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à fa gloire; on préfenta de ces médailles d'or à lui 1717. et à tous ceux qui l'accompagnaient. Allait-il chez les artistes; on mettait à fes pieds tous les chefs-d'œuvre, et on le fuppliait de daigner les recevoir allait-il voir les hautes-lices des gobelins, les tapis de la favonnerie, les atteliers des fculpteurs, des peintres, des orfévres du roi, des fabricateurs d'inftrumens de mathématique; tout ce qui femblait mériter fon approbation lui était offert de la part du roi.

Pierre était mécanicien, artiste, géomètre. Il alla à l'académie des fciences, qui fe para pour lui de tout ce qu'elle avait de plus rare; mais il n'y eut rien d'auffi rare que lui-même; il corrigea de fa main plufieurs fautes de géographie dans les cartes qu'on avait de fes Etats, et fur-tout dans celle de la mer Cafpienne. Enfin il daigna être un des membres de cette académie, et entretint depuis une correspondance fuivie d'expérience et de découvertes avec ceux dont il voulait bien être le fimple confrère. Il faut remonter aux Pythagore et aux Anacharfis pour trouver de tels voyageurs, et ils n'avaient pas quitté un empire pour s'inftruire.

On ne peut s'empêcher de remettre ici, fous les yeux du lecteur, ce tranfport dont il fut faifi en voyant le tombeau du cardinal de Richelieu : peu frappé de la beauté de ce chef-d'œuvre de fculpture, il ne le fut que de l'image d'un miniftre qui s'était rendu célèbre dans l'Europe, en l'agitant, et qui avait rendu à la France fa gloire perdue après la mort de Henri IV. On fait qu'il embraffa cette ftatue, et qu'il s'écria : Grand homme, je l'aurais donné la moitié de mes Etats pour apprendre de toi à gouverner l'autre. Enfin, avant

1717.

de partir, il voulut voir cette célèbre madame de Maintenon, qu'il favait être veuve en effet de Louis XIV, et qui touchait à fa fin. Cette espèce de conformité entre le mariage de Louis XIV et le fien excitait vivement fa curiofité; mais il y avait entre le roi de France et lui cette différence, qu'il avait épousé publiquement une héroïne, et que Louis XIV n'avait eu en fecret qu'une femme aimable. La czarine n'était pas de ce voyage: Pierre avait trop craint les embarras du cérémonial, et la curiofité d'une cour peu faite pour fentir le mérite d'une femme qui, des bords du Pruth à ceux de Finlande, avait affronté la mort à côté de fon époux fur mer et fur terre.

СНАРI TRE I X.

RETOUR DU CZAR DANS SES ETATS.

LA

Sa politique, fes occupations.

La démarche que la forbonne fit auprès de lui,

A

quand il alla voir le maufolée du cardinal de Richelieu, mérite d'être traitée à part.

Quelques docteurs de forbonne voulurent avoir la gloire de réunir l'Eglife grecque avec l'Eglife latine. Ceux qui connaiffent l'antiquité favent affez que le christianisme eft venu en Occident par les Grecs d'Afie, que c'eft en Orient qu'il eft né, que les premiers pères, les premiers conciles, les premières liturgies, les premiers rites, tout eft de l'Orient; qu'il n'y a pas

même un feul terme de dignité et d'office qui ne foit 1717. grec, et qui n'attefte encore aujourd'hui la fource dont tout nous eft venu. L'empire romain ayant été divifé, il était impoffible qu'il n'y eût tôt ou tard deux religions, comme deux empires, et qu'on ne vît entre les chrétiens d'Orient et d'Occident le même fchifme qu'entre les Ofmanlis et les Perfans.

C'eft ce fchifme que quelques docteurs de l'univerfité de Paris crurent éteindre tout d'un coup, en donnant un mémoire à Pierre le grand. Le pape Léon IX et fes fucceffeurs n'avaient pu en venir à bout avec des légats, des conciles et même de l'argent. Ces docteurs auraient dû favoir que Pierre le grand, qui gouvernait fon Eglife, n'était pas homme à reconnaître le pape; en vain ils parlèrent dans leur mémoire des libertés de l'Eglife gallicane, dont le czar ne fe fouciait guère; en vain ils dirent que les papes doivent être foumis aux conciles, et que le jugement d'un pape n'est point une règle de foi : ils ne réuffirent qu'à déplaire beaucoup à la cour de Rome par leur écrit, fans plaire à l'empereur de Ruffie ni à l'Eglife rufse.

Il y avait dans ce plan de réunion des objets de politique qu'ils n'entendaient pas, et des points de controverfe qu'ils difaient entendre, et que chaque partie explique comme il lui plaît. Il s'agiffait du Saint-Efprit qui procède du Père et du Fils felon les Latins, et qui procède aujourd'hui du Père par le Fils felon les Grecs, après n'avoir long-temps procédé que du Père: ils citaient St Epiphane, qui dit que Saint-Esprit n'eft pas frère du Fils, ni petit-fils du Père.

le

Mais le czar en partant de Paris avait d'autres affaires qu'à vérifier des paffages de St Epiphane. 11

1717. reçut avec bonté le mémoire des docteurs. Ils écrivirent à quelques évêques ruffes, qui firent une réponse polie; mais le plus grand nombre fut indigné de la propofition.

Ce fut pour diffiper les craintes de cette réunion qu'il inftitua quelque temps après la fête comique du conclave, lorsqu'il eut chaffé les jéfuites de fes Etats, en 1718.

Il y avait à fa cour un vieux fou, nommé Sotof, qui lui avait appris à écrire, et qui s'imaginait avoir mérité par ce service les plus importantes dignités. Pierre, qui adouciffait quelquefois les chagrins du gouvernement par des plaifanteries convenables à un peuple non encore entièrement réformé par lui, promit à fon maître à écrire de lui donner une des premières dignités du monde ; il le créa knès papa avec deux mille roubles d'appointement, et lui affigna une maison à Pétersbourg dans le quartier des Tartares; des bouffons l'installèrent en cérémonie; il fut harangué par quatre bègues ; il créa des cardinaux, et marcha en proceffion à leur tête. Tout ce facré collége était ivre d'eau-de-vie. Après la mort de ce Sotof, un officier nommé Buturlin fut créé pape. Moscou et Pétersbourg ont vu trois fois renouveler cette cérémonie, dont le ridicule semblait être fans conféquence, mais qui en effet confirmait les peuples dans leur averfion pour une Eglife qui prétendait un pouvoir suprême, et dont le chef avait anathématifé tant de rois. Le czar vengeait, en riant, vingt empereurs d'Allemagne, dix rois de France et une foule de fouverains. C'est-là tout le fruit que la forbonne recueillit de l'idée peu politique de réunir les Eglifes grecque et latine.

Le voyage du czar en France fut plus utile par 1717. fon union avec ce royaume commerçant, et peuplé d'hommes industrieux, que par la prétendue réunion de deux Eglifes rivales, dont l'une maintiendra toujours fon antique indépendance, et l'autre fa nouvelle fupériorité.

Pierre ramena à fa fuite plufieurs artifans français, ainfi qu'il en avait amené d'Angleterre; car toutes les nations chez lesquelles il voyagea, fe firent un honneur de le feconder dans fon deffein de porter tous les arts dans une patrie nouvelle, et de concourir à cette efpèce de création.

Il minuta dès-lors un traité de commerce avec la France, et le remit entre les mains de fes ministres en Hollande, dès qu'il y fut de retour. Il ne put être figné par l'ambaffadeur de France, Châteauneuf, que le quinze augufte 17 17, à la Haie. Ce traité ne concernait pas feulement le commerce, il regardait la paix du Nord. Le roi de France, l'électeur de Brandebourg acceptèrent le titre de médiateurs qu'il leur donna. C'était affez faire fentir au roi d'Angleterre qu'il n'était pas content de lui, et c'était combler les efpérances de Gortz, qui mit dès-lors tout en œuvre pour réunir Pierre et Charles, pour fufciter à George de nouveaux ennemis, et pour prêter la main au cardinal Albéroni d'un bout de l'Europe à l'autre. Le baron de Gortz vit alors publiquement à la Haie les miniftres du czar; il leur déclara qu'il avait un plein pouvoir de conclure la paix de la Suède.

Le czar laiffait Gortz préparer toutes leurs batteries fans y toucher, prêt à faire la paix avec le roi de Suède, mais auffi à continuer la guerre; toujours lié

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