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temps pourront fixer les regards de Dieu !

On a souvent et beaucoup parlé de la semaine sainte à Rome; il y aurait un tableau non moins imposant, et peut-être plus instructif, à tracer de la semaine sainte à Paris. Que dans la capitale du monde catholique, au siége séculaire de la Papauté, l'immortel souvenir de la passion du Sauveur soit entouré de pompe et d'éclat, c'est un fait simple et naturel. Mais quelle signification n'acquièrent pas les témoignages de foi donnés en ces mêmes jours au sein de la capitale du monde profane, de la ville éblouissante qui a mérité le triste surnom de Babylone moderne! Combien les milliers d'hommes, savants, magistrats, professeurs, lettrés, hommes de plume et d'épée, jeunes gens, peuple et aristocratie, groupés autour du P. Félix, et, le matin de Pâques, recevant de ses mains émues la consolation et la force; combien la foule attirée à Saint-Roch par un disciple de Lacordaire, à la Madeleine par un autre éloquent dominicain; combien cette multitude recueillie qui remplit les sanctuaires des quartiers laborieux, Saint-Merry, Saint-Paul, SaintEustache, Saint-Laurent; combien ces ouvriers en blouse, ces patrons, ces pauvres et ces riches qui viennent, le vendredi saint, écouter le drame sublime du Calvaire et poser leurs lèvres sur la Croix; combien ces manifestations naïves et populaires du dimanche des Rameaux qui nous montrent la palme de buis attachée, comme un signe protecteur, à toutes les voitures qui sillonnent la cité; combien ces incidents et ces détails touchent et saisissent plus le cœur que l'empressement des cent mille touristes qui vont à Rome contempler un spectacle! Là-bas, c'est la curiosité

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N'était-on pas, il y a quelques jours, tenté de se croire à la veille même de cette belle réconciliation du Protestantisme avec le Catholicisme, en entendant, sous la coupoleen fête du Palais-Mazarin, la voix magistrale du plus illustre des fils de Calvin parmi nous défendre la papauté, et rendre à cette institution sacrée le plus loyal et le plus éloquent hommage? Tout le mondea lu le discours de M. Guizot et ce passage plein de grandeur où l'éminent philosophe qui a médité cinquante ans sur l'histoire de la civilisation parle si magnifiquement du siége immuable de Pierre et des tombeaux des martyrs; mais qui pourrait traduire le geste énergique et l'accent profond qui donnaient à ce magnifique langage tout son caractère et toute sa portée ?

Et après cet impartial témoignage d'une haute raison, n'auraiton pu s'imaginer encore entendre un coreligionnaire à l'émouvant récit des derniers jours d'Ampère, mort dans la foi chrétienne, mais non consolé, comme on l'a dit par erreur, par la voix suave et pénétrante de ce charmant et sympathique abbé Perreyve, mort luimême un an plus tard à Paris, après un séjour de quelques mois près des mêmes amis qui avaient consolé les derniers moments d'Ampère.

La distance n'est pas aussi longue qu'on pourrait le supposer au premier coup d'oeil de la nuit au jour et de l'erreur à la vérité. La lu

mière se fait peu à peu dans les âmes, une aube heureuse et souriante semble se lever à l'horizon intellectuel, les derniers nuages commencent à fuir avec les derniers préjugés, et peut-être avant la fin du siècle un grand embrassement réjouira-t-il le monde !

En Angleterre, d'incessantes et précieuses conquêtes nous rapprochent de cette solution rêvée, et les journaux britanniques nous apprenaient hier le retour d'un des docteurs les plus distingués de l'université d'Oxford, le révérend Philippe Gurdon, qui vient d'abjurer l'anglicanisme avec sa femme et ses quatre enfants. Il a fait sa première communion dans l'église de l'Oratoire de Londres, et, touchant détail! il a reçu l'hostie sainte des mains de son frère aîné, qui l'avait précédé dans la foi ca tholique et qui est prêtre de la congrégation de Saint-Philippe de Néri!

Enfin, une circonstance solennelle a mis tout récemment en lu mière le sentiment des Américains à l'égard de la Papauté, et l'on demeure frappé du ton de respect et d'admiration sympathique qui éclate dans le langage des compatriotes de Washington. C'est à Rome que la scène s'est passé pour la célébration d'un anniversaire justement cher à tous les citoyens amértcains, celui de la naissance du fondateur de leur liberté. Tous les enfants des Etats-Unis présents à Rome se sont assemblés pour fêter cette date mémorable, et on ne saurait lire sans une satisfaction particulière et sans une secrète espérance le discours du président, portant la santé du Saint-Père. Qu'on écoute ces paroles éloquentes, dignes d'être méditées:

"Nous n'avons à nous mêler ici ni de foi religieuse ni d'opinions

politiques; nous envisageons les choses comme elles sont. Dans cette cité merveilleuse où nous trouvons tant à admirer, où des ruines et des monuments gigantesques nous entourent, je regarde avec émotion cette figure si calme et si majestueuse assise sur le siége pontifical, ce siége des longs âges, qui subsiste tandis que tant d'empires s'écroulent et que tant de dynasties disparaissent.

"Tranquille, austère, sublime et plein de confiance quand autour de lui tout est confusion, le Saint-Père va droit son chemin. Avec peu d'argent et quelques hommes armés, il maintient le grand dépôt qui lui a été confié. S'appuyant sur son Dieu, il reste ferme et croyant, advienne que pourra!

"Nous avons tous lu dans notre jeunesse ce que l'on rapporte de ces nobles sénateurs de la vieille Rome, qui, lorsque les Barbares eurent donné l'assaut à la Ville éternelle, restèrent assis avec une dignité calme sur leurs chaises curules, au milieu du Forum, prêts à faire le sacrifice de leur vie, si besoin était, mais non pas à abandonner leur poste.

"Plus sublime encore nous semble l'attitude du saint vieillard qui occupe actuellement le siége pontifical, et qui, ne prenant conseil que de son devoir et de sa foi, demeure ferme et sans trouble au milieu de la tempête grondant autour de lui. Quelles que soient les différences d'opinion, il est impossible de ne

pas admirer la grandeur de ce caractère fidèle au devoir et à la conscience."

Ces nobles paroles auront un écho de l'autre côté de l'Atlantique, et il est permis d'espérer qu'elles ne seront pas perdues pour l'avenir.

-Revue d'Economie Chrétienne.

VALENTINE.

NOUVELLE.

(Voir page 10.)

TROISIÈME PARTIE.

I

Paul arriva dans sa ville natale le matin, à l'improviste, sans avoir annoncé son retour. La première personne qu'il vit en rentrant chez lui fut son père. qui lui teudit la main par un mouvement affectueux et spontané.

-Tu as eu raison de nous revenir, dit M. de la Fosse; ta mère va être bien heureuse. Viens vite l'embrasser.

n'avait pas observé les ravages produits sur son fils par le séjour de Paris. Il fit son possible pour rassurer sa femme par une contenance calme, souriante.

-Eh bien ?... reprit madame de la Fosse sans oser questionner directement.

-Ah! ma mère, s'écria Paul qui ressentait déjà la bienfaisante influence du toit paternel, que je suis heureux d'être de retour!

C'était, en même temps, un moyen d'éluder les explications. Il ne pouvait guère en donner. Pendant un instant, il resta pensif, accablé. Il se demandait s'il devait raconter à son père la catastrophe

Dès que madame de la Fosse l'aperçut, elle poussa un cri de joie. -Paul! dit-elle; mon cher de M. du Chantenet? Mais c'eût

Paul!

Puis, après une longue et douce étreinte, elle ajouta :

-Ah! comme il est... fatigué! Ellt eut sur les lèvres un autre mot, et l'explosion de sa tendresse fut comme étouffée par cette triste révélation. Mais madame de la Fosse s'efforça de ne rien laisser paraître de ce qu'elle éprouvait. D'un regard rapide elle interrogea son mari. Elle semblait lui dire: -Mes yeux me trompent-ils ? As-tu remarqué combien Paul est changé ?

Le colonel comprit ce coup d'œil. Dans son empressement à conduire Paul près de sa mère, il

été aussi raconter à son père la sienne. Il résolut d'attendre, d'écrire à Paris pour avoir des nouvelles du baron et de ses filles. En songeant à tout ce qu'il laissait derrière lui de larmes, de sang, de honte et d'illusions perdues, Paul laissa échapper du fond de sa poitrine un profond soupir de tristesse et de découragement.

-Tu es bien fatigué, Panl! dit M. de la Fosse qui jugea préférable, à cause de sa femme, d'interpréter ainsi ce grand soupir.

-Oh! oui, mon père, répondit Paul; bien fatigué!

Et madame de la Fosse répétait tous bas :

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-Pauvre enfant! comme il est changé !

Il est bien rare, en effet, qu'on puisse tenter des entreprises pareilles et demeurer frais et rose. Généralement, et à part quelques exceptions, la Bourse n'embellit pas ceux qui passent par les engrenages de cette terrible machine. Paul était aminci et amaigri comme s'il eût été pressé et étiré par un laminoir. Sa peau était légèrement jaunie. Des rides sillonnaient son front si uni et si blanc auparavant. Sa bouche pincée, pâle, avait une expression de souffrance pénible à voir. Ses yeux étaient caves, et leur flamme brillait par intermittences comme une dernière lueur sur un incendie éteint. Trèssoigné d'habitude dans sa mise, ses vêtements et son linge portaient à présent des traces d'incurie que la poussière du voyage accusait encore plus fortement, sans la justifier. Aussi abattu d'âme que peu soigné de corps, on voyait que Paul n'avait plus grand souci ni de lui-même ni des autres. Il se laissait aller, comme ces épaves que le courant emporte; sur les ondes de sa destinée, sa volonté devenait impuissante à le diriger. Son père et sa mère ne lui demandèrent plus s'il avait réussi, s'il était content de son voyage, toute sa personne disait assez que non. Il ne voulut ni boire, ni manger, ni dormir. Il ne témoigna qu'un seul désir aller immédiatement au Fayan.

-Ah! je comprends, dit madame de la Fosse avec un doux et indulgent sourire. Valentine...

-Valentine! interrompit Paul comme si on eût réveillé sa douleur en sursaut.

Puis il ajouta:

-Elle est au Breuil? Elle se

porte bien ?

A Paris, dans les plus folles angoisses de la lutte, la jeune fille avait toujours plané au-dessus de lui comme un astre tutélaire. Mais à présent qu'il était revenu près d'elle il lui semblait qu'il n'avait pas diminué mais augmenté la distance. Valentine n'était plus pour lui qu'une de ces froides étoiles qui brillent dans des lointains infinis, et dont on n'espère plus se rapprocher. Il n'avait plus qu'un but, le but des malheureux qui ont eu la faiblesse de mêler l'ivresse à la coupe de l'infortune : dormir, oublier, être oublié, supprimer le plus longtemps possible le cours de la vie et de la pensée. -Et mes chiens, dit Paul, comment vont-ils ?

Puis il ajouta intérieurement: -Ceux là, du moins, ne me demanderont pas d'où j'arrive et ce que j'ai fait.

Il oubliait, l'ingrat, que ses parents ne s'en informaient point. Ils le recevaient comme l'enfant prodigue, toujours bien accueilli d'où qu'il vienne.

-Nous comptons, dit M. de la Fosse, nous fixer bientôt au Fayan.

Pour la naissance de ma petite sœur, ajouta Paul.

-Oui, mon fils, dit madame de la Fosse. Ton père m'a proposé d'y retourner dès demain. Et à moins que ton retour...

-Ah! qu'il ne change rien à vos projets, ma mère, s'écria Paul. Voulez-vous me permettre de vous précéder dès aujourd'hui ?

-Va, Paul; tu dois avoir besoin de repos. Veux-tu la voiture ?

-Non, ma mère; gardez-la.
-Un cheval?

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lassera; dit M. de la Fosse qui, par sollicitude pour sa femme, ten

Il n'écouta même pas la réponse. tait d'adoucir le contre-coup du

chagrin trop visiblement écrit sur les traits de son fils.

Celui-ci ne tarda pas à se met

tre en route.

-Ah! s'écria douloureusement madame de la Fosse dès qu'il fut parti, mon pauvre fils!

Les sources de sa souffrance se rouvraient, et elle coulait à flots, maintenant, entraînant avec elle les forces vitales. A diverses reprises et durant l'absence de Paul, en causant avec Valentine, avec M. du Breuil et M. de la Fosse, en voyant son fils aborder résolûment sa profession d'avocat, puis en lisant ses lettres de Paris si pleines de confiance en l'avenir, elle s'était persuadée que le bonheur de Paul ne serait pas compromis, Mais Paul était revenu et ses illusions de fortune semblaient disparues, et il se montrait malgré lui plus triste, plus désespéré qu'il ne l'avait jamais été.

-Ah! se disait cette malheureuse mère en se tordant les mains, si je pouvais mourir !... Je sauverais Paul!

Puis une autre voix impérieuse et écoutée lui répondait :

-Tu ne peux pas mourir. Dieu t'accorde deux enfants; tu dois compte à Dieu de leurs deux

existences.

Heureusement pour cette excellente mère, ou plutôt pour cette mère, car toutes les épithètes sont bien faibles et bien pâles lorsqu'il s'agit de qualifier l'amour maternel, M. de la Fosse ne quittait pas sa femme d'un instant. Cet homme probe et bon avait en lui des trésors de dévouement et de tendresse. Chose belle et rare, il ex- cusait son fils. Il lisait dans son âme et il l'adorait encore. Il pardonnait ces impatiences maladives, ces tentatives folles et mystérieuses sur lesquelles Paul se taisait et qu'on était réduit à deviner, cet

amour sincère se heurtant contre les obstacles comme un jeune bélier au risque de s'y briser. Il comprenait et il pardonnait. Mais en lui, dans ce moment, l'époux dominait le père. Dans des circonstances si graves, si épineuses, M. de la Fosse, avant toute chose, songeait à sa femme et la protégeait. Sa constante sollicitude s'occupa immédiatement à détruire le désastreux effet causé par l'attitude de Paul à son retour.

-Notre fils, dit-il en abordant résolûment la question, n'a pas tiré de son voyage tous les résultats qu'il en attendait. Nous ferons bien, je crois, de ne plus en parler, car son silence nous a suffisamment instruits.

-Paul avait l'air bien triste. -Cela se conçoit. A son âge, les espérances, comme les peines, sont plus vives, mais aussi plus passagères. Ce qui est une déception pour lui n'en doit pas être une sérieuse pour nous. Paul ajoutait foi à je ne sais quels succès chimériques et immédiats. Mais les succès. ne s'improvisent pas. C'est ici, avec du travail, qu'il les obtiendra. Il a déjà bien commencé.

Puis M. de la Fosse envisagea et décrivit la situation de son fils, sous un jour favorable, il est vrai, mais sans exagération et sans se départir des règles du plus simple bon sens. Le temps, en effet, devait améliorer et préciser chaque jour davantage cette situation. Paul avait de l'intelligence, il l'avait prouvé, et dans un an au plus on pourrait facilement baser des certitudes sur les probabilités actuelles. M. du Breuil n'était pas intéressé. Valentine serait la première à demander qu'on abrégeât les délais.

-Il est même présumable, ajouta M. de la Fosse en souriant,

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