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tant d'années l'Empire aux Romains vainqueurs de toute la terre!

Plutarque n'étoit pas plus homme de guerre que moi, mais il étoit fûr de bien parler, parce qu'il ne faifoit que rapporter les propres termes des grands hommes qu'il copioit. Il avoit pour garants Thucydide, Polybe, Xenophon, & autres grands Capitaines, dont il lifoit les Memoires, ainfi il ne s'expofoit point au ridicule de Phormion. J'ai cherché à l'éviter dans tout ce qui eft de nos ufages, car j'ai tâché de m'inftruire dans nos meilleurs Ecrivains, qui ont écrit de la guerre, & dans la converfation de plufieurs Officiers de reputation. Mais il y a bien des chofes où je n'ai pu trouver aucun fecours, fur tout lorfqu'il a fallu faire passer en notre Langue des termes que nous ne connoiffons pas, & des ordres de bataille, que perfonne n'a expliqués, ce qui eft une difficulté très-grande. J'aurois bien pu me contenter de dire la chofe litteralement fans l'expliquer, & cacher ainfi mon ignorance fous un filence orgueilleux, qui auroit pu paffer pour fcience; mais je me fuis fait une loi d'expliquer tout, ou de dire franchement ce que je n'entends point. Voici deux endroits qui m'ont fait le plus de peine.

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Le premier eft dans la Vie de Pelopidas, Tom. III. pag. 214. où Plutarque décrit l'ordre de bataille des Thebains à la fameuse journée de Leuctres: il dit qu'Epaminondas tira du côté de son aile gauche fa phalange étendue en écharpe, ou en biais, Φάλαγγα λοξήν. Tous les Traducteurs fe font fort mal tirés de ce paffage, & n'ont rendu ni la lettre, ni le fens. Et moi j'ai voulu, non seulement traduire la lettre, mais en donner auffi l'explication dans ma remarque 39 où je fais voir qu'Epaminondas, avec fon aile gauche fortifiée d'une partie de fa phalange en biais, tomba fur l'aile droite des Lacedemoniens, commandée par le Roi Cleombrotus: Cela ne fuffit pas encore pour la parfaite intelligence de ce paffage, & j'ai cru qu'il étoit neceffaire de le mettre fous les yeux, par un petit plan. Je me fuis donc hazardé à en faire un, &-j'ai eu le plaifir de voir qu'il eft conforme à ce lui qu'en avoit fait M. le Chevalier de Follard, Officier très-habile, qui a fervi long-temps, qui a donné en plufieurs occafions des marques de fa capacité & de fon courage, & qui a fort étudié la milice des Anciens. Le voici:

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LLL L'armée Thebaine. A La phalange en écharpe. B Aile droite de Cavalerie. C Aile gauche d'Infanterie. D Bataillon facré. E Cavalerie de l'aile gauche.

MMM Armée de Lacedemone. F Phalange. G Cavalerie de l'aile gauche. H_Aile droite. I Cavalerie de la droite.

Sur ce plan, quoique groffierement fait, on voit fans peine comment Epaminondas marchant avec fon aile gauche, fortifiée par fa phalange en écharpe, tomba fur l'aile droite des Lacedemoniens,qui furent obligés de s'éloigner de leurs alliés, & qui ne purent la foûtenir, parce qu'ils avoient diminué de leur hauteur pour déborder les Thebains, & que ceux-ci profiterent de ce moment pour les charger.

L'autre eft dans la Vie de Philopomen, pag. 505. du même volume, où

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Plutarque dit que les Achéens n'étoient pas accoûtumés à l'ordonnance qu'on appelle Spirale, & qu'ils ne fe fervoient que de la phalange, où bataillon quarré. C'est ce que perfonne n'a expliqué; j'ai voulu le faire dans ma remarque 13, & j'ai dit que c'étoit une ordonnance par bataillons feparés, ou par cohortes feparées avec des intervalles. Le même M. le Chevalier de Follard m'a fait voir que j'avois raifon; mais qu'il falloit ajoûter que les Cohortes étoient placées vis à-vis des intervalles de celles qui les précedoient, comme dans cette figure, où l'on voit pourquoi cette ordonnance étoit appellée Spirale.

Les vers que Plutarque a cités, je les traduis en profe, parce qu'il n'y a rien de plus infupportable dans notre Langue, ni qui vieilliffe fi tôt que des vers mediocres;

mais quand même j'en pourrois faire de fort bons, je ne fai fi je traduirois ces endroits-là en vers, à caufe de la grande difficulté, ou, pour mieux dire, de l'impoffibilité qu'il y a de conferver dans notre Poëfie ce goût fimple & antique qui fait la plus grande beauté des vers Grecs.. Ciceron l'a fait quelquefois fort heureufement dans fes Ouvrages, & quelques Poëtes Latins avant lui l'ont fait auffi avec beaucoup de fuccès dans leur Poëfie, mais la richeffe de leur Langue les a bien fervis, & nous ne faurions faire dans la nôtre ce qu'ils ont fait dans la leur. Il est certain qu'Amiot ne l'a pas fait, fes vers font le fupplice des oreilles, & ceux de M. de Meziriac ne font gueres meilleurs. Ces lambeaux d'or & de pourpre deviennent dans leur Poëfie des chiffons de bure qu'on ne peut voir fans dégoût.

Je conferve les anciens noms des Peuples, des dignités, des charges, parce que les noms d'aujourd'hui n'y répondent point du tout, que c'eft traveftir les anciens que de les habiller ainfi à la moderne, & qu'il n'eft pas poffible de conferver la veritable idée des chofes avec ce changement de noms. On avoit porté même mon fcrupule jufqu'à balancer fi je ne conferverois pas les noms des mois Grecs

&

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