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vœux impuiffans; les querelles des princes chrétiens, et les intérêts qui naiffent de ces querelles mêmes, les mettant toujours hors d'état de fe réunir contre l'ennemi de la chrétienté.

Les Ottomans cependant menaçaient de fubjuguer 1674. la Pologne, qui refufait de payer le tribut. Le czar Alexis la fecourut du côté de la Crimée, et le général de la couronne, Jean Sobieski, lava la honte de fon pays dans le fang des Turcs, à la célèbre bataille de Choczin qui lui fraya le chemin au trône. Alexis difputa ce trône, et propofa d'unir ses vastes Etats à la Pologne, comme les Jagellons y avaient joint la Lithuanie; mais plus fon offre était grande, moins elle fut acceptée. Il était très-digne, dit-on, de ce nouveau royaume par la manière dont il gouvernait les fiens. C'est lui qui le premier fit rédiger un code de lois quoiqu'imparfait ; il introduifit des manufactures de toile et de foie, qui, à la vérité, ne fe foutinrent pas, mais qu'il eut le mérite d'établir. Il peupla des déferts vers le Volga et la Kama de familles lithuaniennes, polonaises et tartares, prifes dans fes guerres. Tous les prifonniers auparavant étaient esclaves de ceux auxquels ils tombaient en partage; Alexis en fit des cultivateurs : il mit autant qu'il put la discipline dans fes armées; enfin il était digne d'être le père de Pierre le grand; mais il n'eut le temps de perfectionner rien de ce qu'il entreprit ; une mort prématurée l'enleva à l'âge de quarante-fix ans, au commencement de 1677, felon notre calendrier, qui avance toujours de onze jours fur celui des Ruffes.

Après Alexis, fils de Michel, tout retomba dans la confufion. Il laiffait, de fon premier mariage, deux princes et fix princeffes. L'aîné, Fador, monta fur le Hifloire de Ruffie.

F

Fador

Alexiovita.

trône, âgé de quinze ans ; prince d'un tempérament faible et valétudinaire, mais d'un mérite qui ne tenait pas de la faibleffe de fon corps. Alexis, fon père, l'avait fait reconnaître pour fon fucceffeur un an auparavant. C'est ainfi qu'en usèrent les rois de France depuis Hugues-Capet jufqu'à Louis le jeune, et tant d'autres fouverains.

Le fecond des fils d'Alexis était Ivan ou Jean, encore plus maltraité par la nature que fon frère Fador; prefque privé de la vue et de la parole, ainfi que de fanté, et attaqué fouvent de convulfions. Des fix filles nées de ce premier mariage, la feule célèbre en Europe fut la princeffe Sophie, diftinguée par les talens de fon efprit, mais malheureusement plus connue encore par le mal qu'elle voulut faire à Pierre le grand.

Alexis, de fon fecond mariage avec une autre de fes fujettes, fille du boyard Nariskin, laiffa Pierre et la princeffe Nathalie. Pierre, né le 30 mai 1672, et fuivant le nouveau ftyle, 10 juin, avait à peine quatre ans et demi quand il perdit fon père. On n'aimait pas les enfans d'un fecond lit, et on ne s'attendait pas qu'il dût un jour régner.

L'efprit de la famille de Romano fut toujours de policer l'Etat; tel fut encore le caractère de Fador. Nous avons déjà remarqué, en parlant de Mofcou, qu'il encouragea les citoyens à bâtir plufieurs maisons de pierre. Il agrandit cette capitale; on lui doit quelques règlemens de police générale. Mais en voulant réformer les boyards, il les indisposa tous. D'ailleurs il n'était ni affez inftruit, ni affez actif, ni affez déterminé pour ofer concevoir un changement général. La guerre avec les Turcs, ou plutôt avec les Tartares de la

Crimée, qui continuait toujours avec des fuccès balancés, ne permettait pas à un prince d'une fanté faible de tenter ce grand ouvrage. Fador épousa, comme fes autres prédéceffeurs, une de fes fujettes, originaire des frontières de Pologne; et l'ayant perdue au bout d'une année, il prit pour feconde femme, en 1682, Marthe Mateona, fille du fecrétaire Apraxin. Il tomba malade quelques mois après de la maladie dont il mourut, et ne laiffa point d'enfant. Comme les czars fe mariaient fans avoir égard à la naiffance, ils pouvaient auffi choisir (du moins alors) un fucceffeur fans égard à la primogéniture. Il femblait que le rang de femme et d'héritier du fouverain dût être uniquement le prix du mérite; et en cela l'ufage de cet empire était bien fupérieur aux coutumes des Etats les plus civilifés.

Fador, avant d'expirer, voyant que fon frère Ivan, Avril 1682. trop difgracié de la nature, était incapable de régner, nomma pour héritier des Ruffies fon fecond frère, Pierre, qui n'était âgé que de dix ans, et qui fefait déjà concevoir de grandes efpérances.

Si la coutume d'élever les fujettes au rang de czarine était favorable aux femmes, il y en avait une autre bien dure: les filles des czars fe mariaient alors rarement; la plupart paffaient leur vie dans un monastère.

La princeffe Sophie, la troisième des filles du premier lit du czar Alexis, princeffe d'un efprit auffi fupérieur que dangereux, ayant vu qu'il reftait à fon frère Fador peu de temps à vivre, ne prit point le parti du couvent; et, fe trouvant entre fes deux autres frères qui ne pouvaient gouverner, l'un par fon incapacité, l'autre par fon enfance, elle conçut le deffein

de fe mettre à la tête de l'empire: elle voulut, dans les derniers temps de la vie du czar Fador, renouveler le rôle que joua autrefois Pulcherie avec l'empereur Théodofe, fon frère.

CHAPITRE IV.

A

IVAN ET PIERRE.

Horrible fédition de la milice des frélitz.

PEINE Fador fut-il expiré (q) que la nomination d'un prince de dix ans au trône, l'exclusion de l'aîné, et les intrigues de la princeffe Sophie, leur fœur, excitèrent dans le corps des ftrélitz une des plus fanglantes révoltes. Les janiffaires ni les gardes prétoriennes ne furent jamais fi barbares. D'abord deux jours après les obsèques du czar Fador, ils courent en armes au krémelin; c'eft, comme on fait, le palais des czars à Mofcou: ils commencent par fe plaindre de neuf de leurs colonels qui ne les avaient pas affez exactement payés. Le ministère eft obligé de caffer les colonels, et de donner aux ftrélitz l'argent qu'ils demandent. Ces foldats ne font pas contens; ils veulent qu'on leur remette les neuf officiers, et les condamnent, à la pluralité des voix, au fupplice qu'on appelle des batogues: voici comme on inflige ce fupplice.

(9) Tiré tout entier des mémoires envoyés de Moscou et de Pétersbourg.

On dépouille nu le patient; on le couche fur le ventre, et deux bourreaux le frappent fur le dos avec des baguettes jufqu'à ce que le juge dife: C'eft affez. Les colonels, ainfi traités par leurs foldats, furent encore obligés de les remercier, felon l'ufage oriental des criminels qui, après avoir été punis, baisent la main de leurs juges; ils ajoutèrent à leurs remercîmens une fomme d'argent, ce qui n'était pas d'ufage.

Tandis que les ftrélitz commençaient ainsi à se faire craindre, la princeffe Sophie, qui les animait fous main pour les conduire de crime en crime, convoquait chez elle une assemblée des princesses du fang, des généraux d'armée, des boyards, du patriarche, des évêques et même des pricipaux marchands: elle leur représentait que le prince Ivan, par fon droit d'aînesse et par fon mérite, devait avoir l'empire, dont elle espérait en fecret tenir les rênes. Au fortir de l'affemblée, elle fait promettre aux ftrélitz une augmentation de paye et des préfens. Ses émiffaires excitent fur-tout la foldatefque contre la famille des Nariskin, et principalement contre les deux Nariskin, frères de la jeune czarine douairière, mère de Pierre I. On perfuade aux ftrélitz qu'un de ces frères, nommé Jean, a pris la robe du czar, qu'il s'eft mis fur le trône, et qu'il a voulu étouffer le prince Ivan; on ajoute qu'un malheureux médecin hollandais, nommé Daniel Vangad, a empoisonné le czar Fador. Enfin Sophie fait remettre entre leurs mains une lifte de quarante feigneurs qu'elle appelle leurs ennemis et ceux de l'Etat, et qu'ils doivent maffacrer. Rien ne reffemble plus aux profcriptions de Sylla et des triumvirs de Rome. Chriftiern II les avait renouvelées en Danemarck

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