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et en Suède. On voit par-là que ces horreurs font de tout pays dans les temps de trouble et d'anarchie.

On jette d'abord par les fenêtres les knès Dolgorouki et Maffeu (r) les ftrélitz les reçoivent fur la pointe de leurs piques, les dépouillent et les traînent fur la grande place; auffitôt ils entrent dans le palais, ils y trouvent un des oncles du czar Pierre, Athanafe Nariskin, frère de la jeune czarine; ils le maffacrent de la même manière; ils forcent les portes d'une église voifine où trois profcrits s'etaient réfugiés; ils les arrachent de l'autel, les dépouillent et les affaffinent à coups de couteau.

Leur fureur était fi aveugle que, voyant passer un jeune feigneur de la maifon de Soltikof qu'ils aimaient, et qui n'était point fur la lifte des profcrits, quelquesuns d'eux ayant pris ce jeune homme pour Jean Nariskin qu'ils cherchaient, ils le tuèrent fur le champ. Ce qui découvre bien les mœurs de ces temps-là, c'eft qu'ayant reconnu leur erreur, ils portèrent le corps du jeune Soltikof à fon père pour l'enterrer, et le père malheureux, loin d'ofer fe plaindre, leur donna des récompenfes pour lui avoir rapporté le corps fanglant de fon fils. Sa femme, fes filles et l'épouse du mort lui reprochèrent fa faiblesse. Attendons le temps de la vengeance, leur dit le vieillard. Quelques ftrélitz entendirent ces paroles, ils rentrent furieux dans la chambre, traînent le père par les cheveux, et l'égorgent à la porte de fa maison.

D'autres ftrélitz vont chercher par-tout le médecin hollandais Vangad; ils rencontrent fon fils, ils lui (r) Ou Matheoff; c'eft Matthieu dans notre langue.

demandent où eft fon père; le jeune homme en tremblant répond qu'il l'ignore, et fur cette réponse il est égorgé. Ils trouvent un autre médecin allemand: ,, Tu es médecin, lui difent-ils; fi tu n'as pas empoifonné notre maître Fador, tu en as empoifonné ,, d'autres; tu mérites bien la mort ;,, et ils le tuent.

Enfin ils trouvent le hollandais qu'ils cherchaient; il s'était déguisé en mendiant; ils le traînent devant le palais; les princeffes qui aimaient ce bon homme, et qui avaient confiance en lui, demandent sa grâce aux ftrélitz, en les affurant qu'il eft un fort bon médecin, et qu'il a très-bien traité leur frère Fador. Les ftrélitz répondent que non-feulement il mérite la mort comme médecin, mais auffi comme forcier, et qu'ils ont trouvé chez lui un grand crapaud féché et une peau de ferpent. Ils ajoutent qu'il leur faut abfolument livrer le jeune Ivan Nariskin qu'ils cherchent en vain depuis deux jours, qu'il eft furement caché dans le palais, qu'ils y mettront le feu fi on ne leur donne leur victime. La fœur d'Ivan Nariskin, les autres princesses épouvantées vont dans la retraite où Jean Nariskin eft caché; le patriarche le confeffe, lui donne le viatique et l'extrême-onction, après quoi il prend une image de la Vierge qui paffait pour miraculeufe; il mène par la main le jeune homme, et s'avance aux ftrélitz en leur montrant l'image de la Vierge. Les princeffes en larmes entourent Nariskin, fe mettent à genoux devant les foldats, les conjurent au nom de la Vierge d'accorder la vie à leur parent; mais les foldats l'arrachent des mains des princeffes, ils le traînent au bas des efcaliers avec Vangad: alors ils forment entre eux une espèce de tribunal; ils

Juin 1682.

appliquent à la queftion Nariskin et le médecin. Un d'entre eux, qui savait écrire, dreffe un procès-verbal; ils condamnent les deux infortunés à être hachés en pièces; c'eft un fupplice ufité à la Chine et en Tartarie pour les parricides: on l'appelle le fupplice des dix mille morceaux. Après avoir ainfi traité Nariskin et Vangad, ils expofent leurs têtes, leurs pieds et leurs mains fur les pointes de fer d'une balustrade.

Pendant qu'ils affouviffaient leur fureur aux yeux des princeffes, d'autres maffacraient tous ceux qui leur étaient odieux, ou fufpects à Sophie.

Cette exécution horrible finit par proclamer fouverains les deux princes Ivan et Pierre, en leur affociant leur fœur Sophie en qualité de co-régente. Alors elle approuva tous leurs crimes et les récompenfa, confifqua les biens des profcrits, et les donna aux affaffins ; elle leur permit même d'élever un monument, fur lequel ils firent graver les noms de ceux qu'ils avaient mafsacrés comme traîtres à la patrie; elle leur donna enfin des lettres patentes par lesquelles elles les remerciait de leur zèle et de leur fidélité.

CHAPITRE V.

GOUVERNEMENT DE LA PRINCESSE

SOPHIE.

Querelle fingulière de religion. Confpiration.

VOILA

OILA par quels degrés la princeffe Sophie (s) monta en effet fur le trône de Ruffie fans être déclarée czarine, et voilà les premiers exemples qu'eut Pierre I devant les yeux. Sophie eut tous les honneurs d'une fouveraine; fon bufte fur les monnaies, la fignature pour toutes les expéditions, la première place au confeil, et fur-tout la puiffance fuprême. Elle avait beaucoup d'efprit, fefait même des vers dans fa langue, écrivait et parlait bien : une figure agréable relevait encore tant de talens, fon ambition feule les ternit.

Elle maria fon frère Ivan fuivant la coutume dont nous avons vu tant d'exemples. Une jeune Soltikof, de la maison de ce même Soltikof que les ftrélitz avaient affaffiné, fut choifie au milieu de la Sibérie, où fon père commandait dans une fortereffe, pour être préfentée au czar Ivan à Mofcou. Sa beauté l'emporta fur les brigues de toutes fes rivales. Ivan l'époufa, en 1684. Il femble à chaque mariage d'un czar qu'on life l'hiftoire d'Affuérus ou celle du second Théodofe.

(s) Tiré tout entier des mémoires envoyés de Pétersbourg.

1682.

N. ft.

Au milieu des fêtes de ce mariage, les ftrélitz excitèrent un nouveau foulèvement; et, qui le croirait? c'était pour la religion, c'était pour le dogme. S'ils n'avaient été que foldats, ils ne feraient pas devenus controverfiftes; mais ils étaient bourgeois de Mofcou. Du fond des Indes jufqu'aux extrémités de l'Europe, quiconque fe trouve ou fe met en droit de parler avec autorité à la populace, peut fonder une secte; et c'eft ce qu'on a vu dans tous les temps, fur-tout depuis que la fureur du dogme eft devenue l'ame des audacieux et le joug des imbécilles.

On avait déjà effuyé quelques féditions en Ruffie, dans les temps où l'on difputait fi la bénédiction devait fe donner avec trois doigts ou avec deux. Un certain Abakum, archiprêtre, avait dogmatifé à Mofcou fur le 16 juillet SAINT-ESPRIT, qui felon l'évangile doit illuminer tout fidèle; fur l'égalité des premiers chrétiens, fur ces paroles de JESUS: Il n'y aura ni premier ni dernier. Plufieurs citoyens, plufieurs ftrélitz embrassèrent les opinions d'Abakum: le parti fe fortifia: un certain Rafpop en fut le chef. Les fectaires enfin entrèrent dans la cathédrale, où le patriarche et fon clergé officiaient: ils le chafsèrent lui et les fiens à coups de pierres, et fe mirent dévotement à leur place pour recevoir le SAINT-ESPRIT. Ils appelaient le patriarche loup raviffeur dans le bercail, titre que toutes les communions se font libéralement donné les unes aux autres. On courut avertir la princeffe Sophie et les deux czars de ces défordres; on fit dire aux autres ftrélitz qui foutenaient la bonne cause, que les czars et l'Eglise étaient en danger. Le parti des ftrélitz et bourgeois patriarchaux en vint aux mains contre la faction des Abakumiftes;

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