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fouffert une violation du droit des gens fi extrordinaire et fi outrageante.

Le même Olearius dit dans un autre endroit : ,, Nous partîmes le 13 février 1634 de compa"gnie avec un certain ambaffadeur de France, " qui s'appelait Charles de Tallerand, prince de "Chalais, &c. Louis l'avait envoyé avec

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Jacques Rouffel en ambaffade en Turquie et ,, en Mofcovie; mais fon collègue lui rendit de ,, fi mauvais offices auprès du patriarche que ,, le grand-duc le relégua en Sibérie. "

Au livre troisième, il dit que cet ambassadeur, prince de Chalais, et le nommé Rouffel fon collègue qui était marchand, étaient envoyés de Henri IV. Il est affez probable que Henri IV, mort en 1610, n'envoya point d'ambassade en Moscovie en 1634. Si Louis XIII avait fait partir pour ambassadeur un homme d'une maison auffi illuftre que celle de Tallerand, il ne lui eût point donné un marchand pour collègue; l'Europe aurait été informée de cette ambaffade; et l'outrage fingulier fait au roi de France eût fait encore plus de bruit.

Ayant contesté ce fait incroyable, et voyant que la fable d'Oléarius avait pris quelque crédit, je me fuis cru obligé de demander des éclairciffemens au dépôt des affaires étrangères en

France. Voici ce qui a donné lieu à la méprise d'Oléarius.

Il y eut en effet un homme de la maison de Tallerand qui, ayant la paffion des voyages, alla jufqu'en Turquie, fans en parler à fa famille, et fans demander de lettres de recommandation. Il rencontra un marchand hollandais, nommé Rouffel, député d'une compagnie de négoce, et qui n'était pas fans liaison avec le ministère de France. Le marquis de Tallerand se joignit avec lui pour aller voir la Perse ; et s'étant brouillé en chemin avec fon compagnon de voyage, Rouffel le calomnia auprès du patriarche de Moscou; on l'envoya en effet en Sibérie; il trouva le moyen d'avertir fa famille, et au bout de trois ans, le fecrétaire d'Etat, M. des Noyers, obtint fa liberté de la cour de Mofcou.

Voilà le fait mis au jour : il n'est digne d'entrer dans l'hiftoire qu'autant qu'il met en garde contre la prodigieufe quantité d'anecdotes de cette espèce, rapportées par les voyageurs.

Il y a des erreurs hiftoriques; il y a des menfonges historiques. Ce que rapporte Oléarius n'eft qu'une erreur; mais quand on dit qu'un czar fit clouer le chapeau d'un ambassadeur sur fa tête, c'eft un menfonge. Qu'on se trompe fur

le nombre et la force des vaiffeaux d'une armée navale, qu'on donne à une contrée plus ou moins d'étendue, ce n'eft qu'une erreur, et une erreur très-pardonnable. Ceux qui répètent les anciennes fables, dans lefquelles l'origine de toutes les nations eft enveloppée, peuvent être accufés d'une faibleffe commune à tous les auteurs de l'antiquité; ce n'est pas là mentir, ce n'est proprement que tranfcrire des contes.

L'inadvertance nous rend encore sujets à bien des fautes, qu'on ne peut appeler menfonges. Si dans la nouvelle géographie d'Hubner on trouve que les bornes de l'Europe font à l'endroit où le fleuve Oby fe jette dans la mer Noire, et que l'Europe a trente millions d'habitans, voilà des inattentions que tout lecteur inftruit rectifie. Cette géographie vous présente souvent des villes grandes, fortifiées, peuplées, qui ne font plus que des bourgs presque déferts; il est aisé alors de s'apercevoir que le temps a tout changé ; l'auteur a confulté des anciens ; et ce qui était vrai de leur temps ne l'eft plus aujourd'hui.

On fe trompe encore entirant des inductions. Pierre le grand abolit le patriarchat. Hubner ajoute qu'il se déclara patriarche lui-même. Des anecdotes prétendues de Ruffie vont plus loin, et difent qu'il officia pontificalement ;

ainfi d'un fait avéré on tire des conclufions erronées, ce qui n'eft que trop commun.

Ce que j'ai appelé mensonge historique est plus commun encore ; c'eft ce que la flatterie, la fatire ou l'amour infensé du merveilleux font inventer. L'hiftorien qui, pour plaire à une famille puissante, loue un tyran est un lâche; celui qui veut flétrir la mémoire d'un bon prince est un monftre; et le romancier, qui donne fes imaginations pour la vérité, est méprisé. Tel qui autrefois fefait respecter des fables par des nations entières ne ferait pas lu aujourd'hui des derniers des hommes.

Il y a des critiques plus menteurs encore, qui altèrent des paffages, ou qui ne les entendent pas, qui, infpirés par l'envie, écrivent avec ignorance contre des ouvrages utiles : ce font les ferpens qui rongent la lime, il faut les laiffer faire.

DE L'EMPIRE DE RUSSIE

SOUS

PIERRE LE GRAND.

PREMIERE PARTI E.

AVANT-PROPOS.

DANS les premières années du fiècle où nous

fommes, le vulgaire ne connaiffait dans le nord de héros que Charles XII. Sa valeur perfonnelle, qui tenait beaucoup plus d'un foldat que d'un roi, l'éclat de fes victoires et même de fes malheurs, frappaient tous

les

yeux qui voient aifément ces grands événemens, et qui ne voient pas les travaux longs et utiles. Les étrangers doutaient même alors que les entreprises du czar Pierre I puffent fe foutenir; elles ont fubfifté, et fe font perfectionnées fous les impératrices Anne et Elifabeth, mais fur-tout fous Catherine II qui a porté fi loin la gloire de la Ruffic. Cet empire eft aujourd'hui compté parmi les plus floriffans Etats, et Pierre eft dans le rang des plus grands légiflateurs. Quoique fes entreprises n'euffent pas befoin de fuccès aux yeux des fages, fes fuccès ont affermi pour jamais fa gloire. On juge aujourd'hui que Charles XII

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