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roi de Suède, fon peu de goût pour la guerre, fa 1711. facilité; mais il se garde bien de l'accufer de corruption; il favait trop ce que c'est que la place d'un grand vifir, pour penfer que le czar pût mettre un prix à la trahison du vice-roi de l'empire ottoman.

Schaffirof et Sheremetof, demeurés en otage à Conftantinople, ne furent point traités comme ils l'auraient été, s'ils avaient été convaincus d'avoir acheté la paix, et d'avoir trompé le fultan de concert avec le vifir; ils demeurèrent en liberté dans la ville, escortés de deux compagnies de janiffaires.

L'ambaffadeur Tolstoy étant forti des fept tours immédiatement après la paix du Pruth, les miniftres d'Angleterre et de Hollande s'entremirent auprès du nouveau vifir pour l'exécution des articles.

Azoph venait enfin d'être rendu aux Turcs; on démoliffait les fortereffes ftipulées dans le traité. Quoique la Porte ottomane n'entre guère dans les différens des princes chrétiens, cependant elle était flattée alors de fe voir arbitre entre la Ruffie, la Pologne et le roi de Suède : elle voulait que le czar retirât fes troupes de la Pologne, et délivrât la Turquie d'un voisinage fi dangereux; elle fouhaitait que Charles retournât dans fes Etats, afin que les princes chrétiens fuffent continuellement divifés : mais jamais elle n'eut l'intention de lui fournir une armée. Les Tartares défiraient toujours la guerre, comme les artifans veulent exercer leurs profeffions lucratives. Les janiffaires la fouhaitaient, mais plus par haine contre les chrétiens, par fierté, par amour pour la licence que par d'autres motifs. Cependant les négociations des miniftres anglais et hollandais prévalurent contre le parti oppofé.

1711. La paix du Pruth fut confirmée; mais on ajouta,

dans le nouveau traité, que le czar retirerait dans trois mois toutes fes troupes de la Pologne, et que l'empereur turc renverrait inceffamment Charles XII.

On peut juger, par ce nouveau traité, fi le roi de Suède avait à la Porte autant de pouvoir qu'on l'a dit. Il était évidemment facrifié par le nouveau vifir Juffuf Bacha, ainfi que par Baltagi Mehemet. Ses hiftoriens n'ont eu d'autre reffource, pour couvrir ce nouvel affront, que d'accufer Jussuf d'avoir été corrompu, ainfi que fon prédéceffeur. De pareilles imputations tant de fois renouvelées fans preuve, font bien plutôt les cris d'une cabale impuiffante que les témoignages de l'hiftoire. L'efprit de parti, obligé d'avouer les faits, en altère les circonftances et les motifs; et malheureusement c'est ainfi que toutes les hiftoires contemporaines parviennent falfifiées à la poftérité, qui ne peut plus guère démêler la vérité du menfonge.

CHAPITRE III.

Mariage du czarovitz, et déclaration folennelle du mariage de Pierre avec Catherine qui reconnaît Son frère.

CETTE

ETTE malheureuse campagne du Pruth fut plus funeste au czar que ne l'avait été la bataille de Nerva : car, après Nerva, il avait fu tirer parti de fa défaite même, réparer toutes ses pertes, et enlever l'Ingrie à Charles XII; mais après avoir perdu, par le traité de

Falksen avec le fultan, fes ports et les fortereffes fur 1711. les Palus-Méotides, il fallut renoncer à l'empire fur la mer Noire. Il lui reftait un champ affez vaste pour les entreprises; il avait à perfectionner tous fes établissemens en Ruffie, fes conquêtes fur la Suède à poursuivre, le roi Augufte à raffermir en Pologne, et fes alliés à ménager. Les fatigues avaient altéré fa fanté; il fallut qu'il allât aux eaux de Carlsbad en Bohême; mais pendant qu'il prenait les eaux, il fesait attaquer la Pomeranie, Stralfund était bloqué, et cinq petites villes étaient prises.

La Pomeranie eft la province d'Allemagne la plus feptentrionale, bornée à l'Orient par la Pruffe et la Pologne, à l'Occident par le Brandebourg, au Midi par le Meclenbourg, et au Nord par la mer Baltique: elle eut prefque de fiècle en fiècle différens maîtres, Guftave-Adolphe s'en empara dans la fameufe guerre de trente ans, et enfin elle fut cédée folennellement aux Suédois par le traité de Veftphalie, à la réserve de l'évêché de Camin et de quelques petites places fituées dans la Pomeranie ultérieure. Toute cette province devait naturellement appartenir à l'électeur de Brandebourg, en vertu des pactes de famille faits avec les ducs de Pomeranie. La race de ces ducs s'était éteinte en 1637; par conféquent, fuivant les lois de l'empire, la maison de Brandebourg avait un droit évident fur cette province; mais la néceffité, la première des lois, l'emporta dans le traité d'Ofnabruck fur les pactes de famille, et depuis ce temps la Pomeranie presque toute entière avait été le prix de la valeur fuédoise.

Le projet du czar était de dépouiller la couronne de Suède de toutes les provinces qu'elle poffédait en

1711. Allemagne; il fallait, pour remplir ce deffein, s'unir

25 octobre.

avec les électeurs de Brandebourg et d'Hanovre, et avec le Danemarck. Pierre écrivit tous les articles du traité qu'il projetait avec ces puiffances, et tout le détail des opérations néceffaires pour se rendre maître de la Pomeranie.

Pendant ce temps-là même, il maria dans Torgau fon fils Alexis avec la princeffe de Volfenbuttel, fœur de l'impératrice d'Allemagne, épouse de Charles VI; mariage qui fut depuis fi funefte, et qui coûta la vie aux deux époux.

Le czarovitz était né du premier mariage de Pierre avec Eudoxie Lapoukin, mariée, comme on l'a dit, en 1689. Elle était alors confinée dans un couvent à Sufdal. Son fils, Alexis Petrovitz, né le 1er mars 1690, était dans fa vingt-deuxième année. Ce prince n'était pas encore connu en Europe. Un miniftre, dont on a imprimé des mémoires fur la cour de Ruffie, dit, dans une lettre écrite à fon maître, datée du 2 5 augufte 1711, ", que ce prince était grand et bien fait, qu'il reffem,, blait beaucoup à fon père, qu'il avait le cœur ,, bon, qu'il était plein de piété, qu'il avait lu cinq " fois l'écriture fainte, qu'il fe plaifait fort à la lecture " des anciennes hiftoires grecques: il lui trouve ,, l'efprit étendu et facile; il dit que ce prince fait

les mathématiques, qu'il entend bien la guerre, la ,, navigation, la fcience de l'hydraulique, qu'il fait ,, l'allemand, qu'il apprend le français; mais que ,, fon père n'a jamais voulu qu'il fît ce qu'on appelle , fes exercices. ""

Voilà un portrait bien différent de celui que le czar lui-même fit quelque temps après de ce fils infortuné:

nous verrons avec quelle douleur fon père lui reprocha 1711, tous les défauts contraires aux bonnes qualités que ce

miniftre admire en lui.

C'est à la postérité à décider entre un étranger qui peut juger légèrement ou flatter le caractère d'Alexis, et un père qui a cru devoir facrifier les fentimens de la nature au bien de fon empire. Si le miniftre n'a pas mieux connu l'efprit d'Alexis que fa figure, fon témoignage a peu de poids : a peu de poids: il dit que ce prince était grand et bien fait; les mémoires que j'ai reçus de Pétersbourg difent qu'il n'était ni l'un ni l'autre.

Catherine, fa belle-mère, n'affifta point à ce mariage; car, quoiqu'elle fût regardée comme czarine, elle n'était point reconnue folennellement en cette qualité, et le titre d'alteffe qu'on lui donnait à la cour du czar lui laiffait encore un rang trop équivoque, pour qu'elle fignât au contrat, et pour que le cérémonial allemand lui accordât une place convenable à fa dignité d'épouse du czar Pierre. Elle était alors à Thorn 1712. dans la Pruffe polonaife. Le czar envoya d'abord les Janvier. deux nouveaux époux à Volfenbuttel, et reconduifit bientôt la czarine à Pétersbourg avec cette rapidité et cette fimplicité d'appareil qu'il mettait dans tous fes voyages.

Ayant fait le mariage de fon fils, il déclara plus folennellement le fien, et le célébra à Pétersbourg. La cérémonie fut auffi augufte qu'on peut la rendre 19 février. dans un pays nouvellement créé, dans un temps où les finances étaient dérangées par la guerre foutenue contre les Turcs, et par celle qu'on fesait encore au roi de Suède. Le czar ordonna feul la fête, et y travailla lui-même selon sa coutume. Ainfi Catherine fut

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