou le chaudron!
C'est pourquoi, leur dit l'hirondelle,
Mangez ce grain; et croyez-moi.
Les oiseaux se moquèrent d'elle :

Ils trouvaient aux champs trop de quoi.
Quand la chenevière fut verte,

L'hirondelle leur dit: Arrachez brin à brin
Ce qu'a produit ce maudit grain,
Ou soyez sûrs de votre perte.

Prophète de malheur! babillarde! dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes!

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Il nous faudrait mille personnes

Pour éplucher tout ce canton.

La chanvre étant tout à fait crue,

L'hirondelle ajouta: Ceci ne va pas bien;

Mauvaise graine est tôt venue.

Mais, puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu'à leurs blés
Les gens n'étant plus occupés
Feront aux oisillons la guerre ;
Quand reginglettes et réseaux

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Attraperont petits oiseaux,

Ne volez plus de place en place,

Demeurez au logis, ou changez de climat :
Imitez le canard, la grue, et la bécasse.

Mais vous n'êtes pas en état

De passer, comme nous, les déserts et les ondes,
Ni d'aller chercher d'autres mondes:

C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr;
C'est de vous renfermer au trou de quelque mur.

Les oisillons, las de l'entendre,

Se mirent à jaser aussi confusément

Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre Ouvrait la bouche seulement.

Il en prit aux uns comme aux autres :

Maint oisillon se vit esclave retenu.

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Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres, Et ne croyons le mal que quand il est venu.

IX. LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS.

AUTREFOIS le rat de ville

Invita le rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'ortolans.

Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête;
Rien ne manquait au festin :
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train.

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ΙΟ

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La raison du plus fort est toujours la meilleure:
Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure.

Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.

Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage:

Tu seras châtié de ta témérité.

Sire, répond l'agneau, que votre majesté
Ne se mette pas en colère;
Mais plutôt qu'elle considère

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Que je me vas désaltérant

Dans le courant

Plus de vingt pas au-dessous d'elle;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.

Tu la troubles! reprit cette bête cruelle;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né?

Reprit l'agneau, je tette encor ma mère.—
Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.—

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Je n'en ai point.-C'est donc quelqu'un des tiens;
Car vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos bergers, et vos chiens.

On me l'a dit: il faut que je me venge.

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POUR M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD.

UN homme qui s'aimait sans avoir de rivaux

Passait dans son esprit pour le plus beau du monde :
Il accusait toujours les miroirs d'être faux,

Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux

Présentait partout à ses yeux

Les conseillers muets dont se servent nos dames :
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galants,

Miroirs aux ceintures des femmes.

Que fait notre Narcisse? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,

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Se trouve en ces lieux écartés :

Il s'y voit, il se fâche; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.

Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau.
Mais quoi? le canal est si beau

Qu'il ne le quitte qu'avec peine.

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On voit bien où je veux venir.

Je parle à tous; et cette erreur extrême

Est un mal que chacun se plaît d'entretenir.
Notre âme, c'est cet homme amoureux de lui-même :
Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui,
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes;
Et quant au canal, c'est celui

Que chacun sait, le livre des Maximes.

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XII. LE DRAGON A PLUSIEURS TÊTES, ET LE DRAGON A PLUSIEURS QUEUES.

UN envoyé du grand-seigneur

Préférait, dit l'histoire, un jour chez l'empereur,
Les forces de son maître à celles de l'empire.
Un Allemand se mit à dire :

Notre prince a des dépendants

Qui, de leur chef, sont si puissants

Que chacun d'eux pourrait soudoyer une armée.
Le chiaoux, homme de sens,

Lui dit: Je sais par renommée

Ce que chaque électeur peut de monde fournir;
Et cela me fait souvenir

D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.
J'étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer

Les cent têtes d'une hydre au travers d'une haie.
Mon sang commence à se glacer;

Et je crois qu'à moins on s'effraie.

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