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le principe tout ce qui pense existe; tandis que c'est par elle que nous parvenons à ce principe. >>

On dirait que Descartes a peur de n'être pas compris, tant il met de scrupule à s'exprimer avec clarté. Ce qu'il a dit jusqu'ici ne lui paraît pas suffisant; il craint qu'on ne soit pas encore bien convaincu qu'il admet l'idée de notre existence comme une idéc première. Après avoir montré qu'elle ne peut être l'ouvrage du raisonnement, il ajoute qu'il ne faut pas non plus l'attribuer à la réflexion, mais à une opération antérieure à la réflexion, opération dont on peut bien renier des lèvres le résultat, mais sans pouvoir l'arracher de son entendement et de sa croyance.

Reste à savoir pourquoi Descartes n'a pas exposé dans ses Méditations cette théorie intéressante, et si elle est en harmonie avec l'ensemble de la philosophie cartésienne. Une connaissance approfondie du véritable objet des Méditations et de la philosophie de Descartes résout facilement cette question.

Le véritable objet des efforts de Descartes était de donner à la philosophie un point de départ scientifique, en l'appuyant sur un principe ferme et inébranlable; et comme l'existence personnelle échappait seule à l'hypothèse du doute universel où Descartes s'était placé, l'existence personnelle fut pour Descartes ce principe indubitable sur lequel il éleva sa philosophie. Cette philosophie est une chaîne immense, dont le premier anneau repose sur l'existence de l'âme, qui de là atteint l'Être des êtres et dans ses amples circuits embrasse l'universalité des phénomènes et des lois de la matière. De l'existence personnelle, ou de l'humanité, Descartes monte à Dieu et descend ensuite à l'univers. L'existence personnelle est la pierre de l'édifice; tout porte sur elle; elle ne porte que sur elle-même. L'âme démontre Dieu et, par contre-coup, l'univers; mais nul principe antérieur ne démontre l'âme; sa certitude est primitive; elle nous est révélée dans le rapport de la pensée à l'être pensant. Si l'âme ne pensait point, elle ne pourrait se connaître ; mais, sa nature étant de penser, elle se connaît nécessairement,

Le raisonnement ne tire pas logiquement l'existence de la pensée; mais en fait l'àme ne peut penser sans se connaître. La certitude de la pensée ne précède pas la certitude de l'existence, elle la contient, elle l'enveloppe; ce sont deux certitudes contemporaines qui se confondent dans une seule, laquelle est la certitude fondamentale et le principe de toute la philosophie cartésienne. Cette forte doctrine est renfermée dans le livre des Méditations, l'un des plus beaux et des plus solides monuments du génie philosophique. Descartes prétend y démontrer avec la rigueur de la géométrie, que la spiritualité de l'âme et l'existence de Dieu sont des vérités incontestables, puisqu'elles reposent sur notre existence personnelle, qui elle-même est au-dessus de tous les efforts du scepticisme. Tel était le dessein de Descartes, et non pas de prouver l'existence personnelle, que personne ne pouvait nier de bonne foi; il l'établit pourtant dans la première et la seconde Méditation, et d'une manière très-solide, en montrant le rapport intime de la conception de l'existence et de l'aperception de la pensée. Ce rapport, il le marque par donc; mais il ne s'arrête point à nous avertir que la connaissance de ce rapport n'est point l'ouvrage du raisonnement, car ce n'était pas là son objet; il se contente de faire valoir la certitude de l'existence personnelle, et il s'en sert pour démontrer toutes les grandes vérités. Il ne devait pas instituer une discussion particulière sur la manière dont nous acquérons la connaissance de notre existence; il devait seulement mettre en lumière la certitude de l'existence personnelle, et il le fait, montrant que très-certainement nous existons, puisque nous pensons. Le lecteur n'est pas trompé par là sur la nature du procédé qui nous découvre le lien de la pensée et de l'existence. Descartes ne dit point que ce soit le raisonnement, il dit même implicitement que ce n'est point le raisonnement, puisqu'il va de suite de l'une à l'autre. Mais, encore une fois, il ne s'arrête pas et ne devait pas s'arrêter là-dessus. Le livre des Méditations est donc irréprochable; il présente ce qu'il devait présenter, la doctrine cartésienne dans toute son étendue, mais aussi dans ses justes limites. Si l'on vou

lait y faire entrer la théorie détaillée de l'existence personnelle, elle ne dérangerait aucunement le système général, mais elle n'en fait pas essentiellement partie. Que si ses adversaires ne l'entendent pas, et l'accusent de déduire à tort l'existence de la pensée, Descartes s'expliquera; mais il ne changera pas les proportions du monument immortel où il a déposé ses pensées et sa méthode; il s'expliquera, mais dans des Réponses, et il prouvera alors que tous les reproches qu'on lui adresse portent à faux, puisqu'ils tombent sur le principe de son système qu'on l'accuse d'avoir établi par le raisonnement; «comme si, dit-il, le principe d'un système pouvoit être un principe logique, et comme si la connoissance des principes en général étoit du ressort de la dialectique.» (Extrait de M. Cousin.)

SUR LES IDÉES INNÉES

« Qu'on juge, dit très-bien Laromiguière, combien il faut se tenir en garde contre les discours des hommes. Tous les philosophes, sans en excepter un seul, regardent Descartes comme l'auteur du système des idées innées. Voyons ce que dit ce grand homme :

« Je n'ai jamais écrit ni jugé que l'esprit ait besoin d'idées « qui soient quelque chose de différent de la faculté qu'il a de << penser. Mais bien est-il vrai que, reconnoissant qu'il y avoit «< certaines idées qui ne procédoient ni des objets du dehors ni « des déterminations de ma volonté, mais seulement de la fa<«< culté que j'ai de penser, pour les distinguer des autres qui <«< nous sont survenues, ou que nous avons faites nous-mêmes, je « les ai appelées innées. »

(Lettres de Descartes, tom. II.)

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EXTRAITS DES LETTRES DE DESCARTES

« Ce passage est-il assez formel, assez décisif? Mais voici quelque chose de plus décisif encore : « Lorsque j'ai dit que l'idée «< de Dieu est innée, je n'ai jamais entendu autre chose que ce « que mon adversaire entend; savoir, que la nature a mis en « nous une faculté par laquelle nous pouvons connoître Dieu; « mais je n'ai jamais écrit ni pensé que de telles idées fussent << actuelles, ou qu'elles fussent je ne sais quelles espèces distinctes « de la faculté même que nous avons de penser; et même je <«< dirai plus, qu'il n'y a personne qui soit plus éloigné que moi «de tout ce fatras d'entités scolastiques. »

FIN

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Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité
dans les sciences.

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PARIS. - IMPRIMERIE BLOT ET FILS AINE, RUE BLEUE, 1.

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