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romaine, pour laquelle il avait une averfion trèspardonnable à un prince du rite grec, qui veut être le maître chez lui. Il donna auffi de pareils fpectacles aux dépens des moines de fa patrie, mais des anciens moines qu'il voulait rendre ridicules, tandis qu'il réformait les nouveaux.

Nous avons déjà vu qu'avant qu'il promulguât fes lois eccléfiaftiques, il avait créé pape un de fes fous, et qu'il avait célébré la fête du conclave. Ce fou, nommé Sotof, était âgé de quatre-vingt-quatre ans. Le czar imagina de lui faire époufer une veuve de fon âge, et de célébrer folennellement cette noce; il fit faire l'invitation par quatre bègues; des vieillards décrépits conduifaient la mariée;quatre des plus gros hommes de Ruffie fervaient de coureurs : la musique était fur un char conduit par des ours qu'on piquait avec des pointes de fer, et qui par leurs mugiffemens formaient une baffe digne des airs qu'on jouait fur le chariot. Les mariés furent bénis dans la cathédrale par un prêtre aveugle et fourd, à qui on avait mis des lunettes. La proceffion, le mariage, le repas des noces, le déshabillé des mariés, la cérémonie de les mettre au lit, tout fut également convenable à la bouffonnerie de ce divertissement,

Une telle fête nous paraît bien bizarre; mais l'est-elle plus que nos divertissemens du carnaval?eft-il plus beau de voir cinq cents perfonnes, portant fur le vifage des mafques hideux, et fur le corps des habits ridicules, fauter toute une nuit dans une falle fans fe parler?

Nos anciennes fêtes des fous et de l'âne et de l'abbé des cornards dans nos églifes étaient-elles plus majef tueuses? et nos comédies de la Mére fotte montraientelles plus de génie?

CHAPITRE X V.

Des négociations d'Aland. De la mort de Charles XII. De la paix de Neustadt.

CE s travaux immenfes du czar, ce détail de tout l'empire ruffe et le malheureux procès du prince Alexis n'étaient pas les feules affaires qui l'occupaffent : il fallait fe couvrir au dehors, en réglant l'intérieur de fes Etats. La guerre continuait toujours avec la Suède, mais mollement, et ralentie par les efpérances d'une paix prochaine.

Il est conftant que, dans l'année 1717, le cardinal Albéroni, premier miniftre de Philippe V, roi d'Efpagne, et le baron de Gortz, devenu maître de l'efprit de Charles XII, avaient voulu changer la face de l'Europe, en réuniffant Pierre avec Charles, en détrônant le roi d'Angleterre, George I, en rétabliffant Staniflas en Pologne, tandis qu'Albéroni donnerait à Philippe, son maître, la régence de la France. Gortz s'était, comme on a vu, ouvert au czar même. Albéroni avait entamé une négociation avec le prince Kourakin, ambassadeur du czar à la Haie, par l'ambassadeur d'Espagne Baretti Landi, mantouan, transplanté en Espagne, ainfi que le cardinal.

C'étaient des étrangers qui voulaient tout bouleverfer pour des maîtres dont ils n'étaient pas nés fujets, ou plutôt pour eux-mêmes. Charles XII donna dans tous ces projets, et le czar fe contenta de les examiner.

Il n'avait fait, dès l'année 1716, que de faibles efforts contre la Suède, plutôt pour la forcer à acheter la paix par la ceffion des provinces qu'il avait conquises, que pour achever de l'accabler.

Déjà l'activité du baron de Gortz avait obtenu du czar qu'il envoyât des plénipotentiaires dans l'île d'Aland, pour traiter de cette paix. L'écoffais Bruce, grand maître d'artillerie en Ruffie, et le célèbre Ofterman, qui depuis fut à la tête des affaires, arrivèrent au congrès précisément dans le temps qu'on arrêtait le czarovitz dans Mofcou. Gortz et Gyllembourg étaient déjà au congrès de la part de Charles XII; tous deux impatiens d'unir ce prince avec Pierre, et de fe venger du roi d'Angleterre. Ce qui était étrange, c'est qu'il y avait un congrès et point d'armiftice. La flotte du czar croifait toujours fur les côtes de Suède, et fefait des prifes: il prétendait par ces hoftilités accélérer la conclufion d'une paix fi nécessaire à la Suède, et qui devait être fi glorieufe à fon vainqueur.

Déjà, malgré les petites hoftilités qui duraient encore, toutes les apparences d'une paix prochaine étaient manifeftes. Les préliminaires étaient des actions de générofité qui font plus d'effet que des fignatures. Le czar renvoya fans rançon le maréchal Renfchild, que lui-même avait fait prifonnier, et le roi de Suède rendit de même les généraux Trubletskoy et Collovin, prifonniers en Suède depuis la journée de Nerva.

Les négociations avançaient; tout allait changer dans le Nord. Gortz propofait au czar l'acquisition du Mecklenbourg. Le duc Charles, qui poffédait ce duché, avait épousé une fille du czar Ivan, frère aîné de Pierre. La nobleffe de fon pays était foulevée contre lui.

Pierre avait une armée dans le Mecklenbourg, et prenait le parti du prince qu'il regardait comme fon gendre. Le roi d'Angleterre, électeur d'Hanovre, fe déclarait pour la nobleffe : c'était encore une manière de mortifier le roi d'Angleterre, en affurant le Mecklenbourg à Pierre déjà maître de la Livonie, et qui allait devenir plus puiffant en Allemagne qu'aucun électeur. On donnait en équivalent au duc de Mecklenbourg le duché de Courlande et une partie de la Pruffe, aux dépens de la Pologne à laquelle on rendait le roi Stanislas. Brême et Verden devaient revenir à la Suède; mais on ne pouvait en dépouiller le roi George I que par la force des armes. Le projet de Gortz était donc, comme on l'a déjà dit, que Pierre et Charles XII, unis non-feulement par la paix, mais par une alliance offenfive, envoyaffent en Ecoffe une armée. Charles XII, après avoir conquis la Norvège, devait defcendre en perfonne dans la Grande-Bretagne, et fe flattait d'y faire un nouveau roi, après en avoir fait un en Pologne. Le cardinal Albéroni promettait des fubfides à Pierre et à Charles. Le roi George en tombant entraînait probablement dans fa chute le régent de France, fon allié, qui, demeurant fans fupport, était livré à l'Efpagne triomphante et à la France foulevée.

Albéroni et Gortz fe croyaient fur le point de bouleverfer l'Europe d'un bout à l'autre. Une balle de coulevrine, lancée au hafard des baftions de Fredericshall en Norvège, confondit tous ces projets ; Charles XII fut tué, la flotte d'Espagne fut battue par les Anglais, la conjuration fomentée en France décou verte et diffipée; Albéroni chaffé d'Efpagne, Gortz décapité à Stockholm; et de toute cette ligue terrible,

à peine commencée, il ne refta de puiffant que le czar qui, ne s'étant compromis avec perfonne, donna la loi à tous les voisins.

Toutes les mesures furent changées en Suède après la mort de Charles XII: il avait été defpotique; et on n'élut fa fœur Ulrique reine, qu'à condition qu'elle renoncerait au defpotifme. Il avait voulu s'unir avec le czar contre l'Angleterre et fes alliés, et le nouveau gouvernement fuédois s'unit à ces alliés contre le czar.

Le congrès d'Aland ne fut pas, à la vérité, rompu; mais la Suède liguée avec l'Angleterre efpéra que des flottes anglaises, envoyées dans la Baltique, lui procureraient une paix plus avantageufe. Les troupes hanovriennes entrèrent dans les Etats du duc de Mecklenbourg; mais les troupes du czar les en chafsèrent.

Février

1716.

Il entretenait auffi un corps de troupes en Pologne, qui en impofait à la fois aux partifans d'Augufle et à ceux de Staniflas; et à l'égard de la Suède, il tenait une flotte prête qui devait ou faire une defcente fur les côtes, ou forcer le gouvernement fuédois à ne pas 1719. faire languir le congrès d'Aland. Cette flotte fut compofée de douze grands vaiffeaux de ligne, de plufieurs du fecond rang, de frégates et de galères : le czar en était le vice-amiral, commandant toujours fous l'amiral Apraxin.

Une efcadre de cette flotte fe fignala d'abord contre une escadre fuédoife, et après un combat opiniâtre, prit un vaiffeau et deux frégates. Pierre, qui encourageait par tous les moyens poffibles la marine qu'il avait créée, donna foixante mille livres de notre

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