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Sybil'e. Mais ne retrouve-t-on pas dans le premier de ces ouvrages les traces d'une ancienne collaboration aux œuvres d'Alexandre Dumas? Les épreuves incroyables auxquelles est soumis ce malheureux jeune homme ne sont-elles pas chimériques; et après s'être jeté dans l'eau pour sauver un chien, et du haut d'une tour d'où il aurait pu se casser autre chose qu'un bras, devait-il brûler des papiers qui appartenaient à sa sœur et lui donnaient avec une richesse inespérée le droit de prétendre à la main de Marguerite? Ces péripéties, en forme de cascades, nous paraissent un peu violentes. Mais, à part ces accidents étranges et l'invraisemblance des caractères qui font de ce roman un poème de chevalerie, nous sommes heureux d'y signaler les symptômes favorables d'un retour au bon goût et au sens com

mun.

Nous ne dirons rien de Sybille, qui a été l'objet d'un article publié dans ces Etudes1. M. Nettement l'appelle un roman de chevalerie. "Sybille est trop catholique pour être aussi chimérique, ou trop chimérique pour être aussi catholique qu'on nous l'a peint." Cette remarque est juste. Mais puisque nous avouons que sonnages secondaires sont peints d'après nature; que Clotilde, madame de Vergnes, Blanche et Gondrax existent; que "Raoul de Chalys est entre le réel et l'idéal;" n'ajoutons pas: "sentiments, idées, caractères, événements même, tout

les

per

est plus ou moins chimérique." Le roman d'ailleurs est, selon la définition de Goethe, une épopée domestique. Il doit être le reflet véritable des familles qu'il représente. Mais s'il a le droit de demander à la mémoire ses souvenirs, à la critique de l'observateur son coup d'œil et ses tableaux, il a le devoir de laisser au poëte le champ de l'idéal. Sans poésie, le roman ne serait qu'une histoire anecdotique; sans réalité, il rentrerait dans le genre des contes de fées.

Il est fâcheux que, si nous voulons arriver au roman vraiment irréprochable, nous n'ayons que peu de noms à signaler: le Parrain et le filleul de M. de La Landelle, la

Vie réelle de madame Bourdon, Antoinette Lemire du même auteur, qui pourrait apprendre à Fantine de Victor Hugo le moyen de supporter la misère; l'Enthousiasme, de Marie Gjertz, cette jeune Norvégienne "qui ne demandait à Dieu pour dernière grâce que de mourir à l'ombre des rochers de sa patrie;" la Vie en famille de mademoiselle Fleuriot, vraie inspiration bretonne. "Mademoiselle Fleuriot, dit M. Nettement, a vécu dans cette atmosphère de foi, d'honneur, de probité exquise, de respect du passé, et l'on retrouve dans ses compositions comme un reflet de ces vertus

morales qu'elle a eues sous les yeux depuis son enfance."

Tel est aussi le charme secret de ce conteur aimable, déjà si connu par ses Pèlerinages en Bretagne,

M. Hippolyte Violeau. En lisant ses Souvenirs et Nouvelles et surtout sa Maison du Cap, vous retrouvez ce sentiment rêveur, mélancolique et religieux qu'inspire la vue de la mer jolie ou grisâtre, et des géants de pierre qui les regardent en silence depuis trois mille ans. M. Hippolyte Violeau a vu la société moderne et ses grandes cités; mais il leur préfère so chère Bretagne, et il peut dire comme Adrien, son héros: "Nous commençons tout par l'espérance et nous finissons par la déception. Lorsque je n'étais qu'un petit pâtre. je contemplais les étoiles filantes si nombreuses vers la fête des Morts. Je croyais les voir se détacher des nues et se glisser entre les crêtes de Roc-Nivelan. Je courais, je gravissais la montagne de pierre, je m'élançais sur le sommet le plus élevé, espérant y trouver la fleur lumineuse. Erreur d'enfant ! humilié et triste, je revenais à ma chaumière; l'étoile n'avait pas quitté le ciel."

Mais c'est en dehors de notre France qu'il faudrait rechercher le roman modèle. C'est un prince de l'Église, un savant illustre qui en est l'auteur. Qui n'a lu Fabiola? qui n'a été ému et instruit en parcourant ce livre plein de charme et de vraie science? Fabiola tient à la fois de Lascaris et des Martyrs. C'est un roman d'archéologie poétique. Cependant la science de Mgr Wiseman n'a rien de pesant et de guindé, sa poésie rien de mou et de nuageux. On voit que l'au

teur a assisté au spectacle qu'il déroule à nos regards. Les tombeaux de la voie Appienne, les murs tortueux, les galeries peintes des catacombes, les villas de Pompéi, le palais de Néron, lui apparaissent au bout de deux mille ans dans ses voyages et ses lectures, et lui retracent sans effort les phases de cette double vie chrétienne et païenne, inconnue à Tacite. Les tableaux de Mgr Wiseman ont un coloris suave et une beauté divine. Il laisse aux ténèbres leurs horreurs, et se garde bien de les rendre lumineuses. Une auréole radieuse entoure le front de ses jeunes saints moissonnés à la fleur de l'âge; leur grâce n'est pas amollie ni leur sourire affecté. Quoi de plus charmant et de plus sobre par exemple que ce tableau de la mort de sainte Agnès: "Quand l'enfant s'agenouilla ainsi d'elle-même, vêtu de sa robe blanche, avec sa tête inclinée, ses bras modestement croises sur sa poitrine, et ses cheveux dorés pendant jusqu'à terre et voilant ses traits, on eût pu la comparer à quelque plante rare dont la tige frêle et blanche comme le lis s'incline sous le poids luxuriant de sa végétation brillante. Le juge avec colère reprocha à l'exécuteur son hésitation, et lui ordonna de faire son devoir sans tarder. L'homme passa sur ses yeux humides le revers de sa rude main et leva son glaive. Un éclair brilla; et l'instant d'après, la fleur et la tige étaient étendues, séparées, mais à peine déplacées sur le sol.

t

On aurait pu croire qu'elle était prosternée pour la prière, si sa robe blanche ne s'était colorée aussitôt d'une riche pourpre; Agnès était baignée du sang de l'Agneau." Cymodocée, se cachant à la vue du tigre dans les bras de son époux "et et y demeurant suspendue ainsi qu'un flocon de neige aux rameaux d'un pin de Ménale," est-elle touchante et sublime comme Agnès ? Fabiola plaira toujours au moraliste et au chrétien, comme à l'archéologue et au poëte. Le peintre de mœurs aime avant tout la réalité et non le réalisme des caractères. Et quelle vérité dans ces portraits de guerriers, de prêtres, d'ouvriers, de femmes légères, de jeunes vierges, de magistrats et de bourreaux qu'éclaire tour à tour le riant soleil de Rome ou la lampe funéraire du fossoyeur Diogène! Quelles leçons fortes et instructives le lecteur impartial ne puise-t-il pas dans le contraste des deux sociétés antiques quand elles se rencontrent à l'amphithéâtre des Flaviens ou au triclinium de Fabiola! Lorsque Sébastien, Pancratius, Agnès, Emerentienne, Miriam sont en face de Maximilien, de Corvinus, d'Hyphax et de Jubala, et que l'histoire atteste la vérité et cite les paroles de ces divers personnages, est-il difficile de voir de quel côté se trouvent l'honneur malheureux et la vertu triomphante ? Qui, voilà un beau livre, et l'on pourrait dire avec M. Nettement, qui en parle avec trop de parcimonie: "C'est un joyau précieux qui reçoit une

nouvelle valeur de l'art avec lequel il est taillé et enchâssé."

Et cependant, quel que soit le mérite d'un roman, et d'un roman historique en particulier, je préférerais avec M. Guizot, conseiller la lecture de l'histoire. Oui, l'his toire pénétrée, comparée, animée du souffle de l'inspiration, dans les limites du vrai,sans négliger l'idéal : voilà, ce me semble, le plus agréable et le plus utile passe-temps. Evoquez tous les souvenirs des martyrs et des chrétiens, des généraux et des chevaliers, des politiques et des savants, sans anachronismes, sans rapprochements forcés; faites paraître au grand jour, avec une libre vérité, non les fantas tiques créations de votre cerveau, mais les contemporains réels d'une grande époque, avec leurs aspirations, leur paroles, leurs gestes, leurs costumes; alors je ne serai pas seulement charmé, mais instruit; je ne m'identifierai pas avec la pensée du romancier ou du poëte, mais avec celle d'un siècle tout entier; et si aux victoires de la valeur, du génie et de la vertu, vous joignez dans votre récit les palmes du martyre, je serai transporté au ciel et j'en deviendrai meilleur. Car, selon la belle expression de M. Guizot, "la créature vivante, cette œuvre de Dieu, quand elle se montre sous ses traits divins, est plus belle que toutes les créations humaines, et de tous les poëtes, Dieu est le plus grand."

A. DE GABRIAC.

LA MARQUE DE NAISSANCE.

Voir page 31.

Lorsque Georgina reprit ses sens, elle respirait une atmosphère embaumée, dont les suaves émanations l'avaient ranimée. Elle se croyait le jouet d'un rêve. Aylimer s'était fait de cette salle enfumée, où ses plus belles années s'étaient consumées dans d'abstraites recherches, un séjour délicieux digne d'abriter une femme adorée. De magnifiques tentures, d'un goût exquis, cachaient sous leurs plis majestueux la nudité des murailles, et Georgina se croyait transportée dans une mystérieuse retraite, inaccessible aux mortels. Comme pour donner quelque poids à cette supposition, Aylimer avait supprimé le jour extérieur, nuisible à son expérience, et l'avait remplacé par la douce clarté de plusieurs lampes d'albâtre remplies d'une huile parfumée. Il s'était agenouillé auprès de sa femme, qu'il considérait avec attention, mais sans inquiétude, confiant dans l'infaillibilité de son savoir. -Où suis-je ? Ah! je me souviens, dit elle en portant instinctivement la main à sa joue.

-Rassurez-vous, Georgina, et ne vous éloignez point de votre époux, car il se réjouit à présent de cette imperfection, qui lui

permet de remporter une nouvelle victoire.

-De grâce, reprit la jeune femme, obligez-moi de ne la plus regarder; je vois toujours ce mouvement d'horreur que vous n'avez pu réprimer à mon aspect.

Afin de rendre à Georgina le calme nécessaire dans cette conjoncture, Aylimer se mit à exécuter quelques expériences curieuses. Il évoqua de gracieuses apparitions, fantômes aériens, pensées revêtues d'un corps diaphane, qui voltigeaient en se jouant autour du jeune couple et disparaissaient dans les zones de lumières projetées par les lampes d'albâtre. Bien qu'assez familière avec les phénomènes d'optique, l'illusion était parfois si complète, que Georgina se prit à penser que son mari jouissait d'un pouvoir surnaturel sur le monde des esprits. A peine avait elle eu le temps de former un désir qu'il était accompli, et les apparitions qu'elle avait men-" talement évoquées flottaient vaguement indécises devant ses yeux ravis et confondus. C'étaient des scènes de la vie réelle, tableaux vivants et fantastiques, qui naissaient et s'évanouissaient avec la pensée qui les avait créées.

Lorsque Georgina eut épuisé sa curiosité sur cette innocente fantasmagorie, Aylimer plaça devant elle un vase du Japon rempli de terre végétale, du moins à ce qu'il lui parut. Bientôt elle ne put retenir un geste de surprise en voyant apparaître le germe d'une plante, qui s'ouvrit pour laisser croître un faible pédoncule, dont les feuilles se déployérent graduellement, comme mues par un ressort caché, pour découvrir une fleur ravissante.

-C'est magique, murmura la jeune femme, mais je n'ose toucher à cette fleur miraculeuse.

-Cueillez-la sans crainte, et respirez-en le parfum passager, pendant qu'il en est temps encore, car, dans peu d'instants, elle va périr et ne laissera dans le vase qu'un peu de poussière et des graines d'où naîtront des fleurs éphémères comme elle.

volontiers à ce nouvel essai, mais, lorsqu'elle en vit le résultat, elle fut effrayée de ne trouver sur la plaque qu'une vague image de sa figure, tandis que l'infernale main se dessinait avec netteté sur son visage. Aylimer lui reprit brusquement le portrait des mains et le jeta de dépit, dans une cuve remplie d'un acide corrosif.

Cependant des pensées plus sérieuses vinrent bientôt effacer de son esprit cet échec mortifiant pour son amour-propre de savant, et le plonger de nouveau dans ses mystérieux calculs. De temps à autre, il les quittait, le visage enflammé, brisé par la tension d'esprit, pour venir rassurer Georgina, et lui parler des ressources infinies de la science.

Il lui racontait l'histoire de ces patients alchimistes qui, durant plusieurs siècles, cherchèrent avec une ardeur infatigable le dissolvant universel au moyen duquel ils pourraient isoler l'or des matières les plus communément répandues sur la surface du globe. Loin de traiter de fous ces précurseurs de la chimie moderne,

En effet, à peine Georgina eutelle touché la fleur, qu'elle se flétrit, ses feuilles se replièrent et noircirent comme si elles avaient été exposées à l'action d'une violente chaleur. -Le stimulant était trop fort, Aylimer ne voyait aucune imposdit Aylimer.

Pour effacer l'impression causée par l'avortement de cette expérience, il proposa à la jeune femme de faire son portrait au moyen d'un procédé chimique de sa propre invention, qui consistait à soumettre une plaque de métal, parfaitement polie, à l'action des rayons solaires. Georgina se prêta

sibilité à ce qu'on découvrit un jour cet admirable secret; mais il avait soin d'ajouter que l'auteur d'une pareille découverte n'abaisserait jamais son génie à en tirer parti. Au reste, il prétendait avoir composé un élixir de longue vie, qui, supprimant la mort, causerait, s'il en divulguait le secret, un tel bouleversement dans l'univers, que

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