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de la Chine? Les Tartares usbecks ont fuccédé aux Huns, et les Ruffes aux Usbecks. On s'eft difputé ces contrées fauvages, ainfi qu'on s'eft exterminé pour les plus fertiles. La Sibérie fut autrefois plus peuplée qu'elle ne l'eft, fur-tout vers le Midi : on en juge par des tombeaux et par des ruines.

Toute cette partie du monde, depuis le foixantième degré ou environ jufqu'aux montagnes éternellement glacées qui bornent les mers du Nord, ne reffemble en rien aux régions de la zone tempérée; ce ne font ni les mêmes plantes, ni les mêmes animaux fur la terre, ni les mêmes poiffons dans les lacs et dans les rivières.

Au-deffous de la contrée des Samoïèdes eft celle des Oftiaks, le long du fleuve Oby. Ils ne tiennent en rien des Samoïèdes, finon qu'ils font, comme eux et comme tous les premiers hommes, chaffeurs, pasteurs et pêcheurs; les uns fans religion, parce qu'ils ne font pas rassemblés ; les autres, qui composent des hordes, ayant une espèce de culte, fefant des vœux au principal objet de leurs befoins ; ils adorent, dit-on, une peau de mouton, parce que rien ne leur eft plus néceffaire que ce bétail; de même que les anciens Egyptiens agriculteurs choififfaient un bœuf, pour adorer dans l'emblême de cet animal la divinité qui l'a fait naître pour l'homme. Quelques auteurs prétendent que ces Oftiaks adorent une peau d'ours, attendu qu'elle eft plus chaude que celle de mouton; il fe peut qu'ils n'adorent ni l'une ni l'autre.

Les Ofliaks ont auffi d'autres idoles dont ni l'origine ni le culte ne méritent pas plus notre attention

que leurs adorateurs. On a fait chez eux quelques chrétiens, vers l'an 1712; ceux-là font chrétiens, comme nos paysans les plus groffiers, fans favoir ce qu'ils font. Plufieurs auteurs prétendent que ce peuple eft originaire de la grande Permie: mais cette grande Permie eft prefque déferte: pourquoi fes habitans fe feraient-ils établis fi loin et fi mal? Ces obfcurités ne valent pas nos recherches. Tout peuple qui n'a point cultivé les arts doit être condamné à être inconnu.

C'eft fur-tout chez ces Oftiaks, chez les Burates et les Jakutes leurs voifins, qu'on trouve fouvent dans la terre de cet ivoire dont on n'a jamais pu favoir l'origine: les uns le croient un ivoire foffile; les autres, les dents d'une espèce d'éléphant dont la race eft détruite. Dans quel pays ne trouve-t-on pas des productions de la nature qui étonnent, et qui confondent la philofophie?

Plufieurs montagnes de ces contrées font remplies de cet amiante, de ce lin incombuftible dont on fait tantôt de la toile, tantôt une espèce de papier.

Au midi des Oftiaks font les Burates, autre peuple qu'on n'a pas encore rendu chrétien. A l'eft il y a plufieurs hordes qu'on n'a pu entièrement foumettre. Aucun de ces peuples n'a la moindre connaissance du calendrier. Ils comptent par neiges et non par la marche apparente du foleil: comme il neige régulièrement et long-temps chaque hiver, ils difent, je fuis âgé de tant de neiges; comme nous disons, j'ai tant d'années.

Je dois rapporter ici ce que raconte l'officier fuédois Stralemberg qui, ayant été pris à Pultava, passa

quinze ans en Sibérie, et la parcourut toute entière; il dit qu'il y a encore des reftes d'un ancien peuple dont la peau eft bigarrée et tachetée, qu'il a vu des hommes de cette race; et ce fait m'a été confirmé par des ruffes nés à Tobol. Il femble que la variété des espèces humaines ait beaucoup diminué; on trouve peu de ces races fingulières que probablement les autres ont exterminées: par exemple, il y a très-peu de ces maures blancs ou de ces albinos dont un a été présenté à l'académie des fciences de Paris, et que j'ai vu. Il en est ainfi de plusieurs animaux dont l'efpèce est très-rare.

Quant aux Borandiens, dont il eft parlé fouvent dans la favante hiftoire du jardin du roi de France, mes mémoires difent que ce peuple eft abfolument inconnu.

Tout le midi de ces contrées eft peuplé de nombreuses hordes de tartares. Les anciens Turcs font fortis de cette Tartarie pour aller fubjuguer tous les pays dont ils font aujourd'hui en poffeffion. Les Calmouks, les Monguls font ces mêmes Scythes qui, conduits par Madies, s'emparèrent de la haute Afie, et vainquirent le roi des Mèdes, Cyaxarès. Ce font eux que Gengis-kan et fes enfans menèrent depuis jufqu'en Allemagne, et qui formèrent l'empire du Mogol fous Tamerlan. Ces peuples font un grand exemple des changemens arrivés chez toutes les nations. Quelquesunes de leurs hordes, loin d'être redoutables, font devenues vaffales de la Ruffie.

Telle eft une nation de Calmouks qui habite entre la Sibérie et la mer Cafpienne. C'est là qu'on a trouvé, en 1720, une maison fouterraine de pierres,

Du Kamshatka.

des urnes, des lampes, des pendans d'oreilles, une ftatue équeftre d'un prince oriental portant un diadême fur fa tête, deux femmes affifes fur des trônes, un rouleau de manufcrits envoyé par Pierre le grand à l'académie des infcriptions de Paris, et reconnu pour être en langue du Thibet: tous témoignages finguliers que les arts ont habité ce pays aujourd'hui barbare, et preuves fubfiftantes de ce qu'a dit Pierre le grand plus d'une fois, que les arts avaient fait le tour du monde.

La dernière province eft le Kamshatka, le pays le plus oriental du continent. Le nord de cette contrée fournit auffi de belles fourrures; les habitans s'en revêtaient l'hiver, et marchaient nus l'été. On fut furpris de trouver dans les parties méridionales des hommes avec de longues barbes, tandis que dans les parties feptentrionales, depuis le pays des Samoïèdes jufqu'à l'embouchure du fleuve Amour ou Amur, les hommes n'ont pas plus de barbe que les Américains. C'eft ainfi que dans l'empire de Ruffie il y a plus de différentes espèces, plus de fingularités, plus de mœurs différentes que dans aucun pays

de l'univers.

Des mémoires récens m'apprennent que ce peuple fauvage a auffi fes théologiens, qui font defcendre les habitans de cette prefqu'île d'une espèce d'être fupérieur qu'ils appellent Kouthou. Ces mémoires difent qu'ils ne lui rendent aucun culte, qu'ils ne l'aiment ni ne le craignent.

Ainfi ils auraient une mythologie, et ils n'ont point de religion; cela pourrait être vrai, et n'est guère vraisemblable: la crainte eft l'attribut naturel des hommes. On prétend que dans leurs abfurdités

ils diftinguent des chofes permifes et des chofes défendues: ce qui eft permis, c'eft de fatisfaire toutes fes paffions; ce qui eft défendu, c'est d'aiguifer un couteau ou une hache quand on eft en voyage, et de fauver un homme qui fe noie. Si en effet c'eft un péché parmi eux de fauver la vie à fon prochain, ils font en cela différens de tous les hommes, qui courent par inftinct au fecours de leurs femblables, quand l'intérêt ou la paffion ne corrompt pas en eux ce penchant naturel. Il femble qu'on ne pourrait parvenir à faire un crime d'une action fi commune et fi néceffaire qu'elle n'eft pas même une vertu, que par une philofophie également fauffe et superstitieuse, qui perfuaderait qu'il ne faut pas s'oppofer à la providence, et qu'un homme destiné par le ciel à être noyé ne doit pas être fecouru par un homme: mais les barbares font bien loin d'avoir même une fauffe philofophie.

Cependant ils célèbrent, dit-on, une grande fête, qu'ils appellent dans leur langage d'un mot qui fignifie purification; mais de quoi fe purifient-ils, fi tout leur eft permis? et pourquoi fe purifient-ils, s'ils ne craignent ni n'aiment leur dieu Kouthou?

Ily a fans doute des contradictions dans leurs idées, comme dans celles de prefque tous les peuples; les leurs font un défaut d'efprit, et les nôtres en font un abus; nous avons beaucoup plus de contradictions qu'eux, parce que nous avons plus raisonné.

Comme ils ont une espèce de dieu, ils ont auffi des démons; enfin, il y a parmi eux des forciers, ainfi qu'il y en a toujours eu chez toutes les nations les plus policées. Ce font les vieilles qui font forcières

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