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1724. d'atour immédiatement après la mort de fon époux, et de lui donner toute fa faveur. Le devoir d'un hiftorien eft de rapporter ces bruits publics qui ont éclaté dans tous les temps et dans tous les Etats à la mort des princes enlevés par une mort prématurée, comme fi la nature ne suffisait pas à nous détruire; mais le même devoir exige qu'on faffe voir combien ces bruits étaient téméraires et injuftes.

1725.

Il y a une distance immenfe entre le mécontentement paffager que peut caufer un mari févère, et la réfolution défefpérée d'empoifonner un époux et un maître auquel on doit tout. Le danger d'une telle entreprise eût été auffi grand que le crime. Il y avait alors un grand parti contre Catherine, en faveur du fils de l'infortuné czarovitz. Cependant ni cette faction, ni aucun homme de la cour ne foupçonnèrent Catherine, et les bruits vagues qui coururent, ne furent que l'opinion de quelques étrangers mal inftruits, qui fe livrèrent fans aucune raifon à ce plaifir malheureux de fuppofer de grands crimes à ceux qu'on croit intéreffés à les commettre. Cet intérêt même était fort douteux dans Catherine; il n'était pas sûr qu'elle dût fuccéder; elle avait été couronnée, mais feulement en qualité d'épouse du fouverain, et non comme devant être fouveraine après lui.

La déclaration de Pierre n'avait ordonné cet appareil que comme une cérémonie et non comme un droit de régner: elle rappelait les exemples des empereurs romains qui avaient fait couronner leurs épouses, et aucune d'elles ne fut maîtreffe de l'empire. Enfin, dans le temps même de la maladie de Pierre, plufieurs crurent que la princeffe Anne Petrona lui fuccéderait,

conjointement avec le duc de Holftein fon époux, 1725. ou que l'empereur nommerait fon petit-fils pour fon fucceffeur : ainfi, bien loin que Catherine eût intérêt à la mort de l'empereur, elle avait befoin de fa confervation.

Il était conftant que Pierre était attaqué depuis long-temps d'un abcès et d'une retention d'urine qui lui caufait des douleurs aiguës. Les eaux minérales d'Olonitz et d'autres qu'il mit en usage ne furent que d'inutiles fecours : on le vit s'affaiblir fenfiblement depuis le commencement de l'année 17 24. Ses travaux, dont il ne fe relâcha jamais, augmentèrent fon mal et hâtèrent fa fin: son état parut bientôt mortel; il reffentit des chaleurs brûlantes qui le jetaient dans un délire prefque continuel: il voulut écrire dans un moment Janvier. d'intervalle que lui laissèrent fes douleurs, (n) mais fa main ne forma que des caractères inlifibles, dont on ne put déchiffrer que ces mots en ruffe: Rendez tout à...

Il cria qu'on fît venir la princeffe Anne Petrona, à laquelle il voulait dicter; mais lorfqu'elle parut devant fon lit il avait déjà perdu la parole, et il tomba dans une agonie qui dura feize heures. L'impératrice Catherine n'avait pas quitté fon chevet depuis trois nuits; il mourut enfin entre fes bras, le 28 janvier, vers les quatre heures du matin.

On porta fon corps dans la grand'falle du palais, fuivi de toute la famille impériale, du fénat, de toutes les perfonnes de la première diftinction et d'une foule de peuple: il fut expofé fur un lit de parade, et tout le monde eut la liberté de l'approcher et de lui baiser (n) Mémoires mff, du comte de Baffevitz.

172 5. la main, jufqu'au jour de fon enterrement qui fe fit le mars 17 25.

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On a cru, on a imprimé qu'il avait nommé fon époufe Catherine héritière de l'empire par fon teftament; mais la vérité eft qu'il n'avait point fait de teftament, ou que du moins il n'en a jamais paru; négligence bien étonnante dans un législateur, et qui prouve qu'il n'avait pas cru fa maladie mortelle.

On ne favait point à l'heure de fa mort qui remplirait fon trône; il laiffait Pierre fon petit-fils, né de l'infortuné Alexis; il laiffait fa fille aînée, la ducheffe de Holftein. Il y avait une faction confidérable en faveur du jeune Pierre. Le prince Menzikoff, lié avec l'impératrice Catherine dans tous les temps, prévint tous les partis et tous les deffeins. Pierre était prêt d'expirer, quand Menzikoff fit paffer l'impératrice dans une falle où leurs amis étaient déjà affemblés; on fait transporter le tréfor à la fortereffe, on s'affure des gardes; le prince Menzikoff gagna l'archevêque de Novogorod; Catherine tint avec eux, et avec un fecrétaire de confiance, nommé Macarof, un confeil fecret, où affifta le miniftre du duc de Holftein.

L'impératrice, au fortir de ce confeil, revint auprès de fon époux mourant, qui rendit les derniers foupirs entre fes bras. Auffitôt les fénateurs, les officiers généraux accoururent au palais; l'impératrice les harangua; Menzikoff répondit en leur nom; on délibéra pour la forme hors de la présence de l'impératrice. L'archevêque de Plefcou, Théophane, déclara que l'empereur avait dit, la veille du couronnement de Catherine, qu'il ne la couronnait que pour la faire régner après

lui;

lui; toute l'affemblée figna la proclamation, et Catherine fuccéda à fon époux le jour même de sa mort.

Pierre le grand fut regretté en Ruffie de tous ceux qu'il avait formés, et la génération qui fuivit celle des partisans des anciennes mœurs le regarda bientôt comme fon père. Quand les étrangers ont vu que tous fes établissemens étaient durables, ils ont eu pour lui une admiration conftante, et ils ont avoué qu'il avait été infpiré plutôt par une fageffe extraordinaire que par l'envie de faire des choses étonnantes. L'Europe a reconnu qu'il avait aimé la gloire, mais qu'il l'avait mife à faire du bien, que fes défauts n'avaient jamais affaibli fes grandes qualités, qu'en lui l'homme eut fes taches, et que le monarque fut toujours grand: il a forcé la nature en tout, dans fes fujets, dans luimême, et fur la terre et fur les eaux; mais il l'a forcée pour l'embellir. Les arts, qu'il a transplantés de fes mains dans des pays dont plufieurs alors étaient fauvages, ont, en fructifiant, rendu témoignage à fon génie et éternifé fa mémoire; ils paraissent aujourd'hui originaires des pays mêmes où il les a portés. Lois, police, politique, discipline militaire, marine, commerce, manufactures, fciences, beaux arts, tout s'eft perfectionné felon fes vues ; et, par une fingularité dont il n'eft point d'exemple, ce font quatre femmes, montées après lui fucceffivement fur le trône, qui ont maintenu tout ce qu'il acheva, et ont perfectionné tout ce qu'il entreprit.

Le palais a eu des révolutions après fa mort; l'Etat n'en a éprouvé aucune. La fplendeur de cet empire s'eft augmentée fous Catherine I; il a triomphé des Turcs et des Suédois fous Anne Petrona; il a conquis Hift. de Ruffie.

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fous Elifabeth la Pruffe et une partie de la Pomeranie; il a joui d'abord de la paix, et il a vu fleurir les arts fous Catherine II.

C'eft aux hiftoriens nationaux d'entrer dans tous les détails des fondations, des lois, des guerres et des entreprises de Pierre le grand; ils encourageront leurs compatriotes en célébrant tous ceux qui ont aidé ce monarque dans fes travaux guerriers et politiques. Il fuffit à un étranger, amateur défintéreffé du mérite d'avoir effayé de montrer ce que fut le grand homme qui apprit de Charles XII à le vaincre, qui fortit deux fois de fes Etats pour les mieux gouverner, qui travailla de ses mains à prefque tous les arts néceffaires, pour en donner l'exemple à son peuple, et qui fut le fondateur et le père de fon empire.

Les fouverains des Etats depuis long-temps policés fe diront à eux-mêmes: Si, dans les climats glacés ,, de l'ancienne Scythie, un homme, aidé de fon feul " génie, a fait de fi grandes chofes, que devons-nous ,, faire dans des royaumes où les travaux accumulés ❞ de plufieurs fiècles nous ont rendu tout facile?",

Fin de l'Hiftoire de Pierre le grand.

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