Page images
PDF
EPUB

,, la Grèce, leur ancienne patrie. J'ofe efpérer que 1714. ,, nous ferons un jour rougir les nations les plus

,, civilifées, par nos travaux et par notre folide ,, gloire.,,

C'est-là le précis véritable de ce difcours digne d'un fondateur. Il a été énervé dans toutes les traductions,

mais le plus grand mérite de cette harangue éloquente eft d'avoir été prononcée par un monarque victorieux, fondateur et légiflateur de fon empire.

Les vieux boyards écoutèrent cette harangue avec plus de regret pour leurs anciens ufages que d'admiration pour la gloire de leur maître; mais les jeunes en furent touchés jufqu'aux larmes.

Ces temps furent encore fignalés par l'arrivée des ambaffadeurs ruffes qui revinrent de Conftantinople, avec la confirmation de la paix avec les Turcs. Un ambaffadeur de Perfe était arrivé quelque temps 15 décemb. auparavant de la part de Cha-Um; il avait amené au czar un éléphant et cinq lions. Il reçut en même temps une ambaffade du kan des Usbeks, Mehemet Bahadir,qui lui demandait fa protection contre d'autres tartares. Du fond de l'Afie et de l'Europe tout rendait hommage à fa gloire.

La régence de Stockholm, défespérée de l'état déplorable de fes affaires, et de l'absence de fon roi qui abandonnait le foin de fes Etats, avait pris enfin la réfolution de ne le plus confulter; et immédiatement après la victoire navale du czar, elle avait demandé un paffe-port au vainqueur pour un officier chargé de propofitions de paix. Le paffe-port fut envoyé; mais dans ce temps-là même la princeffe Ulrique Eléonore, fœur de Charles XII, reçut la nouvelle que le roi,

1714. fon frère, se disposait enfin à quitter la Turquie, et à revenir fe défendre. On n'ofa pas alors envoyer au czar le négociateur qu'on avait nommé en fecret: on supporta la mauvaise fortune, et l'on attendit que Charles XII fe préfentât pour la réparer.

En effet Charles, après cinq années et quelques mois de féjour en Turquie, en partit fur la fin d'octobre 1714. On fait qu'il mit dans fon voyage la même fingularité qui caractérifait toutes fes actions. Il arriva à Stralfund, le 22 novembre 1714. Dès qu'il y fut, le baron de Gortz fe rendit auprès de lui ; il avait été l'inftrument d'une partie de fes malheurs; mais il fe juftifia avec tant d'adreffe, et lui fit concevoir de fi hautes espérances, qu'il gagna fa confiance comme il avait gagné celle de tous les miniftres et de tous les princes avec lefquels il avait négocié : il lui fit efpérer qu'il détacherait les alliés du czar, et qu'alors on pourrait faire une paix honorable, ou du moins une guerre égale. Dès ce moment Gortz eut fur l'efprit de Charles beaucoup plus d'empire que n'en avait jamais eu le comte Piper.

La première chofe que fit Charles, en arrivant à Stralfund, fut de demander de l'argent aux bourgeois de Stockholm. Le peu qu'ils avaient fut livré, on ne favait rien refuser à un prince qui ne demandait que pour donner, qui vivait auffi durement que les fimples foldats, et qui expofait comme eux fa vie. Ses malheurs, fa captivité, fon retour touchaient fes fujets et les étrangers: on ne pouvait s'empêcher de le blâmer, ni de l'admirer, ni de le plaindre, ni de le secourir. Sa gloire était d'un genre tout oppofé à celle de Pierre; elle ne confiftait ni dans l'établiffement des arts, ni

[ocr errors]

dans la légiflation, ni dans la politique, ni dans le 1714. commerce; elle ne s'étendait pas au-delà de fa perfonne fon mérite était une valeur au-deffus du courage ordinaire; il défendait fes Etats avec une grandeur d'ame égale à cette valeur intrépide; et c'en était affez pour que les nations fuffent frappées de refpect pour lui. Il avait plus de partifans que d'alliés.

CHAPITRE

V I.

ETAT DE L'EUROPE AU RETOUR

CHARLES XII.

LORSQUE

Siége de Stralfund, &c.

ORSQUE Charles XII revint enfin dans fes Etats, à la fin de 1714, il trouva l'Europe chrétienne dans un état bien différent de celui où il l'avait laiffée. La reine Anne d'Angleterre était morte, après avoir fait la paix avec la France; Louis XIV assurait l'Espagne à fon petit-fils, et forçait l'empereur d'Allemagne, Charles VI, et les Hollandais à foufcrire à une paix néceffaire : ainfi toutes les affaires du midi de l'Europe prenaient une face nouvelle.

Celles du Nord étaient encore plus changées; Pierre en était devenu l'arbitre. L'électeur d'Hanovre, appelé au royaume d'Angleterre, voulait agrandir fes terres d'Allemagne aux dépens de la Suède, qui n'avait acquis des domaines allemands que par les conquêtes du grand Guftave. Le roi de Danemarck prétendait

1714. reprendre la Scanie, la meilleure province de la Suède,

qui avait appartenu autrefois aux Danois. Le roi de Pruffe, héritier des ducs de Poméranie, prétendait rentrer au moins dans une partie de cette province. D'un autre côté, la maifon de Holflein opprimée par le roi de Danemarck, et le duc de Mecklenbourg en guerre prefque ouverte avec ses sujets, imploraient la protection de Pierre I. Le roi de Pologne, électeur de Saxe défirait qu'on annexât la Courlande à la Pologne; ainfi, de l'Elbe jusqu'à la mer Baltique, Pierre était l'appui de tous les princes, comme Charles en avait été la terreur.

On négocia beaucoup depuis le retour de Charles, et on n'avança rien. Il crut qu'il pourrait avoir affez de vaiffeaux de guerre et d'armateurs pour ne point craindre la nouvelle puiffance maritime du czar. A l'égard de la guerre de terre, il comptait fur fon courage; et Gortz, devenu tout d'un coup fon premier miniftre, lui perfuada qu'il pourrait fubvenir aux frais avec une monnaie de cuivre qu'on fit valoir quatrevingt-feize fois autant que fa valeur naturelle; ce qui eft un prodige dans l'hiftoire des gouvernemens. Mais, dès le mois d'avril 1715, les vaiffeaux de Pierre prirent les premiers armateurs fuédois qui se mirent en mer; et une armée ruffe marcha en Pomeranie.

Les Pruffiens, les Danois et les Saxons fe joignirent devant Stralfund. Charles XII vit qu'il n'était revenu de fa prifon de Démirtash et de Démirtoca vers la mer Noire, que pour être affiégé fur le rivage de la mer Baltique.

On a déjà vu dans fon hiftoire avec quelle valeur fière et tranquille il brava dans Stralfund tous fes

ennemis réunis. On n'y ajoutera ici qu'une petite par- 1715. ticularité qui marque bien fon caractère. Presque tous fes principaux officiers ayant été tués ou bleffés dans le fiége, le colonel baron de Reichel, après un long combat, accablé de veilles et de fatigues, s'étant jeté fur un banc pour prendre une heure de repos, fut appelé pour monter la garde fur le rempart; il s'y traîna en maudiffant l'opiniâtreté du roi, et tant de fatigues fi intolérables et fi inutiles. Le roi qui l'entendit, courut à lui, et fe dépouillant de fon manteau qu'il étendit devant lui: Vous n'en pouvez plus, ,, lui dit-il, mon cher Reichel; j'ai dormi une heure, " je fuis frais, je vais monter la garde pour vous: ,, dormez, je vous éveillerai quand il en fera temps.", Après ces mots, il l'enveloppa malgré lui, le laissa dormir, et alla monter la garde.

Ce fut pendant ce fiége de Stralfund que le nouveau Octobre. roi d'Angleterre, électeur d'Hanovre, acheta du roi de Danemarck la province de Brême et de Verden avec la ville de Stade que les Danois avaient prises fur Charles XII. Il en coûta au roi George huit cents mille écus d'Allemagne. On trafiquait ainfi des Etats de Charles, tandis qu'il défendait Stralfund pied à pied. Enfin cette ville n'étant plus qu'un monceau de ruines, fes officiers le forcèrent d'en fortir. Quand il fut en fureté, fon général Duker rendit ces ruines au Décembre. roi de Pruffe.

Quelque temps après, Duker s'étant présenté devant Charles XII, ce prince lui fit des reproches d'avoir capitulé avec fes ennemis. J'aimais trop votre gloire,

lui répondit Duker, pour vous faire l'affront de ,, tenir dans une ville dont votre majefté était fortie. "

« PreviousContinue »