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nous pouvons ainsi nous estimer ou nous mépriser nous-mêmes; d'où viennent les passions, et ensuite les habitudes de magnanie, mité ou d'orgueil et d'humilité ou de bassesse.

ART. 55. La vénération et le dédain.

Mais quand nous estimons ou méprisons d'autres objets que nous considérons comme des causes libres capables de faire du bien ou du mal, de l'estime vient la vénération, et du simple mépris le dédain.

X ART. 56. L'amour et la haine.

Or, toutes les passions précédentes peuvent être excitées en nous sans que nous apercevions en aucune façon si l'objet qui les cause est bon ou mauvais. Mais lorsqu'une chose nous est présentée comme bonne à notre égard, c'est-à-dire comme nous étant convenable, cela nous fait avoir pour elle de l'amour; et lorsqu'elle nous est représentée comme mauvaise ou nuisible, cela nous excite à la haine.

X ART. 57. Le désir.

De la même considération du bien et du mal naissent toutes les autres passions; mais afin de les mettre par ordre, je distingue les temps, et considérant qu'elles nous portent bien plus à regarder l'avenir que le présent ou le passé, je commence par le désir. Car non-seulement lorsqu'on désire acquérir un } bien qu'on n'a pas encore, ou bien éviter un mal qu'on juge pouvoir arriver, mais aussi lorsqu'on ne souhaite que la conservation d'un bien ou l'absence d'un mal, qui est tout ce à quoi se peut étendre cette passion, il est évident qu'elle regarde toujours l'avenir.

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ART. 58. L'espérance, la crainte, la jalousie, la sécurité et le désespoir.

Il suffit de penser que l'acquisition d'un bien ou la fuite d'un mal est possible pour être incité à la désirer. Mais quand on considère, outre cela, s'il y a beaucoup ou peu d'apparence qu'on obtienne ce qu'on désire, ce qui nous représente qu'il y en a beaucoup excite en nous l'espérance, et ce qui nous représente qu'il y en a peu excite la crainte, dont la jalousie est une espèce. Lorsque l'espérance est extrême, elle change de nature et se nomme sécurité ou assurance, comme au contraire l'extrême crainte devient désespoir.

ART. 59. L'irrésolution, le courage, la hardiesse, l'émulation, la lâcheté et l'épouvante.

Et nous pouvons ainsi espérer et craindre, encore que l'événement de ce que nous attendons ne dépende aucunement de nous; mais quand il nous est représenté comme dépendant, il peut y avoir de la difficulté en l'élection des moyens ou en l'exécution. De la première vient l'irrésolution, qui nous dispose à délibérer et prendre conseil. A la dernière s'oppose le courage ou la hardiesse, dont l'émulation est une espèce. Et la lâcheté est contraire au courage, comme la peur ou l'épouvante à la hardiesse.

ART. 60. Le remords.

Et si on est déterminé à quelque action avant que l'irrésolufon fût ôtée, cela fait naître le remords de conscience, lequel ne regarde pas le temps à venir, comme les passions précédentes, mais le présent ou le passé.

ART. 61. La joie et la tristesse.

Et la considération du bien présent excite en nous de la joie,

celle du mal, de la tristesse, lorsque c'est un bien ou un mal qui nous est représenté comme nous appartenant.

ART. 62. La moquerie, l'envie, la pitié.

Mais lorsqu'il nous est représenté comme appartenant à d'autres hommes, nous pouvons les en estimer dignes ou indignes; et lorsque nous les en estimons dignes, cela n'excite point en nous d'autre passion que la joie, en tant que c'est pour nous quelque bien de voir que les choses arrivent comme elles doivent, Il y a seulement cette différence que la joie qui vient du bien est sérieuse, au lieu que celle qui vient du mal est accompagnée de ris et de moquerie. Mais si nous les en estimons indignes, le bien excite l'envie, et le mal la pitié, qui sont des espèces de tristesse. Et il est à remarquer que les mêmes passions qui se rapportent aux biens ou aux maux présents peuvent souvent aussi être rapportées à ceux qui sont à venir, en tant que l'opinion qu'on a qu'ils adviendront les représente comme présents.

ART. 63. La satisfaction de soi-même et le repentir.

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Nous pouvons aussi considérer la cause du bien ou du mal, tant présent que passé. Et le bier qui a été fait par nous-mêmes. nous donne une satisfaction intérieure, qui est la plus douce de toutes les passions, au lieu que le mal excite le repentir, qui est la plus amère.

ART. 64 La faveur et la reconnoissance.

Mais le bien qui a été fait par d'autres est cause que nous avons pour eux de la faveur, encore que ce ne soit point à nous qu'il ait été fait; et si c'est à nous. à la faveur nous joignons la reconnoissance.

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ART. 65. L'indignation et la colère.

Tout de même le mal fait par d'autres, n'étant point rapporté

à nous, fait seulement que nous avons pour eux de l'indignation ; et lorsqu'il y est rapporté, il émeut aussi la colère.

ART. 66. La gloire et la honte.

De plus, le bien qui est ou qui a été en nous, étant rapporté à l'opinion que les autres en peuvent avoir, excite en nous de la gloire, et le mal, de la honte.

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Et quelquefois la durée du bien cause l'ennui ou le dégoût, au lieu que celle du mal diminue la tristesse. Enfin, du bien passé vient le regret, qui est une espèce de tristesse, et du mal passé vient d'allégresse, qui est une espèce de joie.

FIN DU DÉNOMBREMENT DES PASSIONS

ART. 68. Pourquoi ce dénombrement des passions est différent de celui qui est communément reçu.

Voilà l'ordre qui me semble être le meilleur pour dénombrer les passions. En quoi je sais bien que je m'éloigne de l'opinion de tous ceux qui en ont ci-devant écrit, mais ce n'est pas sans grande raison. Car ils tirent leur dénombrement de ce qu'ils distinguent en la partie sensitive de l'âme deux appétits, qu'ils nomment l'un concupiscible, l'autre irascible. Et pour ce que je ne connois en l'âme aucune distinction de parties, ainsi que j'ai dit ci-dessus, cela me semble ne signifier autre chose sinon qu'elle a deux facultés, l'une de désirer, l'autre de se fâcher; et à cause qu'elle a en même façon les facultés d'admirer, d'aimer, d'es

pérer, de craindre, et ainsi de recevoir en soi chacune des autres passions, ou de faire les actions auxquelles ces passions la poussent, je ne vois pas pourquoi ils ont voulu les rapporter toutes à la concupiscence ou à la colère. Outre que leur dénombrement ne comprend point toutes les principales passions, comme je crois que fait celui-ci. Je parle seulement des principales, à cause qu'on en pourroit encore distinguer plusieurs autres plus particulières, et leur nombre est indéfini.

ART. 69. Qu'il n'y a que six passions primitives.

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Mais le nombre de celles qui sont simples et primitives n'est pas fort grand. Car, en faisant une revue sur toutes celles que j'ai dénombrées, on peut aisément remarquer qu'il n'y en a que six qui soient telles; à savoir: l'admiration, l'amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse; et que toutes les autres sont composées de quelques-unes de ces six, ou bien en sont des espèces. C'est pourquoi, afin que leur multitude n'embarrasse point les lecteurs, je traiterai ici séparément des six primitives; et par après je ferai voir en quelle façon toutes les autres en tirent leur origine.

ART. 70. De l'admiration; sa définition et sa cause.

L'admiration est une subite surprise de l'âme, qui fait qu'elle se porte à considérer avec attention les objets qui lui semblent rares et extraordinaires. Ainsi elle est causée premièrement par l'impression qu'on a dans le cerveau, qui représente l'objet comme rare et par conséquent digne d'être fort considéré; puis ensuite par le mouvement des esprits, qui sont disposés par cette impression à tendre avec grande force vers l'endroit du cerveau où elle est pour y fortifier et conserver; comme aussi ils sont disposés par elle à passer de là dans les muscles qui servent à retenir les organes des sens en la même situation qu'ils sont, afin qu'elle soit encore entretenue par eux, si c'est par eux qu'elle a été formée.

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