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-Je suis pris, dit le banquier, en tirant un billet de cinq cents francs de son portefeuille et en recevant en échange les fleurs déjà à demi fanées.

Il s'éloignait rapidement, moins content que Titus de sa journée, lorsqu'une voix au timbre argentin le rappela.

-Monsieur, dit-elle, j'ai oublié de vous remercier pour pauvres !...

Depuis ce temps-là, on appelle la jeune fille dans l'ouvroir "la demoiselle au bouquet."

Vous voyez qu'il y a du bon même dans les ouvroirs un peu mondains où l'on mène de front le plaisir et le travail, et où l'on fait

le bien en s'amusant de son mieux. N'ai-je pas été trop sévère envers les jeunes habituées de ces ouvroirs? Pour être équitable, je dois dire, en passant, que si elles travaillent peu à Paris, elles emportent de la besogne à leurs châteaux, et que dans les longues journées d'été, à l'époque de la villégiature, leurs mains habiles rattrapent les heures perdues au milieu du tourbillon parisien. Ne cherchons donc pas le mauvais côté du bien, et ne nous plaisons pas à découvrir des taches au soleil de la charité pas plus qu'à l'autre soleil.

RENÉ.

Sem: des Familles.

MORT DU GÉNÉRAL LAMORICIÈRE.

Cet illustre

La nouvelle de la mort du général Lamoricière est venue frapper comme un coup de tonnerre tous ceux qui l'ont connu. capitaine semblait si bien en possession de la vie, il avait tant de jeunesse de cœur, tant d'activité, sa parole, aussi vive et aussi impé tueuse que son épée, avait tant d'animation, son regard tant de flamme, son geste tant de véhémence et d'autorité, sa voix quelque chose de si vibrant, qu'on ne peut se le représenter étendu sans chaleur, sans mouvement, sans regards, sans voix, disons le mot fatal, sans vie. Il en est ainsi cependant. Ce noble cœur a cessé de battre; cette main qui tenait

si fortement l'épée est maintenant froide, inerte, immobile: cette voix puissante comme le clairon est désormais muette. Un moment a suffi pour briser cette forte organisation; en quelques minutes le général Lamoricière est passé de vie à trépas. Dieu lui a envoyé un de ces trépas foudroyants, rapides et imprévus comme les boulets que notre vaillant Lamoricière avait si souvent bravés sur les champs de bataille. Mais la mort, si prompte qu'elle fût, l'a trouvé préparé. C'est le crucifix à la main que Lamoricière l'a reçue, et, quand le curé du bourg où est situé le château qu'il habitait, mandé en toute hâte par l'ordre exprès du général,

est accouru, il l'a trouvé debout encore. Un jour viendra où cette

comme un soldat, la croix à la main comme un chrétien, digne fin du glorieux vaincu de Castelfidardo.

Je ne veux pas raconter aujour d'hui la vie du général Lamoricière. Les grandes dates de cette vie sont écrites en lettres inefficables dans l'histoire de la France et dans celle de l'Eglise. La perte est trop récente et la plaie trop cuisante pour que je puisse en ce moment remplir cette tâche qui demanderait un esprit plus calme et moins abattu. Je dirai seulement le trait général qui m'a frappé dans ce noble caractère: c'est la rare lucidité de l'intelligence et je ne sais quoi d'alerte et de spontané dans la volonté. Voir ce qu'il y a à faire, le faire aussitôt, Lamoricière est tout entier dans cette parole. Chez lui, la promptitude de l'action suivait la promptitude de l'idée.

Voyez le en Afrique. Il est le premier qui devine que, pour vaincre les Arabes, il faut les atteindre; que pour les atteindre il faut faire la guerre comme eux, sans bagage, sans provisions, au pas de course. Lamoricière est le créateur des Zouaves, et il semble que cette vaillante troupe ait conservé quelque chose du type ardent, impétueux, rapide, original, intelligent de son premier chef. C'est ainsi qu'il traverse le désert dans tous les sens, et qu'il ne laisse à l'émir Abd-el-Kader ni paix ni trève. Si vites que soient les cavaliers de l'émir, Lamoricière est plus rapide

grande proie tombera dans les mains du jeune général, et nul n'était plus digne que lui de faire cette glorieuse capture qui couronna huit années de guerre et de succès en Afrique.

Voyez-le maintenant pendant les journées de juin 1848. Il comprend d'un coup d'œil que tout est perdu si par des prodiges de courage on n'enlève pas la garde mobile, la garde nationale et la troupe. Toujours vaillant, il devient de sang-froid téméraire. Il court, il vole, au milieu des balles qui sifflent, des boulets qui grondent; il est ici, il est là, il est partout, traversant cette tempête de feu, au galop de son cheval, et provoquant la mort qui le respecta alors et qui devait, dixsept ans plus tard, le frapper au coin de son foyer. Son cheval estil renversé par un boulet, il se relève et saute sur un autre, le lazzi militaire à la bouche et le sabre au poing. En même temps il a deviné qu'on ne viendrait jamais à bout des insurgés, si l'on n'ouvrait pas par la sape des galeries dans les maisons qu'ils occupent, et si, au lieu d'essuyer leurs feux plongeants, on ne les attaquait pas ainsi de niveau et corps à corps.

Ceux qui l'ont vu à la tribune raconteront quelle présence d'esprit, quelle verve, quelle rapidité d'intuition et d'aperçus, il déployait dans les débats. C'était encore pour lui la guerre, la guerre avec ses pointes rapides, ses brusques attaques, ses charges impétu

euses. Ne l'ai-je pas dit? sa parole était alerte comme son épée, et sa vive intelligence savait trouver le point faible d'une harangue comme celui d'une armée.

Des évènements que je n'ai ni à raconter ni à apprécier le jettent hors de la vie publique, hors de son pays, en exil; ne le plaignez pas, et admirez les desseins providentiels; c'est là que Dieu l'attend. Sa vie a été jusque là une vie toute entière à l'action: semblable à une ardente locomotive emportée sur les rails, elle ne s'est pas un moment arrêtée. Elles sont longues et lentes, les heures de l'exil, et l'intelligence n'ayant plus à se répandre au dehors, a le temps de se replier sur elle-même. C'est alors, c'est ainsi que le gé néral Lamoricière, aidé, dit-on, par une correspondance intime ouverte avec une des intelligences les plus hautes et les plus pénétrantes de notre époque, le Révérend Père Gratry, son ancien camarade à l'École Polytechnique, descendit au fond de sa conscience, et y trouva la foi catholique.

Lamoricière venait de faire sa plus belle conquête, il venait de conquérir la vérité. Avec cette résolution qu'il portait à la tribune comme sur le champ de bataille, dans ses idées comme dans ses actes, dès qu'il crut au catholicis me, il le pratiqua. Dieu réservait à ce grand cœur qui s'était dévoué à toutes les nobles choses l'honneur d'un dernier dévouement, plus grand encore que les autres, le dé

vouement à l'Église notre mère. C'est tout ce que je veux dire et c'est tout dire. Loin de moi la pensée de soulever des questions irritantes et de mettre le doigt dans des plaies qui ne sont pas encore fermées! Je ne cherche à blesser personne, je veux seulement rendre au général Lamoricière, le lendemain de sa mort, le temoignage d'admiration et de reconnaissance que lui doit tout catholique.

Certes ceux qui allèrent à cette époque offrir au Saint-Siège leurs bras et leur vie étaient de nobles cœurs, ils le prouvèrent en tombant bravement à leur rang sur le champ de bataille de Castelfidardo; mais le général Lamoricière, qui offrait tout ce qu'ils offraient, avait, outre sa part dans l'héroisme commun, un héroïsme particulier, il acceptait la responsabilité militaire de l'entreprise; il bravait quelque chose de plus que la mort, il bravait les chances d'une défaite qui devenait certaine si un événement possible, prévu même par un grand nombre d'esprits, se réalisait. Il ne marchandait pas plus sa réputation militaire que sa vie à l'Église.

Vous savez le reste, et vous reconnaissez là cette âme intrépide et pleine d'initiative qui ne reculait jamais devant les conséquences d'une conviction. Je m'étais assis au foyer du général Lamoricière en Belgique; j'avais eu l'occasion d'admirer la sollicitude tendre et vigilante avec laquelle il remplissait ses devoirs de chef de famille,

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vivant pour sa digne compagne, l'ornement de ses courtes prospérités, la meilleure consolation et le charme de ses épreuves, heureuse alors de voir le général revenu à cette religion catholique qu'elle avait toujours pratiquée, moins malheureuse aujourd'hui en songeant que le Dieu qui l'a jugé est celui pour lequel il a combattu; vivant pour ses trois enfants,-à cette époque, son fils nouveau-né Michel n'avait pas encore été ravi à sa tendresse. Quand je sus qu'après la bataille de Castelfidardo, le général Lamoricière était revenu à Paris, je voulus comme tant d'autres catholiques lui présenter mes hommages. Je le trouvai le front triste, comme un homme qui vient de voir succomber sous le nombre une juste et noble cause, mais cependant le front haut et ferme comme un homme qui a la conscience d'avoir rempli jusqu'au bout son devoir. Évêques et prêtres, hommes de guerre, ma

gistrats, membres du barreau, vieillards et jeunes gens de toutes les conditions et de tous les âges, accouraient chaque jour pour lui exprimer leurs sympathiques respects. Ses anciens camarades surtout, ses lieutenants d'autrefois devenus ses égaux en grade, quelques uns ses supérieurs, vinrent serrer cette vaillante main, tenant à honneur de lui prouver, pour emprunter de nobles paroles au général Lamoricière lui-même, "qu'aucun de ses anciens camarades ne l'avaient renié et que tous l'avaient reconnu."

Le même concours qui se fit alors autour de Lamoricière vivant vient de se faire autour de Lamoricière mort. La France perd en lui un de ses plus glorieux enfants, l'armée un de ses plus illustres chefs, l'Église un de ses fils les plus dévoués et son plus vaillant défenseur.

ALFRED NETTEMENT.

IMPRESSIONS D'UN PAYSAN

EN CHEMIN DE FER.

Dédié à un chef de gare...n'importe lequel.

Par un jour nébuleux, de Bryas à Saint-Pol,

Deux joyeux campagnards cheminaient côte à côte; Ce qu'ils disaient des blés, à pieds joints je le saute, Pour crayonner la fin que j'ai surprise au vol.

Avez-vous, père Labrosse,
Tâté des chemins de fer?
Dame! on n'est pas à la noce
Dans ces maudits trains d'enfer...
Là, tout est sujet de transes,
En dehors comme en dedans;
On y voit des assurances
Contre tous les accidents.

C'est terrible, tout de même,
Quand on n'est pas assuré !
Enfin, comme un Nicodème,
Je m'étais aventuré.

Le long des murs je vois lire,
Nez en l'air, trois villageois;
Je m'approche et puis je tire
Le plus bonasse des trois.

"Que lisez-vous là, compères,
Si bravement occupés?
-C'est l'affiche des misères,
Le tarif des écloppés!"

Comme il voit que je m'étonne :
"Tiens, dit-il, voilà les cas:
Pour un pied perdu l'on donne
Deux cents francs; trois cents,
[par bras!

-

Tu livres un gars solide,
La culbute s'accomplit;
Et plus tu sors invalide,
Plus ta bourse se remplit!

Six cents francs pour une jambe!
Monte à la tête, c'est plus :
J'ai deux yeux, qu'on me les flambe,
Et j'obtiens... deux mille écus !...

On offre une somme honnête
Pour tout malheur incomplet,
Mais votre fortune est faite
Si vous mourez tout à fait !

-A quatre, brûlons un cierge
Avant d'entrer en wagons?
Moi, je votais pour la Vierge!
Eux, topaient pour leurs patrons!
Au plus haut de la muraille,
Le mot gare, écrit en grand,
Avait déjà, par sa taille,
Frappé mes yeux en entrant.

Au milieu de la bagarre,
Porté, heurté, cahoté,
Poursuivi par le mot gare,
J'agis comme un hébété...

J'étais là comme une souche!
Un employé, me voyant
Les yeux plus grands que la bouche,
Me dit d'un ton effrayant :

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"Que faites-vous? entrez vite;
On va partir, suivez-moi."
Troublé plus fort, moi j'hésite...
Entrez, c'est votre convoi !..."
Mon convoi !... ciel! je frissonne...
Et presque au même moment
J'entends la cloche qui sonne,
Grand Dieu! mon enterrement...
J'entends des bruits de tonnerre;
Je n'y vois plus que du feu;
Mon pied a quitté la terre...
Voilà donc ma vie en jeu!

Je ne sais plus qui me pousse,
Pour me faire mettre en train,
Mais ce train fait un tel train,
Que le sifflet, la secousse,
M'enlèvent tout mon entrain...

Convoi!... Gare!... aux cinq cents
[diables!
Tous ces fameux inventeurs,
Cherchent tous les mots capables
D'effrayer les voyageurs!
En vérité, plus j'y pense,
Et plus je sens mes fureurs;
J'enverrais à la potence
Cinq ou six gros directeurs!
Le train s'ébranle sur place,
Et bientôt, comme l'éclair,
Il va dévorant l'espace,
Et nargue l'oiseau dans l'air.
Nous passons comme l'orage,
Puis... bonjour! plus de chemin...
Il ne reste pour passage
Qu'un trou noir... un souterrain !

Malgré sa mauvaise mine,
Ce trou noir est affronté;
Et la terrible machine
S'y perd dans l'obscurité.

Nous filons dans la montagne
Par ce trou, nommé tunnel,
Et la frayeur accompagne
Le sifflet sempiternel.

Au milieu du tintamarre,
Les éclairs percent la nuit;
Le frisson de moi s'empare,
Je me signe au front sans bruit.

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