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la fronde, les temps de la St Barthelemi, de Charles VI et du roi Jean en France, les guerres civiles d'Angleterre, la longue dévaftation de la Ruffie entière par les Tartares, ou ces mêmes Tartares envahiffant la Chine; on aura quelque idée des fléaux qui ont défolé la Perfe.

Il fuffit d'un prince faible et inappliqué, et d'un fujet puiffant et entreprenant pour plonger un royaume entier dans cet abyme de défaftres. Le sha ou shac, ou fophi de Perfe, Huffein,defcendant du grand Sha-Abas, était alors fur le trône: il fe livrait à la molleffe; fon premier miniftre commit des injuftices et des cruautés que la faibleffe d'Huffein toléra: voilà la fource de quarante ans de carnage.

La Perse, de même que la Turquie, a des provinces différemment gouvernées; elle a des fujets immédiats, des vaffaux, des princes tributaires, des peuples même à qui la cour payait un tribut fous le nom de penfion ou de fubfide; tels étaient, par exemple, les peuples du Daguestan, qui habitaient les branches du mont Caucase, à l'occident de la mer Cafpienne: ils fefaient autrefois partie de l'ancienne Albanie; car tous les peuples ont changé leurs noms et leurs limites; ces peuples s'appellent aujourd'hui les Lefguis: ce font des montagnards plutôt fous la protection que fous la domination de la Perfe: on leur payait des fubfides pour défendre ces frontières.

A l'autre extrémité de l'empire, vers les Indes, était le prince de Candahar, qui commandait à la milice des Aguans. Ce prince était un vaffal de la Perfe, comme les hofpodars de Valachie et de Moldavie font vaffaux de l'empire turc: ce vaffelage n'eft point

héréditaire; il reffemble parfaitement aux anciens fiefs établis dans l'Europe par les efpèces de tartares qui bouleversèrent l'empire romain. La milice des Aguans, gouvernée par le prince de Candahar, était celle de ces mêmes Albanois des côtes de la mer Cafpienne, voifins du Dagueftan, mêlés de Circaffes et de Géorgiens, pareils aux anciens Mamelucs qui fubjuguèrent l'Egypte : on les appela les Aguans par corruption. Timur, que nous nommons Tamerlan, avait mené cette milice dans l'Inde, et elle resta établie dans cette province de Candahar, qui tantôt appartint à l'Inde, tantôt à la Perse. C'est par ces Aguans et par ces Lefguis que la révolution commença.

Myr Veitz ou Mirivitz, intendant de la province, prépofé uniquement à la levée des tributs, affaffina le prince de Candahar, fouleva la milice, et fut maître du Candahar jufqu'à fa mort arrivée en 1717. Son frère lui fuccéda paisiblement en payant un léger tribut à la Porte perfanne: mais le fils de Mirivitz, né avec la même ambition que fon père, affaffina fon oncle, et voulut devenir un conquérant. Ce jeune homme s'appelait Myr Mahmoud; mais il ne fut connu en Europe que fous le nom de fon père, qui avait commencé la rebellion. Mahmoud joignit à fes Aguans ce qu'il put ramaffer de guèbres, anciens perfes difperfes autrefois par le calife Omar, toujours attachés à la religion des mages, fi floriffante autrefois fous Cyrus, et toujours ennemis fecrets des nouveaux Perfans. Enfin il marcha dans le cœur de la Perfe, à la tête de cent mille combattans.

Dans le même temps les Lefguis ou Albanois, à qui le malheur des temps n'avait pas permis qu'on

payât

payât leurs fubfides, defcendirent en armes de leurs montagnes; de forte que l'incendie s'alluma des deux bouts de l'empire jufqu'à la capitale.

Ces Lefguis ravagèrent tout le pays qui s'étend le long du bord occidental de la mer Cafpienne jufqu'à Derbent ou la porte de fer. Dans cette contrée qu'ils dévastèrent est la ville de Shamachie, à quinze lieues communes de la mer : on prétend que c'eft l'ancienne demeure de Cyrus, à laquelle les Grecs donnèrent le nom de Cyropolis; car nous ne connaiffons que par les Grecs la pofition et les noms de ce pays et de même que les Perfans n'eurent jamais de prince qu'ils appelaffent Cyrus, ils eurent encore moins de ville qui s'appelât Cyropolis. C'eft ainfi que les juifs, qui fe mêlèrent d'écrire quand ils furent établis dans Alexandrie, imaginèrent une ville de Scythopolis, bâtie, difaient-ils, par les Scythes auprès de la Judée; comme fi les Scythes et les anciens Juifs avaient pu donner des noms grecs à des villes.

Cette ville de Shamachie était opulente. Les Arméniens voisins de cette partie de la Perfe y fefaient un commerce immense, et Pierre venait d'y établir à fes frais une compagnie de marchands ruffes qui commençait à être floriffante. Les Lesguis surprirent la ville, la faccagèrent, égorgèrent tous les ruffes qui trafiquaient fous la protection de sha Huffein, et pillèrent leurs magafins, dont on fit monter la perte à près de quatre millions de roubles.

Pierre envoya demander fatisfaction à l'empereur Huffein, qui difputait encore fa couronne, et au tyran Mahmoud qui l'ufurpait. Huffein ne put lui rendre juftice, et Mahmoud ne le voulut pas. Pierre réfolut de Hift. de Ruffie.

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fe faire juftice lui-même, et de profiter des défordres de la Perfe.

Myr Mahmoud poursuivait toujours en Perfe le cours de fes conquêtes. Le fophi apprenant que l'empereur de Ruffie fe préparait à entrer dans la mer Cafpienne, pour venger le meurtre de ses sujets égorgés dans Shamachie, le pria fecrètement, par la voie d'un arménien, de venir en même temps au fecours de la Perfe.

Pierre méditait depuis long-temps le projet de dominer fur la mer Cafpienne par une puiffante marine, et de faire passer par fes Etats le commerce de la Perfe et d'une partie de l'Inde. Il avait fait fonder les profondeurs de cette mer, examiner les côtes et dresser des cartes exactes. Il partit donc pour la Perse, le 15 mai 1722. Son époufe l'accompagna dans ce voyage comme dans les autres. On defcendit le Volga jufqu'à la ville d'Aftracan. De là il courut faire rétablir les canaux qui devaient joindre la mer Cafpienne, la mer Baltique et la mer Blanche; ouvrage qui a été achevé en partie fous le règne de fon petit-fils.

Pendant qu'il dirigeait fes ouvrages, fon infanterie, fes munitions étaient déjà fur la mer Cafpienne. Il avait vingt-deux mille hommes d'infanterie, neuf 1722. mille dragons, quinze mille cofaques trois mille matelots manœuvraient et pouvaient fervir de foldats dans les defcentes. La cavalerie prit le chemin de terre par les déferts où l'eau manque fouvent ; et quand on a paffé ces déferts, il faut franchir les montagnes du Caucase, où trois cents hommes pourraient arrêter une armée mais dans l'anarchie où était la Perfe on pouvait tout tenter.

Le czar vogua environ cent lieues au midi d'Aftracan jufqu'à la petite ville d'Andréhof. On est étonné de voir le nom d'André fur le rivage de la mer d'Hircanie; mais quelques géorgiens, autrefois espèce de chrétiens, avaient bâti cette ville, et les Perfans l'avaient fortifiée; elle fut aifément prife. De là on s'avança toujours par terre dans le Daguestan; on répandit des manifeftes en perfan et en turc: il était néceffaire de ménager la Porte ottomane, qui comptait parmi fes fujets non-feulement les Circaffes et les Géorgiens voisins de ce pays, mais encore quelques grands vaffaux, rangés depuis peu fous la protection de la Turquie.

Entre autres il y en avait un fort puissant nommé Mahmoud d'Utmich, qui prenait le titre de fultan, et qui ofa attaquer les troupes de l'empereur ruffe; il fut défait entièrement, et la relation porte qu'on fit de fon pays un feu de joie.

Bientôt Pierre arriva à Derbent, que les Perfans et 14 septemb. les Turcs appellent Demir-cadi, la porte de fer: elle 1722. eft ainfi nommée, parce qu'en effet il y avait une porte

de fer du côté du Midi. C'eft une ville longue et
étroite qui fe joint par en haut à une branche escarpée
du Caucase, et dont les murs font baignés à l'autre
bout par les vagues
de la mer, qui s'élèvent fouvent
au-deffus d'eux dans les tempêtes. Ces murs pour-
raient passer pour une merveille de l'antiquité, hauts
de quarante pieds, et larges de fix, flanqués de tours
quarrées à cinquante pieds l'une de l'autre : tout cet
ouvrage paraît d'une feule pièce; il eft bâti de grès
et de coquillages broyés qui ont fervi de mortier, et
le tout forme une maffe plus dure que le marbre; on

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