Page images
PDF
EPUB

1717. prifon de Démirtash en Turquie, et des cendres de Stralfund, on eût pu le voir couronner le fils de Jacques II à Londres, comme il avait couronné Staniflas à Varfovie.

Le czar, qui favait une partie des entreprises de Gortz, en attendait le développement fans entrer dans aucun de fes plans, et fans les connaître tous; il aimait le grand et l'extraordinaire autant que Charles XII, Gortz et Albéroni; mais il l'aimait en fondateur d'un Etat, en légiflateur, en vrai politique; et peut-être Albéroni, Gortz et Charles même étaient-ils plutôt des hommes inquiets qui tentaient de grandes aventures, que des hommes profonds qui priffent des mesures juftes: peut-être, après tout, leurs mauvais fuccès les ont-ils fait accufer de témérité.

Quand Gortz fut à la Haie, le czar ne le vit point; il aurait donné trop d'ombrage aux Etats-Généraux, fes amis, attachés au roi d'Angleterre. Ses miniftres ne virent Gortz qu'en fecret, avec les plus grandes précautions, avec ordre d'écouter tout et de donner des efpérances, fans prendre aucun engagement, et fans le compromettre. Cependant les clairvoyans s'apercevaient bien à fon inaction, pendant qu'il eût pu defcendre en Scanie avec fa flotte et celle de Danemarck, à fon refroidiffement envers fes alliés, aux plaintes qui échappaient à leurs cours, et enfin à fon voyage même, qu'il y avait dans les affaires un grand changement qui ne tarderait point à éclater.

Au mois de janvier 1717, un paquet-bot fuédois, qui portait des lettres en Hollande, ayant été forcé par la tempête de relâcher en Norvège, les lettres furent prises. On trouva dans celles de Gortz et de quelques

miniftres de quoi ouvrir les yeux fur la révolution qui 1717. fe tramait. La cour de Danemarck communiqua les lettres à celle d'Angleterre. Auffitôt on fait arrêter à Londres le miniftre fuédois Gyllembourg; on faifit ses papiers, et on y trouve une partie de fa correfpondance avec les jacobites.

Le roi George écrit incontinent en Hollande; il Février requiert que, fuivant les traités qui lient l'Angleterre et les Etats-Généraux à leur fureté commune, le baron de Gortz foit arrêté. Ce miniftre, qui fe fefait par-tout des créatures, fut averti de l'ordre; il part incontinent il était déjà dans Arnheim fur les frontières, lorsque les officiers et les gardes qui couraient après lui ayant fait une diligence peu commune en ce pays-là, il fut pris, fes papiers faifis, fa perfonne traitée durement; le fecrétaire Stamke, celui-là même qui avait contrefait le seing du duc de Holftein dans l'affaire de Tonninge, plus maltraité encore. Enfin le comte de Gyllembourg, envoyé de Suède en Angle→ terre, et le baron de Gortz, avec des lettres de miniftre plénipotentiaire de Charles XII, furent interrogés, l'un à Londres, l'autre à Arnheim, comme des criminels. Tous les miniftres des fouverains crièrent à la violation du droit des gens.

Ce droit qui eft plus fouvent réclamé que bien connu, et dont jamais l'étendue et les limites n'ont été fixées, a reçu dans tous les temps des atteintes. On a chaffé plufieurs miniftres des cours où ils réfidaient; on a plus d'une fois arrêté leurs perfonnes; mais jamais encore on n'avait interrogé des miniftres étrangers comme des fujets du pays. La cour de Londres et les Etats pafsèrent par-deffus toutes les

1717. règles, à la vue du péril qui menaçait la maison d'Hanovre; mais enfin ce danger étant découvert ceffait d'être danger, du moins dans la conjoncture présente.

Il faut que l'hiftorien Norberg ait été bien mal informé, qu'il ait bien mal connu les hommes et les affaires, ou qu'il ait été bien aveuglé par la partialité, ou du moins bien gêné par fa cour, pour essayer de faire entendre que le roi de Suède n'était très-avant dans le complot.

pas entré

L'affront fait à fes miniftres affermit en lui la réfolution de tout tenter pour détrôner le roi d'Angleterre. Cependant il fallut qu'une fois en fa vie il usât de diffimulation, qu'il défavouât fes miniftres auprès du régent de France qui lui donnait un fubfide, et auprès des Etats-Généraux qu'il voulait ménager : il fit moins de fatisfaction au roi George. Gortz et Gyllembourg, fes miniftres, furent retenus près de fix mois, et ce long outrage confirma en lui tous fes deffeins de vengeance.

Pierre, au milieu de tant d'alarmes et de tant de jaloufies, ne fe commettant en rien, attendant tout du temps, et ayant mis un affez bon ordre dans fes vaftes Etats, pour n'avoir rien à craindre du dedans ni du dehors, réfolut enfin d'aller en France: il n'entendait pas la langue du pays, et par-là perdait le plus grand fruit de fon voyage; mais il penfait qu'il y avait beaucoup à voir, et il voulut apprendre de près en quels termes était le régent de France avec l'Angleterre, et fi ce prince était affermi.

Pierre le grand fut reçu en France comme il devait l'être. On envoya d'abord le maréchal de Tessé avec

un grand nombre de seigneurs, un escadron des gardes, 1717. et les carroffes du roi à fa rencontre. Il avait fait, felon fa coutume, une fi grande diligence qu'il était déjà à Gournay lorfque les équipages arrivèrent à Elbeuf. On lui donna fur la route toutes les fêtes qu'il voulut bien recevoir. On le reçut d'abord au louvre où le grand appartement était préparé pour lui, et d'autres pour toute fa fuite, pour les princes Kourakin et Dolgorouki, pour le vice-chancelier, baron Schaffirof, pour l'ambaffadeur Tolstoy, le même qui avait effuyé tant de violations du droit des gens en Turquie. Toute cette cour devait être magnifiquement logée et fervie; mais Pierre étant venu pour voir ce qui pouvait lui être utile, et non pour effuyer de vaines cérémonies qui gênaient fa fimplicité, et qui confumaient un temps précieux, alla se loger, le foir même, à l'autre bout de la ville au palais ou hôtel de Lefdiguière, appartenant au maréchal de Villeroi, où il fut traité et défrayé comme au louvre. Le lendemain, le régent de France vint le faluer à cet hôtel : le furlendemain, on lui amena le roi encore enfant, conduit par le maréchal de Villeroi, fon gouverneur, de qui le père avait été gouverneur de Louis XIV. On épargna adroitement au czar la gêne de rendre la vifite immédiatement après l'avoir reçue; il y eut deux jours d'intervalle; il reçut les refpects du corps de ville, et alla le foir voir le roi: la maison du roi était fous les armes on mena ce jeune prince jufqu'au carroffe du czar. Pierre, étonné et inquiété de la foule qui fe preffait, autour de ce monarque enfant, le prit et le porta quelque temps dans fes bras.

Des miniftres plus rafinés que judicieux ont écrit

8 mai.

1717. que le maréchal de Villeroi voulant faire prendre au roi de France la main et le pas, l'empereur de Ruffie fe fervit de ce ftratagême pour déranger ce cérémonial par un air d'affection et de fenfibilité : c'eft une idée abfolument fauffe: la politeffe française et ce qu'on devait à Pierre le grand ne permettaient pas qu'on changeât en dégoût les honneurs qu'on lui rendait. Le cérémonial confiftait à faire pour un grand monarque et pour un grand homme tout ce qu'il eût défiré luimême, s'il avait fait attention à ces détails. Il s'en faut beaucoup que les voyages des empereurs Charles IV, Sigifmond et Charles V, en France, aient eu une célébrité comparable à celle du féjour qu'y fit Pierre le grand : ces empereurs n'y vinrent que par des intérêts de politique, et n'y parurent pas dans un temps où les arts perfectionnés puffent faire de leur voyage une époque mémorable; mais quand Pierre le grand alla dîner chez le duc d'Antin dans le palais de Petitbourg, à trois lieues de Paris, et qu'à la fin du repas il vit fon portrait qu'on venait de peindre, placé tout d'un coup dans la falle, il fentit que les Français favaient mieux qu'aucun peuple du monde recevoir un hôte fi digne.

Il fut encore plus furpris lorfqu'allant voir frapper des médailles dans cette longue galerie du louvre, où tous les artiftes du roi font honorablement logés, une médaille qu'on frappait étant tombée, et le czar s'empressant de la ramaffer, il se vit gravé fur cette médaille, avec une Renommée fur le revers, pofant un pied fur le globe, et ces mots de Virgile, fi convenables à Pierre le grand, VIRES ACQUIRIT EUNDO: allufion également fine et noble, et également convenable à fes voyages et

« PreviousContinue »